ANALYSES

Offensive militaire au Nord-Waziristan : Games of drones au Pakistan

Tribune
23 juin 2014


Une semaine plus tôt, le 8 juin, un commando taliban réalisait une spectaculaire attaque contre l’aéroport international de Karachi, le plus important du pays (6 millions de passagers annuels) ; l’aéroport de cette grande métropole du Sud et cité portuaire, capitale de la province du Sindh, allait des heures durant être le théâtre d’attaques, d’explosions, d’échanges de feu entre forces de sécurité et assaillants ; une crise de plus qui emporta une trentaine de vies dans ces énièmes événements violents à venir balafrer, meurtrir la population pakistanaise.

Cette fois-ci, c’en était trop ; s’accrochant vainement encore la veille à quelques fragiles espoirs de dialogue de paix avec les Talibans – un laborieux processus était officiellement à l’œuvre depuis février 2014 mais peinait à convaincre de la sincérité des interlocuteurs talibans -, le Premier ministre Nawaz Sharif, le chef des armées et homonyme Raheel Sharif, soutenus par une majorité de concitoyens, décidaient enfin de sévir (dans une certaine mesure) ; une action militaire sérieuse au cœur même du bastion taliban serait la réponse martiale à l’entreprise terroriste réalisée à Karachi.

Une semaine plus tard (et un bilan humain de l’ordre de 200 morts – de source gouvernementale – dans les rangs de la co-entreprise islamiste radicale visée), après une campagne aérienne faisant la part belle aux sorties des chasseurs F-16, des hélicoptères d’attaque au sol et aux drones armés, censée préparer le terrain à une intervention terrestre (infanterie, troupes de montagne, commando et forces spéciales) de la rugueuse Pakistan Army, ce sont surtout les civils fuyant la zone de combat (au nombre de 350 000 selon les décomptes officiels) qui sont à pied d’œuvre, si l’on peut dire. Pour l’heure, au matin du 23 juin, la progression à pied des troupes terrestres n’a pas encore débuté, les autorités préférant attendre que l’exode massif des populations locales prenne fin. Ce qui, en théorie, ne devrait pas durer des semaines ; lors du dernier recensement officiel réalisé il y a une quinzaine d’année dans cette agence tribale du Nord-Waziristan, le décompte faisait apparaître une population de 360 000 individus, dispersée sur un territoire de 4 700 km² (superficie identique au département de Haute-Corse)…

Face aux quelques centaines de militants radicaux, Talibans, sympathisants d’Al-Qaïda retranchés dans ces place-fortes montagneuses, à tout le moins pour ceux qui n’ont pas encore quitté le périmètre pour le Sud-Waziristan ou l’Afghanistan à l’ouest (le Nord-Waziristan confine avec les provinces afghanes de Paktika, Paktya et Khost) ou qui ne se seraient pas fondus dans le flux de populations déplacées -, ce sont 30 000 soldats en armes qui sont a priori prêts à entrer, dès que faire se pourra, dans les débats. Tout sauf une première dans ces inhospitalières agences tribales, comme l’indique le tableau de synthèse ci-après revenant sur la décennie écoulée :



La durée, la réussite et l’issue de cette démonstration d’humeur et de force du pouvoir pakistanais restent naturellement à jauger ; il est cependant possible, en l’état, de s’interroger sur ses éventuelles conséquences et possibles – mais guère certains – dividendes.

Opération Zarb-E-Azb : une action pour en finir avec les Talibans ? Quel objectif ?
On se méprendrait en pensant que l’armée pakistanaise entend en finir – un peu comme le fit cinq ans plus tôt son homologue sri lankaise en défaisant militairement et définitivement la guérilla séparatiste tamoule du LTTE – une bonne fois pour toutes avec les talibans et autres associés en engageant l’opération Zarb-E-Azb. Son objectif, pour l’heure, est plus modeste ; ses moyens humains officiellement mis sur le terrain – une trentaine de milliers d’hommes ; beaucoup et peu à la fois au regard de l’adversaire et de la zone à couvrir – ne lui autorisent pas, même additionnés aux moyens techniques et aériens employés (chasseurs, bombardiers, drones et hélicoptères), le projet de réduire à néant la menace taliban. Sans compter que cette dernière, comme elle le fit à diverses reprises lors d’opérations similaires passées, n’a pas attendue d’être prise au piège pour en partie préventivement évacuer la zone des opérations.

Il s’agit plutôt, au lendemain de l’assaut contre l’aéroport et dans la foulée d’une succession d’attentats récents imputables aux Talibans, alors que les négociations de paix – un concept des plus ténus et incertains depuis son officialisation – sont au point mort, de convaincre ces adversaires obscurantistes et meurtriers que l’Etat pakistanais ne demeurera pas toujours sans répondre aux provocations, qu’il est lui aussi parfois capable de porter le fer et le feu dans le camp de ses ennemis jurés. Un message naturellement à prendre au sérieux ; probablement pas suffisamment effrayant ou dissuasif pour des militants radicaux prêts à tout, notamment au trépas.

Quel coût / gain politique pour le gouvernement ? Pour l’armée ?
De plus en plus critiqué par une partie de son électorat pour sa crédulité, son optimisme mal placé en la capacité des talibans à mener des négociations de paix sincères, alors même que ces derniers donnaient chaque semaine libre cours à leur agenda terroriste, le Premier ministre N. Sharif était pressé de rétablir – momentanément – l’autorité et la crédibilité de l’Etat. Il s’agissait de cesser d’attendre un bon geste des talibans qui ne viendrait pas, et, en lieu et place de cette politique sans gain, de donner de la voix, des obus et de l’assaut à ces ennemis faisant peu cas de la stabilité intérieure et de la vie des citoyens pakistanais.

Pour l’armée, le besoin de rétablir quelque peu sa crédibilité en s’engageant enfin, dans ce sanctuaire taliban du nord-Waziristan – le gouvernement américain le lui demande avec insistance depuis deux bonnes années – devenait également criant. Mise à mal par son ambivalence sur le dossier taliban – il est notoire que l’armée, ses services de renseignement (ISI), entretiennent des liens de proximité, étroits, avec certains courants talibans -, cette puissante et influente institution (dont le lustre avait par ailleurs sérieusement pâti des conditions de la neutralisation définitive d’Oussama Ben Laden – par un commando d’élite US – sur le sol pakistanais en mai 2011) se devait de réagir, de montrer à la population qu’elle pouvait aussi, ponctuellement, se montrer dangereuse avec les ennemis de la nation.

Washington ?
Les autorités américaines observent avec retenue – et une certaine satisfaction – cette opération des forces régulières pakistanaises longtemps appelée de leurs vœux. Prudentes et connaissant les marges de manœuvre limitées de l’administration Sharif, son souci vital de ne pas se mettre à dos la haute hiérarchie militaire (cette dernière acta à deux reprises par le passé son éviction précipitée du pouvoir…), elles n’attendent pas que cet engagement militaire au Nord-Waziristan mette un terme définitif aux agissements de ces fondamentalistes. Si toutefois cette opération pouvait au passage frapper, parmi les diverses cibles possibles, le redoutable réseau Haqqani, très investi ces dernières années dans des opérations meurtrières contre les forces de l’Otan et américaines en Afghanistan (et dont les liens avec l’ISI pakistanaise seraient avérés), naturellement, la Maison-Blanche et le Pentagone ne pourraient que s’en féliciter.

En vérité, car pragmatiques et échaudées à maintes reprises, leurs attentes ne sont pas démesurément élevées ; ce que l’on comprendra aisément.
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