ANALYSES

Obama, l’immigration et les électeurs latinos

Tribune
2 novembre 2012
Par Mathias Hillion, Journaliste et réalisateur du documentaire Obama Blues (diffusion le lundi 5 novembre 2012 à 22h30 sur Canal+)
Les chiffres des douanes américaines révèlent une réalité pour le moins étonnante : le président Obama a expulsé plus d’immigrés en situation irrégulière que son prédécesseur républicain : 396 906 l’année dernière. Un record dans l’histoire récente des Etats-Unis. Une déception pour l’électorat hispanique qui avait massivement voté pour le candidat démocrate il y a 4 ans. Autres déçus : les militants d’associations d’aide aux sans-papiers qui misaient beaucoup sur cet homme qu’ils croyaient concerné par le sort des migrants. Lisa Jacobson habite le comté de Pima en Arizona. Chaque weekend, elle parcourt à pied la zone désertique qui sépare les Etats-Unis et le Mexique, et y dépose des bouteilles d’eau pour les migrants qui tentent chaque jour et chaque nuit leur chance. Le verdict de cette militante des droits de l’homme est amer : « J’ai voté Obama. Il n’a pas tenu ses promesses en matière d’immigration. Il a même expulsé plus que Bush. Tout simplement parce qu’il voulait montrer que lui aussi était un vrai dur ».

Dans la dernière ligne droite de la campagne de 2012, Barack Obama tente de rectifier le tir, avec l’objectif de remobiliser l’aile gauche du parti démocrate et surtout l’électorat hispanique (23 millions de voix, 16% de la population américaine). En juin dernier, Obama a promis des titres de séjour temporaire de deux ans aux jeunes sans-papiers à condition qu’ils soient des étudiants brillants au casier judiciaire vierge. En septembre, il a déclaré qu’une grande loi sur l’immigration fera partie de ses priorités en cas de réélection. Ce retard de quatre ans, le président américain l’attribue à la crise financière qui l’aurait empêché d’agir et au blocage des républicains (majoritaires à la Chambre des Représentants depuis 2010).

Confidence de l’hôte de la Maison Blanche à une télévision américaine en espagnol : « Dans notre système, je suis le chef du pouvoir exécutif. Je ne suis pas le chef du pouvoir législatif. Je ne suis pas le chef du pouvoir judiciaire. Il faut la coopération de tous pour parvenir à quelque chose. (…) Après l’élection, quand l’objectif ne sera plus de me battre mais, je l’espère, de résoudre les problèmes du pays ils (les républicains ndlr) recommenceront à réfléchir à ce sujet pas seulement parce que c’est ce qu’il faut faire mais parce que c’est dans leur intérêt politique ».

Fin octobre 2012 un quotidien de Des Moines (Iowa) a publié un entretien téléphonique avec le président. Il y affirmait : « L’une des principales raisons pour lesquelles je vais obtenir un second mandat c’est parce que le candidat républicain et le Parti républicain se sont fortement aliénés le groupe démographique à la croissance la plus rapide dans ce pays, la communauté latino ». Pendant les primaires républicaines, Mitt Romney a défendu le concept d’« auto-expulsion » qui, pour résumer, consisterait à compliquer tellement la vie des sans-papiers que ces derniers quitteraient les Etats-Unis de leur plein gré. L’Etat conservateur en pointe en la matière c’est l’Arizona. Les policiers y sont invités à contrôler les papiers de personnes arrêtées s’ils ont un « doute raisonnable » sur leur statut migratoire. Des contrôles au faciès controversés aux Etats-Unis mais récemment validés par la Cour Suprême après une controverse nationale dans un pays fondé sur l’immigration. Les contrôles d’identité y sont très encadrés : tout profilage racial y est jugé contraire au 4ème amendement de la constitution américaine.

Le problème de Romney et la chance d’Obama sont que les Américains d’origine hispanique sont solidaires de ces 10 millions de clandestins qui font eux aussi tourner l’économie de la première puissance mondiale. La question est donc moins de savoir si les « latinos » iront voter pour le candidat républicain mais plutôt s’ils se déplaceront pour voter à nouveau pour ce démocrate qui tarde à tenir ses promesses, notamment en matière de politique migratoire.

Cet électorat jouera un rôle clé dans des Etats comme le Nevada, le Colorado, la Virginie, la Floride ou l’Ohio. Le scrutin est si serré que leur vote ou leur abstention pourrait faire basculer l’élection.

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