ANALYSES

Politique étrangère : quel impact sur la présidentielle américaine ?

Tribune
31 octobre 2012
Par Anna Dimitrova, Enseignant-chercheur en Relations internationales à l’Ecole supérieure du commerce extérieur (ESCE), Paris
Même si ce troisième duel télévisé sur la politique étrangère a réuni moins de téléspectateurs (59,2 millions) que les précédents, plusieurs sondages instantanés menés auprès d’électeurs indécis dans une dizaine d’Etats-pivots ( swing states ), notamment le Colorado, la Floride, l’Iowa, le New Hampshire, le Nevada, la Caroline du Nord, l’Ohio, la Pennsylvanie, la Virginie et le Wisconsin, montrent qu’Obama a réussi à regagner un avantage face à Romney : 48%-40% pour CNN ou 53%-42% pour l’institut PPP (Public Policy Polling, d’orientation démocrate). Ainsi, le dernier sondage publié le 27 octobre par IPSOS/Reuters donne 47% des intentions de votes en faveur d’Obama contre 45% pour Romney et accorde dans ses estimations du 23 octobre 332 votes de grands électeurs pour Obama contre 206 pour Romney, en supposant qu’Obama l’emporte dans les trois Etats-pivots les plus importants, à savoir la Floride, l’Ohio et la Virginie.

Compte tenu de la remontée d’Obama dans les sondages suite au dernier débat sur les questions internationales, il convient de se demander quel rôle la politique étrangère peut jouer dans cette élection présidentielle.

La politique étrangère n’est traditionnellement pas considérée comme un thème de campagne déterminant aux yeux de l’opinion politique américaine. Il existe cependant quelques exceptions notables. Ce fut, par exemple, le cas en 1972 lorsque le candidat démocrate George McGovern, jugé entre autre comme trop flou sur la question de la guerre au Vietnam, a été devancé de très loin par le républicain Richard Nixon. En 1980, le président démocrate sortant Jimmy Carter a été battu par le républicain Ronald Reagan en partie à cause de son incapacité à gérer la crise des otages américains en Iran. Enfin, en 2004, George W. Bush a su profiter de la « guerre contre le terrorisme » et de l’atmosphère patriotique ayant suivi les attentats terroristes du 11 septembre.

A première vue, l’élection présidentielle de 2012 ne devrait pas être comptée parmi les exceptions car, selon le sondage publié le 22 octobre 2012 par l’institut Gallup les trois thèmes privilégiés par les électeurs américains sont l’économie (37%), le chômage (26%) et le budget fédéral (12%)(1). Les questions liées à la politique étrangère sont loin d’être prioritaires pour les Américains avec 3% seulement pour la guerre en Afghanistan et la guerre en Irak, alors que cette question était considérée comme la plus importante lors de l’élection présidentielle de 2004 (23%), avant même l’économie (21%). La sécurité nationale, quant à elle, est estimée comme prioritaire par seulement 2% des électeurs. En même temps, il est également intéressant de noter que, selon un autre sondage réalisé par Gallup sur la crédibilité des candidats en matière de politique étrangère, Obama devance Romney de 12 points sur les questions internationales (53%-41%) et de 10 points sur le terrorisme et les menaces internationales (52%-42%). C’est en effet quelque chose de nouveau étant donné qu’auparavant, les républicains avaient tendance à être plus crédibles que les démocrates aux yeux de l’opinion publique concernant les thèmes liés à la sécurité nationale. En revanche, à propos de l’économie, Romney arrive en tête avec 49% contre 45% pour Obama(2).

Même si la politique étrangère ne devrait pas être le ticket gagnant pour Obama ou pour Romney le 6 novembre prochain, les deux candidats cherchent néanmoins à bien se positionner sur ce dossier car s’il ne peut pas les faire gagner, il pourrait tout de même contribuer à leur faire perdre la course à la Maison Blanche. En effet, ainsi que l’affirme Justin Vaïsse dans une interview accordée au Monde le 8 octobre 2012, « Avec ce thème, on peut rarement gagner des points, on peut surtout en perdre. Et puis, c’est un domaine qui déteint sur les autres : en politique étrangère on se forge rapidement une image de leader, ou l’image de quelqu’un de mou ». On peut donc se demander qui de Barack Obama ou de Mitt Romney a le plus à perdre le 6 novembre sur l’enjeu de la politique étrangère ?

Ce n’est, en effet, pas un hasard si le républicain Romney fait partie des rares candidats à la présidentielle américaine qui a détaillé son programme de politique étrangère dans un Livre Blanc(3) publié encore le 7 octobre 2011. Son objectif était d’essayer de se distinguer de son adversaire dans un domaine où ce dernier est beaucoup plus expérimenté et perçu comme plus crédible par les Américains. De même, Romney a également pris le risque de faire un discours sur sa stratégie de politique étrangère appelé « The Mantle of Leadership » le 8 octobre 2012 à l’Institut militaire de Virginie en tentant de profiter de sa montée dans les sondages juste après le premier débat présidentiel et de s’attaquer ainsi directement au bilan de politique étrangère du président Obama. La ligne d’attaque de Romney porte notamment sur le leadership exercé par l’Administration Obama qui serait, d’après lui, un « leadership à distance » ( leadership from behind ), notamment au Proche-Orient où le président se serait laissé emporter par les évènements au lieu de les « façonner ». Il estime que cette stratégie est « molle » et « passive » car elle serait basée sur l’acceptation par l’Administration Obama d’un déclin de la puissance américaine, et de l’idée que les Etats-Unis ne peuvent plus agir seuls sur la scène internationale et doivent désormais chercher l’accord des autres nations pour défendre leurs intérêts nationaux. Romney insiste, lui, plutôt, sur la nécessité de revenir à l’idée d’exceptionnalisme américain pour recréer le « siècle Américain » en s’appuyant à la fois sur le « hard » et le « soft power ». Plus concrètement, il prône davantage de fermeté à l’égard des « Etats voyous », notamment la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela et Cuba, ainsi que face à la Russie qu’il qualifie « d’ennemi géopolitique numéro un pour les Etats-Unis » et à la Chine qu’il voit comme « manipulatrice de monnaie ». Enfin, il estime nécessaire l’utilisation « préventive » de tous les outils à la disposition de la puissance américaine pour prévenir des conflits avant qu’ils ne surgissent. La prééminence militaire des Etats-Unis devrait être préservée à tout prix, selon lui, et il s’engage à ce que le budget de la défense ne soit jamais inférieur à 4% du PIB, soit plus de 700 milliards de dollars actuels.

Ainsi défini, le programme de politique étrangère de Romney est qualifié par certains analystes politiques tels que Bruce Jentleson et Charles Kupchan(4) ou encore Justin Vaïsse(5), de « retour du néo-conservatisme », d’autant plus que, selon un article(6) publié dans Foreign Policy, 17 des 24 conseillers de Romney en matière de politique étrangère avaient servi dans l’Administration Bush-Cheney et certains d’entre eux s’affichaient ouvertement comme des néoconservateurs. C’est le cas, par exemple, de John Bolton qui occupait le poste d’ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations Unies et qui soutient aujourd’hui une politique interventionniste face à l’Iran, de Michael Heyden, qui était en tête de la National Security Agency durant la présidence de G. W. Bush ou encore de Robert Kagan, néoconservateur assumé et l’un des défenseurs les plus ardents de l’idée d’exceptionnalisme américain et d’hégémonie américaine. Même si d’autres fractions du parti républicain sont également présentes dans l’équipe de politique étrangère de Mitt Romney, notamment les conservateurs « faucons » privilégiant une stratégie de sécurité nationale axée sur le « hard power », ainsi que les réalistes mettant en avant la défense des intérêts américains sur la base d’un équilibre des puissances sur la scène internationale, Romney semble maintenir le cap du néoconservatisme sur les questions de politique étrangère.

Paradoxalement, cette ligne d’attaque néoconservatrice, qui a été dominante tout au long de la campagne présidentielle de Romney, mais qui, en même temps, rappelait peut-être un peu trop les années G. W. Bush et risquait ainsi de faire perdre au candidat le vote de certains républicains modérés, semble avoir été presque abandonnée lors du dernier débat présidentiel consacré aux questions internationales. Non seulement Romney est apparu beaucoup plus modéré dans ce débat, mais il s’est même montré d’accord avec le président sur plusieurs dossiers, notamment la fin de la guerre en Irak, le retrait des troupes américaines d’Afghanistan d’ici 2014 et même sur deux dossiers très contestés – le dossier iranien au sujet duquel Romney a précisé qu’il n’envisageait l’utilisation de la force qu’en derniers recours, et le dossier syrien à propos duquel il a déclaré ne vouloir armer les rebelles qu’à la condition que ces derniers soient bien organisés et qu’ils partagent les valeurs américaines. Au final, les différences entre Obama et Romney en matière de politique étrangère se sont avérées plus rhétoriques que réelles et seulement trois points semblent avoir distingué les deux candidats. Le premier concerne les dépenses de défense qu’Obama souhaite voir diminuer à la différence de Romney qui, lui, souhaite, comme nous l’avons vu, les maintenir à un niveau de 4% du PIB américain. Le deuxième porte sur la politique américaine face à certains Etats comme la Russie et la Chine qui, selon Romney, devrait être basée sur davantage de fermeté sans pour autant préciser comment il envisage de mener une telle politique de façon concrète. Enfin, la troisième différence concerne l’engagement des Etats-Unis auprès d’Israël que Mitt Romney compte renforcer.

Il est évident que ce que l’on peut percevoir comme un tournant dans la stratégie de politique étrangère de Romney vise à l’éloigner de l’image d’un néoconservateur et à le rapprocher de celle d’un réaliste qui agirait de façon plus résolue que le président Obama sur la scène internationale. Néanmoins, une telle transformation politique à la dernière minute présente aussi des risques car certains électeurs américains vont certainement se demander lequel des deux Mitt Romney – le néoconservateur ou le réaliste –, se retrouverait à la tête du pays si ce dernier devait gagner l’élection le 6 novembre prochain ?

(1)“Economy Is Dominant Issue for Americans as Election Nears”, Gallup, 22 octobre 2012.
(2) “U.S. Foreign Policy Roundup: Candidates and Issues”, Gallup, 22 octobre 2012.
(3) Mitt Romney, “An American Century. A Strategy to Secure America’s Enduring Interests and Ideals”, 7 octobre 2011.
(4) Bruce Jentleson & Charles Kupchan, “A Dangerous Mind”, Foreign Policy, 30 août 2012.
(5) Justin Vaïsse, “Romney Offers Clear Choices. But Are They Sustainable ?” in: Mitt Romney’s Foreign Policy Agenda, The Brookings Institution, 9 octobre 2012.
(6) Adam Smith, “The Romney-Cheney Doctrine”, Foreign Policy, 12 juillet 2012

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