ANALYSES

Changement de Premier ministre : le Royaume-Uni arrivera-t-il à sortir de l’impasse ?

Interview
28 octobre 2022
Le point de vue de Sylvie Matelly


Après seulement 45 jours en tant que Première ministre, Liz Truss a annoncé sa démission le 20 octobre. Son successeur, Rishi Sunak, prend alors ses fonctions dans un contexte de crise politique concilié à une situation économique chancelante. Dans quelle mesure ce contexte a-t-il contribué à la démission de Liz Truss ? Quelle est sa part de responsabilité ? Le nouveau Premier ministre arrivera-t-il à faire sortir le pays de l’impasse ? Le point avec Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Jeudi 20 octobre, seulement 45 jours après son arrivée à Downing Street, Liz Truss a annoncé qu’elle quittait son poste de Première ministre. Dans quelle mesure le contexte actuel explique-t-il cette démission ?

Plusieurs éléments de contexte ont mené à la démission de Liz Truss. Le contexte économique actuel du Royaume-Uni a bien évidemment contribué à compliquer sa tâche et nettement réduire ses marges de manœuvre. Le pays connait une forte inflation. Elle dépasse en effet les 10% mais pourrait encore s’amplifier dans les mois qui viennent. Cet été, la banque d’Angleterre a annoncé qu’elle pourrait dépasser les 13% en novembre, soit un plus haut depuis 1982. Cette inflation s’est accélérée depuis la guerre en Ukraine bien évidemment. Une inflation qui augmente, c’est aussi la perspective de taux d’intérêt qui augmentent et par conséquent d’un endettement (dont la dette publique) qui devient plus lourd, voire insoutenable… Or, le Brexit a conduit à amplifier la dette publique alors que parallèlement, l’isolement du pays a réduit les garanties que pouvait offrir le fait d’être membre de l’Union européenne.

Les effets du Brexit sont donc une autre explication de ces difficultés politiques. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a pas été un choc brutal comme on l’attendait. Son économie s’est plutôt affaiblie progressivement sans que les conservateurs au pouvoir ne parviennent à redresser la situation. Liz Truss a été beaucoup critiquée sur son « mini budget » qui a fait fuir les investisseurs étrangers, mais ce qu’il faut bien voir c’est que, déjà depuis 2016 et le référendum sur le Brexit, les investisseurs étrangers sont extrêmement regardants et dubitatifs sur les perspectives d’avenir de l’économie du pays. Le nombre d’investissements étrangers s’est tendanciellement réduit depuis 2016 sans être compensé par une dynamique d’investissement national. Cela pèse sur une économie qui était avant 2016 parmi les plus dynamiques des pays du G7 ou de l’Union européenne.

La responsabilité incombe grandement aux conservateurs. Le Brexit a été géré d’une manière qui se voulait la moins indolore possible pour la population du pays (ironie du sort quand on voit la situation économique du pays). Les pros Brexit avaient affirmé pendant la campagne pour le référendum que l’adhésion à l’UE coûtait très cher et qu’en sortir rapporterait beaucoup (le fameux « Get our money back »). C’était un mensonge éhonté qui oubliait combien ce pays avait bien négocié sa participation à l’Union mais aussi sous-estimé l’avantage économique d’une telle intégration pour les pays membres. Rappelons que le marché unique, ce sont des marchandises, des personnes et des capitaux qui circulent librement en Europe c’est-à-dire sans droits de douane ou même frais et temps pour remplir des formulaires administratifs pour passer les frontières. Afin d’éviter d’avoir à avouer ce mensonge, les conservateurs ont choisi de compenser à la livre sterling l’ensemble des aides qui permettaient l’adhésion à l’UE. Les aides aux agriculteurs liées à la politique agricole commune ont donc été substituées par des aides britanniques, les bourses Erasmus idem etc. Cela a coûté cher sans parler des recrutements de douaniers ou de fonctionnaires pour assurer le Brexit qui, en situation de plein emploi, se sont avérés plus compliqués et donc coûteux.

La dépense publique a augmenté et avec elle la dette publique dans une situation de Brexit, donc plus à risque de défaut que pour les membres de l’Union européenne, a fortiori pour la France, l’Italie, l’Espagne et d’autres pays, qui sont dans une zone monétaire unique avec la zone euro.

Liz Truss n’a-t-elle pas aussi une certaine responsabilité ?

Liz Truss a une énorme responsabilité dans son échec. Elle n’a en effet pas du tout compris la situation économique dans laquelle se trouvait le pays lorsqu’elle devient Première ministre. A-t-elle été aveuglée par les histoires que racontait le parti conservateur autour d’un Brexit qui devait renforcer le  Royaume-Uni ? A-t-elle fait preuve d’une confiance en elle et en ses idées démesurées ? C’est difficile à dire. Il est certain qu’en plus de mal appréhender une situation économique, elle n’a pas non plus su comprendre que son pays avait profondément changé depuis l’époque de Margaret Thatcher, son idole en politique. La globalisation change l’économie et au Royaume-Uni, elle est devenue très dépendante des financements extérieurs. Elle a par ailleurs changé les individus. La montée de l’individualisme depuis 30 ans s’est traduite aussi par la défense d’intérêts propres et l’effacement des hiérarchies.

Les politiques qui consistaient à faire bouger les masses comme l’a fait Margaret Thatcher ne fonctionnent plus. L’individu veut plus de justice sociale, pouvoir profiter de la prospérité économique et être protégé en cas de difficultés. Liz Truss avait proposé durant sa campagne de réduire massivement les impôts des plus riches et ne comptait pas aider les gens qui étaient les plus touchés par la situation économique et par l’inflation, en particulier sur les produits énergétiques. Son parti ayant compris le danger d’une telle politique, elle a dû quelque peu modifier sa ligne pour avoir une chance de gagner la partie en promettant d’aider de manière assez notable les populations les plus fragilisées. Cependant, elle a maintenu son plan de réduction d’impôts. Elle dépensait donc d’un côté sans financer de l’autre. Les investisseurs ont ainsi pris peur dans une situation où l’économie britannique et le budget public sont déjà largement fragilisés par le Brexit.

Le nouveau Premier ministre, Rishi Sunak, a pris ses fonctions ce 25 octobre. Dans quelle mesure sa nomination peut-elle permettre au Royaume-Uni de sortir de l’impasse politique et économique ?

Il est très difficile de se prononcer sur une possible sortie de l’impasse politique et économique dans laquelle se trouve ce pays aujourd’hui. Il est certain que les conservateurs sont très mal placés pour le faire. Ils n’ont eu de cesse de s’éloigner de l’Europe sans pour autant parvenir à convaincre les États-Unis ou d’autres pays comme ceux du Commonwealth de se rapprocher d’eux. Or, stopper l’isolement croissant du pays est une priorité qui s’ajoute à celle de la situation économique et financière du pays et de la population de ce pays.

La tâche de Rishi Sunak va être extrêmement compliquée, car ce sont les conservateurs qui ont conduit au Brexit et qui ont menti sur ses conséquences. Ils ne sont pas capables d’adapter leur politique et de faire de la pédagogie auprès de la population en expliquant les efforts à mettre en œuvre pour négocier correctement les conséquences de ce Brexit et redresser le pays. Il y a deux raisons potentielles à cela : soit les conservateurs n’assument pas leurs responsabilités, soit ils sont dans le déni et on a du mal à se rendre compte de la situation. Ils semblent continuer de croire que le Royaume-Uni peut se sortir de cette situation avec les mêmes recettes que par le passé. Or, un pays ne peut pas pratiquer les mêmes politiques économiques quand il est inclus dans une intégration économique comme l’Union européenne que lorsqu’il est isolé et qu’il se retrouve directement confronté à la mondialisation avec tous ses effets pervers. Paradoxalement, il perd des marges de manœuvre en quittant l’Union européenne. Il reste à savoir si ce Premier ministre aura la capacité de comprendre ce qui est en jeu et aura le courage politique de faire prendre un tournant à son pays qui peine à trouver des partenaires alternatifs aux partenaires européens.

Pour ce faire, le Royaume-Uni doit d’une part trouver des alliés et partenaires alternatifs et se rapprocher de l’Union européenne en réfléchissant à la manière dont cette nouvelle relation pourrait fonctionner ; et d’autre part, modifier sa politique économique et parvenir à accompagner les plus précaires et les entreprises.

Cela va supposer des choix à rebours de ce qui a été fait ces dernières années. Cela n’engage pas  forcément le pays à des restrictions budgétaires qui paupériseraient davantage les populations les plus affectées par la situation économique. Si le nouveau Premier ministre veut soutenir les populations les plus paupérisées avec un véritable plan de relance et de stabilisation de cette économie, il faudra accepter d’aller prélever des impôts sur les populations les plus aisées. Là encore, le Parti conservateur n’est probablement pas le mieux placé pour mener ce type de politique.
Sur la même thématique