ANALYSES

Amérique latine : la discrimination des femmes n’y fait pas exception

Tribune
2 septembre 2021


Si l’on s’en tient aux médias « mainstream », la condition des femmes afghanes se trouverait au cœur des préoccupations occidentales et extrême-occidentales. L’Extrême-Occident, plus précisément l’Amérique latine, ferait figure de modèle opposé avantageusement aux réalités afghanes, au même titre que l’Amérique du Nord et l’Europe.

On n’abordera pas ici la nature de la part existant entre l’intervention armée occidentale à Kaboul et la situation de la femme afghane, afin de provoquer selon le jargon interventionniste un « regime change ». Pas plus qu’on ne traitera de la primauté accordée à cette question dans le désengagement militaire des Occidentaux. Quelques ajustements toutefois sont proposés ici, hors « regime change », concernant l’état des lieux latino-américains, contexte mieux connu par l’auteur de ce billet.

L’ex-présidente du Chili Michelle Bachelet, latino-américaine, aujourd’hui Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, a, cela dit, le 24 août 2021, posé en termes vigoureux le cadre éthique de ce qui pourrait légitimer une nouvelle intervention. La façon dont seront traitées les femmes et les filles, a-t-elle dit ce jour-là, constituera une ligne rouge. Faute de quoi, une action unie et sans équivoque des États membres signalera aux Talibans qu’un retour à ces pratiques ne sera pas accepté par la communauté internationale.

Ladite « Communauté internationale » s’accommode pourtant, sans particulière réticence, des errements discriminatoires dont sont victimes les femmes latino-américaines. Et en premier lieu de leur droit à la vie, contesté par la violence masculine.

L’Observatoire de l’égalité des genres de l’Amérique Latine et de la Caraïbe a signalé l’assassinat de 3529 femmes en 2018. Les taux les plus élevés sont enregistrés au Salvador (6,8/100 000 femmes) et au Honduras (5,1/100 000 femmes). En chiffres absolus, le Brésil et le Mexique sont en tête de ce classement avec respectivement 1206 et 898 féminicides. Le quotidien péruvien La Republica indiquait le 3 décembre 2019 qu’une femme était assassinée au Pérou toutes les 48 heures. En 2019, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONU a tiré la sonnette d’alarme : 12 féminicides sont enregistrés chaque jour en Amérique latine, qui, selon la CEPAL, serait la région du monde avec les taux de violences à l’égard des femmes les plus élevés du monde. De fait, sur les 25 pays du monde aux taux les plus marquants, on en trouve 13 en Amérique latine et dans la Caraïbe.

La maîtrise de leur corps n’est toujours pas admise de façon universelle. L’IVG est condamnée par la loi au Honduras, au Nicaragua et au Salvador. Aux antipodes, Argentine, Uruguay et la ville de Mexico l’ont dépénalisée. Les autres pays ne l’autorisent quant à eux que pour des circonstances exceptionnelles : mise en danger de la vie de la mère, non-viabilité du fœtus, viol, inceste. Les codes de la famille selon une étude conjointe d’ONU femmes et du Secrétariat général ibéro-américain, signale que dans un certain nombre de pays, les femmes ne bénéficient pas de droits égaux à ceux reconnus aux hommes. L’âge requis pour se marier est par exemple beaucoup plus bas pour les jeunes filles à peu près partout, à l’exception de l’Argentine, du Chili, de l’Équateur, et du Salvador.

Dans d’autres secteurs, en particulier l’accès à la propriété et au crédit, le constat est celui d’une discrimination indirecte. Bien qu’inclusive, la loi s’applique en réalité difficilement. Seulement 30% des femmes détiennent des terres agricoles. Avec de gros écarts entre les pays : elles sont par exemple 8% au Guatemala et 30% au Panama. Les mêmes remarques peuvent être faites concernant la présence des femmes sur le marché du travail. 56% des femmes avaient, avant le coronavirus, une activité rémunérée, contre 85% des hommes.

Ce contexte d’inégalités a été amplifié par la pandémie de la Covid-19. Selon la CEPAL, la participation des femmes au marché du travail a chuté à 46% en 2020. Un pourcentage qui est le double de celui constaté pour les hommes. L’OIT (Organisation internationale du travail) a chiffré à 13,1 millions le nombre de femmes latino-américaines ayant perdu leur emploi en 2020. Ce repli est encore plus fort pour les femmes noires. D’après l’institut brésilien IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistiques), le taux de femmes noires au chômage a atteint les 18,2% en 2020. Le phénomène a été si violent qu’une économiste argentine, Candelaria Botto, a pu le qualifier de « féminisation de la pauvreté »[1]. Qui plus est, à la pauvreté est venue s’ajouter la violence. L’ISP de Rio (Institut de sécurité publique) a enregistré 250 cas de violences à l’égard des femmes pendant le confinement entre les 13 mars et 31 décembre 2020[2]. Constat confirmé en Équateur dans la province d’Azuay par le SIS (Service intégral de sécurité)[3].

En conclusion, tout ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes extrême-occidental. Même si en Amérique latine le quotidien des femmes n’est pas, en septembre 2021, aussi incertain qu’en Afghanistan. Des collectifs de femmes en Argentine, en Colombie, au Mexique parviennent en effet à forcer les gouvernants à respecter leurs revendications. En février 2020, l’ex-président équatorien Lenin Moreno a ainsi présenté ses excuses pour un propos déplacé sur le harcèlement où il affirmait que les femmes ne dénonceraient que si l’auteur est « un homme laid ». Près d’un an plus tard, AMLO, Andrès Manuel Lopez Obrador, président en exercice du Mexique, après avoir dénoncé la main de la droite agitant le féminisme, s’est vu contraint de préciser, le 8 mars 2021, « qu’il n’avait rien contre le féminisme (..), mais qu’il condamnait « la corruption et la manipulation ».

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[1] In « Ambito financiero », 7 mars 2021

[2] In Jornal do Brasil, 8 mars 2021.

[3] In El Mercurio de Cuenca, 8 mars 2021
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