ANALYSES

Action climatique : quelles dynamiques pour quels effets ?

Interview
21 janvier 2021
Le point de vue de Sofia Kabbej


Le réchauffement climatique et ses enjeux ne cessent de gagner en importance dans le débat international en raison de leur impact sur les États et leur économie. Les initiatives en lien avec cette thématique se multiplient : sommets interétatiques, évènements impliquant États et société civile, recours judiciaires à l’encontre de certains pays – à l’image de l’« Affaire du Siècle » en France. Pour quels effets ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS, au sein du Pôle Climat, énergie, sécurité.

Quelle est la dynamique actuelle des négociations climatiques internationales ? Que devons-nous attendre de la COP26 ?

Depuis 2015, les négociations climatiques se sont concentrées sur l’élaboration des règles nécessaires à la mise en œuvre transparente et équitable de l’Accord de Paris (AP). Cela s’est traduit par l’adoption en 2018 du Paquet de Katowice (Katowice rulebook), qui énonce les procédures et mécanismes essentiels à son opérationnalisation. Y sont notamment énoncées les directives relatives aux contributions déterminées à l’échelle nationale (CDN), la communication sur les efforts d’adaptation, les règles de fonctionnement du cadre de transparence et du bilan mondial[1], ainsi que le processus d’établissement de nouveaux objectifs en matière de financement à partir de 2025.

La COP26 constitue un moment politique très important dans la mesure où il est demandé aux États signataires de l’AP de rehausser leur niveau d’ambition en soumettant de nouveaux objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES)- ceux soumis en 2015 étaient largement insuffisants pour atteindre l’objectif de 2°C fixé par l’AP. On observe depuis quelques mois une dynamique encourageante avec les engagements de neutralité carbone de nombreux pays, dont la Chine, le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), mais aussi d’acteurs privés dont Total, Danone, Microsoft ou Amazon. Dans les prochaines années, une question centrale sera celle de la mise en œuvre des objectifs à moyen et long-terme– alors même que la communauté scientifique alerte sur la dépendance des scénarios climatiques et des acteurs s’engageant vers la neutralité carbone au déploiement de technologies à émissions négatives, très controversées.[2]

Le retour des États-Unis dans les négociations devrait s’accompagner d’engagements plus ambitieux qu’ils ne l’étaient jusqu’alors. Ce retour d’un des plus gros pollueurs au sein de l’AP est pour autant à nuancer quant à la dynamique positive que cela pourrait engendrer. Il faut en effet rappeler que les États-Unis n’ont jamais été moteurs des négociations climatiques – ils avaient notamment pris la tête du groupe de pays plaidant pour que l’Accord de Paris ne contienne aucune obligation pour les États signataires. D’autre part, le financement vers les pays les plus pauvres doit considérablement augmenter afin d’atteindre les 100 milliards de dollars US par an – et de permettre aux pays les plus pauvres, et également les plus affectés, de s’adapter.

Que représente réellement l’Affaire du Siècle ? Y aura-t-il un réel impact sur l’action climatique de la France ?

Le recours au droit afin de faire pression sur les États pour les contraindre à accélérer leurs actions face au changement climatique augmente depuis quelques années. En 2019, on comptabilisait 1 000 procès à l’encontre de gouvernements, dans 28 pays différents.[3] Cette même année en France, c’est l’Affaire du Siècle qui a marqué les esprits – notamment du fait des plus de 2 millions de signatures récoltées en soutien à cette action. Le recours déposé en mars 2019 devant le tribunal administratif de Paris afin d’engager la responsabilité de l’État en raison de sa carence fautive à agir pour le climat, a donné lieu à la tenue le 14 janvier dernier du premier grand procès climatique en France.

Suite à l’audience, trois points principaux sont à souligner. Premièrement, la rapporteure publique estime que l’État a bien commis une faute, qui engage sa responsabilité, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements en matière d’atténuation. Deuxièmement, elle propose au tribunal de condamner l’État à verser aux ONG requérantes la somme de 1 euro symbolique pour la réparation du préjudice moral causé. Enfin, la rapporteure publique propose au tribunal de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique devant les juridictions administratives, alors qu’il n’était jusqu’à présent retenu que devant les instances judiciaires.

Concernant la capacité de la justice à contraindre l’État à prendre des mesures supplémentaires pour aligner son action avec ses engagements dans le cadre de l’Accord de Paris, la rapporteure n’écarte pas une injonction à agir. Pour les quatre ONG porteuses de l’action (la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, Notre Affaire à tous, et Oxfam), « si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique, (…) ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat et pour la protection de chacun et chacune face aux conséquences du dérèglement climatique ».[4] La décision du tribunal devrait être rendue d’ici la fin du mois de janvier.

Quels impacts l’augmentation de la température moyenne a sur l’occurrence de catastrophes naturelles ? Quelles sont les conséquences sur les inégalités et disparités entre pays ?

Selon des modélisations, on estime l’augmentation de la température moyenne à un intervalle entre +0,9°C et +1,07°C depuis la révolution industrielle[5]. Ce réchauffement de la température autour du globe est la cause de nombreuses perturbations du système climatique, qui se traduisent notamment par l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, glissements de terrains, feux de forêt, cyclones, etc.).

D’après un rapport récent du United nations Office for Disaster Risk Reduction[6], les catastrophes naturelles ont presque doublé au cours des vingt dernières années, touchant tous les continents. Entre 2000 et 2019, elles ont causé la mort de 1,2 million de personnes, et ont affecté un total de 4,03 milliards de personnes. Ces évènements ont tendance à toucher et tuer un nombre plus élevé de personnes dans les pays à faible revenu, mais y causent des pertes économiques moins importantes que dans les pays à revenu élevé. D’ici 2030, il est estimé que les catastrophes naturelles feront environ 150 millions de victimes et coûteront 20 milliards de dollars par an.[7]

De manière générale, la hausse de la température moyenne est plus préjudiciable à la productivité économique dans les pays où le climat est le plus chaud, et cela continuera à exacerber les inégalités, notamment les écarts de revenu entre les pays.[8] Une étude récente[9] montre que l’éloignement des 1,5°C est plus coûteux que ce que l’on pensait jusqu’alors : les pays tropicaux seraient ainsi 5% plus pauvres qu’ils ne l’auraient en l’absence de perturbations climatiques.[10]

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[1] Le 1er est prévu pour 2023.

[2] Sofia Kabbej, « Neutralité carbone : les dessous d’une jolie promesse ». Décembre 2020. Institut de relations internationales et stratégiques

[3] J.Setzer et R.Byrnes. « Global trends in climate change litigation,Grantham Research Institute on climate change and the environment ». 2019. p.3

[4] Greenpeace. « Audience de l’Affaire du Siècle au tribunal : un pas de plus vers une victoire historique pour le climat ». 14 janvier 2021.

[5] Courrier international. «  L’augmentation de la température moyenne de la Terre est plus importante qu’on ne le pensait ». Environnement. Science & Techno. 16 décembre 2020

[6] UN Office for Disaster Risk Reduction, Human cost of disasters: an overview of the last 20 years, octobre 2020,

[7] ONU Info, « 150 millions de victimes des catastrophes par an d’ici 2030, selon un rapport de l’ONU », 13 octobre 2020.

[8] Ibid.

[9] Marshall Burke et Vincent Tanutama, “Climatic constraints on aggregate economic output”, National Bureau of economic research, Avril 2019.

[10] Martin Anota, « Le réchauffement climatique pèse sur la croissance… surtout celle des pays pauvres », Alternatives économiques, 20 mai 2019.
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