05.12.2024
One Planet Summit : une mobilisation inédite autour des enjeux marins, avec quels effets ?
Interview
12 janvier 2021
Les enjeux marins ont appartenu pendant longtemps aux sujets qui peinent à s’insérer dans les relations internationales, malgré leurs intérêts primordiaux pour l’humanité. Toutefois, de plus en plus d’initiatives sur cette thématique voient le jour à l’image du One Planet Summit du 11 janvier qui en a largement traité. Entretien avec Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS, responsable du Programme Climat, énergie et sécurité.
La question des enjeux maritimes semble de plus en plus prégnante sur la scène internationale. Quels en sont les enjeux ?
Les enjeux maritimes sont en effet de plus en plus visibles dans les négociations portant sur le climat ou la biodiversité comme au sein d’enceintes plus larges, comme l’ONU ou l’OMC. Cela découle d’une prise de conscience progressive de l’importance des liens terre-mer, et donc des interactions entre nos activités, la santé de l’océan et les ressources naturelles que nous utilisons au quotidien. L’océan étant un réservoir unique de biodiversité et un élément clé du système climatique (élément dont on ne comprend pas encore tous les mécanismes), les questions marines sont discutées de manière croissante dans les instances de négociations environnementales.
Par ailleurs, les territoires émergés sont aujourd’hui quasiment entièrement occupés par les Hommes et l’espace marin reste l’un des seuls partiellement inexploré et encore difficile d’accès. Les appétits s’aiguisent et de nombreux acteurs, gouvernementaux comme économiques, cherchent à exploiter les ressources marines. C’est également cette course vers les technologies qui rendent l’accès à certaines zones possible ou l’exploitation de certaines ressources plus efficace qui marque l’importance croissante des enjeux maritimes. Les États se penchent donc avec plus d’intérêt sur les opportunités liées à l’espace marin, que ce soit en termes de puissance militaire, stratégique ou économique. Cela implique, de fait, une menace croissante sur les écosystèmes marins et la nécessité d’en protéger certains.
Le One Planet Summit a décidé cette année de se concentrer sur la question des océans. Quelle peut être sa portée sur les enjeux maritimes ?
Le One Planet Summit est un rendez-vous quasi annuel, initié par la France et permettant de porter des messages liés à la lutte contre le changement climatique. Cette année, il a tout particulièrement porté sur la biodiversité, dont la biodiversité marine (dont seuls 9% nous seraient connus et 91% restant à découvrir). Parmi les grands sujets du One Planet Summit du 11 janvier, la protection et la conservation de la biodiversité : la France et le Costa Rica portent depuis 2019 la coalition de haute ambition pour la Nature. Cette initiative rassemble une cinquantaine d’États, maintenant, et a pour objectif la protection de 30% des espaces naturels d’ici 2030, notamment des espaces marins.
Le One Planet Summit a fait le choix de porter au cœur des sujets climats la biodiversité, car les deux sont intimement liés : les changements climatiques affectent la biodiversité, tandis que de nombreuses espèces biologiques sont indispensables à l’équilibre du cycle du carbone et de celui de l’eau. L’année 2021 est d’ailleurs considérée comme une échéance clé : d’une part, car de nombreux objectifs en termes de biodiversité comme de climat (les ODD, mais aussi les cibles d’Aichi) avaient pour date butoir 2020 et les bilans vont pouvoir être faits ; d’autre part, car les conférences des Parties (COP) des conventions de l’ONU sur le climat et la biodiversité vont avoir une importance cruciale dans le rehaussement et la mise en place de nouveaux objectifs. Ainsi, la COP15 sur la biodiversité, prévue pour octobre à Kunming en Chine, devrait permettre de statuer sur ces objectifs de protection de 30% des espaces naturels d’ici 2030. D’autre part, la COP26 sur le climat constitue une étape clé, à la suite de la COP21, pour que les pays communiquent de nouveaux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup en ont déjà fait part, comme la Chine, le Japon, l’UE ou la Corée, qui se fixent pour cible la neutralité carbone à 2050 ou 2060.
Le One Planet Summit a donc en quelque sorte inauguré une année pleine de promesses, donné une première impulsion, qui, je l’espère, mènera loin.
Quel est l’état des initiatives sur la thématique des océans ? La signature de traités ou la mise en place de ministère dédié exclusivement à la mer, à l’image de l’initiative française, se multiplient-elles ?
La thématique des océans infuse différentes négociations, et c’est très positif, car parler de climat ou de biodiversité sans parler d’océan n’a pas de sens. Des discussions spécifiques sont également en cours : le statut de la biodiversité dans les eaux internationales, à travers les négociations onusiennes appelées BBNJ (biodiversity beyond national jurisdictions), les subventions irriguant la pêche (un sujet traité par l’OMC). L’océan est un espace en perpétuel mouvement, qui lie les différents continents. À ce titre, les traités et les accords internationaux sont indispensables. La dynamique d’accords de protection et de gestion durable des ressources marines est donc clé. Cette transversalité du maritime est aussi ce qui est à l’origine de la mise en place du ministère de la Mer. La gestion d’un espace aussi divers, aux acteurs aussi variés et aux frontières aussi difficiles à surveiller nécessite une forte coopération interministérielle et le ministère de la Mer constitue, selon moi, un chef d’orchestre indispensable. De nombreux pays s’étaient déjà « équipés » d’un ministère de la Mer. C’est le cas notamment du Portugal, grande nation maritime aussi. Si la mise en place de ministères de la Mer dans les autres pays n’est pas indispensable à une gestion commune durable des espaces marins, elle ne pourrait être que positive, car alors les interlocuteurs d’une part et d’autres des frontières auraient en tête tous les liens entre les hommes et la mer. Cela évitera le fractionnement de l’information, frein à une appréhension globale de l’océan.