ANALYSES

[L’Amérique post-Trump vue du campus] Cinq questions à Robert Jervis

Interview
25 novembre 2020
Entretien avec Robert Jervis, enseignant en relations internationales à l’Université Columbia, réalisé par Romuald Sciora, essayiste, chercheur associé à l'IRIS.


« Vue du campus » est une minisérie de courtes interviews réalisées par Romuald Sciora, essayiste et chercheur associé à l’IRIS, auprès d’universitaires états-uniens. Chacun d’entre eux, via son champ d’expertise, tentera d’ici au 20 janvier 2021, jour de l’inauguration de la prochaine administration américaine, d’anticiper ce que sera la politique étrangère de Joe Biden.

Cette semaine, c’est Robert Jervis, enseignant en relations internationales à l’Université Columbia, qui nous livre son analyse. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des enjeux nucléaires. Le magazine Foreign Policy l’a désigné comme l’un dix plus importants universitaires américains. Il nous livre son analyse sur l’élection de Joe Biden et sur ce que l’on peut attendre de la prochaine administration américaine notamment sur les dossiers iranien, nord-coréen et russe.

Êtes-vous surpris par les résultats de l’élection du 3 novembre ?

Ici, à Columbia, cela a été un vrai choc. Nous espérions un raz-de-marée démocrate et nous nous retrouvons avec un Donald Trump qui a amélioré son score de 2016 et un Sénat qui va probablement rester à majorité républicaine ! La présidence Biden risque d’être une présidence faible. Et fragile aussi. À cause des élucubrations de Trump, une partie importante de la population va continuer à croire que l’élection a été truquée.

Que peut-on attendre de la prochaine administration américaine quant à l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ?

Il va être difficile de revenir au JCPoA tel qu’il était avant l’arrivée de Donald Trump. Ce dernier n’est pas simplement sorti de l’accord, il a fait imposer à l’Iran des sanctions justifiées selon lui par la lutte contre le terrorisme. Légalement, il va être très compliqué pour l’administration Biden de revenir dessus. Et on sait que pour Téhéran, la levée des sanctions est la condition sine qua non.  On peut même imaginer que les Iraniens vont demander des compensations. Sans parler de leur prochaine élection présidentielle qui va avoir lieu au printemps. On peut être sûr que le sujet va être un des enjeux majeurs de la campagne. Dans tous les cas, je reste certain que Joe Biden va tout faire pour tenter d’apaiser les choses. Espérons qu’il réussira.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, soulignant que le traité américano-russe New Start pourrait expirer au début de l’année prochaine, a récemment demandé à la Fédération de Russie et aux États-Unis de le proroger sans délai pour une durée de cinq ans. Pouvons-nous espérer voir une reprise de la coopération russo-américaine dans le domaine de la réduction des arsenaux nucléaires ?

L’ironie, c’est que malgré des rapports chaleureux, voire une certaine admiration, entre Trump et Poutine, les relations entre les deux pays n’ont jamais été si mauvaises depuis la guerre froide. Et cela risque d’empirer avec Joe Biden. En effet, avec ce dernier, la ligne de confrontation russo-américaine s’étendra aux questions de politique interne, comme les droits de l’Homme et la démocratie, ce dont Trump se souciait comme d’une guigne. Mais oui, je crois que malgré cela nous pouvons espérer voir une reprise de la coopération entre les deux pays pour ce qui est de la réduction des arsenaux nucléaires.

Quid de la Corée du Nord ?

Un autre dossier brûlant ! Pour la forme, on en a certainement terminé avec le flirt et les love letters. Mais sur le fond, les choses ne devraient pas vraiment bouger. Je pense même qu’on en reviendra à la position qui était celle de l’administration Clinton qui a surtout cherché à éviter de prendre des risques dans la péninsule coréenne.

Pour conclure, revenons-en brièvement à la politique intérieure et anticipons un peu. Donald Trump aurait déclaré à des proches qu’il s’opposerait au cours des prochaines semaines à tout stimulus et aide financière à l’intention de la population américaine pourtant très éprouvée depuis le début de la pandémie de Covid-19. Et cela, toujours d’après les mêmes sources, afin que Biden trouve à son arrivée « un pays en ruine ». Craignez-vous que les démocrates perdent leur majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat qui vont venir très vite ? Le Congrès serait alors dans son ensemble sous le contrôle des républicains.

Cela ne serait pas inhabituel. Il est fréquent que l’opposition remporte les midterm. Les chances sont encore plus grandes ici à cause de la crise financière et sociale sans précédent qui devrait suivre la pandémie. Une partie importante des électeurs risque d’en imputer les causes à la gestion des démocrates. La vraie question est de savoir si d’ici là le Parti républicain sera toujours sous l’influence de Trump ou non. Beaucoup va dépendre de la façon dont Mitch McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat, se positionne au cours des prochains mois. Il faudrait qu’il ait le courage de rompre avec le milliardaire new-yorkais. Mais vu la popularité de celui-ci auprès de la base républicaine, rien n’est moins sûr.
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