ANALYSES

[L’Amérique post-Trump vue du campus] Cinq questions à Harvey Feigenbaum

Interview
18 novembre 2020
Entretien avec Harvey Feigenbaum, enseignant en relations internationales à la Elliott School de l’université George Washington, réalisé par Romuald Sciora, essayiste, chercheur associé à l'IRIS.


« Vue du campus » est une minisérie de courtes interviews réalisées par Romuald Sciora, essayiste et chercheur associé à l’IRIS, auprès d’universitaires états-uniens. Chacun d’entre eux, via son champ d’expertise, tentera d’ici au 20 janvier 2021, jour de l’inauguration de la prochaine administration américaine, d’anticiper ce que sera la politique étrangère de Joe Biden.

Cette semaine, c’est Harvey Feigenbaum, enseignant en relations internationales à la Elliott School de l’université George Washington, située au cœur de la capitale fédérale américaine, qui nous livre son analyse. Il est un spécialiste reconnu de l’Union européenne et de la politique française.

 Que peuvent attendre de l’administration Biden les alliés historiques des États-Unis comme la France et l’Allemagne ?

Je m’attends à ce que les relations américaines avec l’Allemagne et la France en reviennent plus ou moins à ce qu’elles étaient sous l’administration Obama. Néanmoins, Joe Biden qui a une longue expérience de coopération avec nos alliés est probablement un peu plus orienté vers l’Europe que ne l’était Obama, qui s’est essentiellement concentré sur l’Asie. Biden est également beaucoup plus susceptible de favoriser les approches multilatérales. Dans ce sens, l’Allemagne et la France devraient toutes deux être considérées par la nouvelle administration américaine comme des acteurs cruciaux du système multilatéral.

À quoi l’Union européenne, prise dans son ensemble, doit-elle s’attendre ?

Joe Biden est un fervent partisan de l’Union européenne. Il a vivement regretté la décision du Royaume-Uni de la quitter. Cela dit, la principale différence entre Biden et Obama est que Biden a fait campagne sur un projet de politique commerciale plus nationaliste que l’ancien président américain, en mettant l’accent sur l’amélioration de l’emploi aux États-Unis. Il ne sera pas aussi ouvertement protectionniste que Trump, mais je pense qu’il continuera de défendre Boeing contre Airbus et que les tensions commerciales avec l’Union européenne persisteront malheureusement dans plusieurs secteurs… Mais dans tous les cas, Biden sera moins susceptible de surprendre les Européens avec des mesures unilatérales chocs. Les préoccupations concernant le gazoduc Nordstream 2 se poursuivront, mais il est peu probable que ce soit un obstacle majeur. En ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, les choses sont plus positives. Il va y avoir sans aucun doute une collaboration beaucoup plus étroite entre les États-Unis et l’UE sur les réponses à apporter.

La « relation spéciale » avec le Royaume-Uni va-t-elle perdurer ?

Comme déjà mentionné, Joe Biden a toujours pensé que le Brexit était une mauvaise idée. Contrairement à Trump, il ne sera donc pas pressé de conclure un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni. En ce qui concerne la « relation spéciale », c’est quelque chose dont on entend beaucoup plus parler au Royaume-Uni qu’aux États-Unis ! Cela étant, les États-Unis ont toujours étroitement travaillé avec les Britanniques dans le domaine du renseignement. Cette coopération a connu beaucoup plus de bas que de hauts avec Trump, mais les choses devraient rapidement revenir à la normale. Dans tous les cas, Biden ne semble pas être quelqu’un de rancunier, je ne m’attends pas à ce qu’il « punisse » Boris Johnson pour son étroite association avec Donald Trump. Mais les Britanniques doivent être réalistes, le Royaume-Uni importe beaucoup moins aux États-Unis que les États-Unis au Royaume-Uni. Les États-Unis devraient donc continuer à évoquer la « relation spéciale » uniquement lorsqu’ils auront quelque chose à en attendre…

Quelle devrait être l’approche de l’administration Biden face à la crise qui perdure entre la Russie et l’Ukraine ?

Je m’attends bien évidemment à ce que les États-Unis soutiennent l’Ukraine plutôt que la Russie, mais cela n’ira pas plus loin que de fournir à Kiev les armes que nous nous étions engagés à livrer sous l’administration Obama. Les États-Unis devraient également soutenir les efforts ukrainiens pour éradiquer la corruption. J’espère par ailleurs que les efforts pour sanctionner Poutine et ses alliés se poursuivront. 

Et en ce qui concerne l’impasse politique en Biélorussie ?

Les États-Unis devraient collaborer avec l’Union européenne pour soutenir l’opposition démocratique. Mais je ne m’attends pas à voir des actions allant au-delà de sanctions économiques et du soutien rhétorique à la démocratie.
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