ANALYSES

Argentine : mort de Quino, dessinateur honoré, ambassadeur méconnu

Tribune
10 octobre 2020
 


Quino, l’inventeur d’une philosophe en herbe, et de papier illustré, Mafalda, est mort il y a quelques jours, à Luján de Cuyo, au nord de l’Argentine. Depuis cinquante-six ans, Mafalda, petite fille, hors d’âge, déroulait son irrévérence de bon sens, de bulle en bulle, de BD en BD, dans un pays qui en avait et en a toujours bien besoin. Besoin généreusement partagé. Mafalda a été traduite en vingt-sept langues et publiée d’Argentine en Allemagne, aux États-Unis, en Italie, en France, et bien ailleurs.

Les mérites du dessinateur et créateur sont universellement reconnus par les lecteurs et les professionnels. Mafalda et Quino, ont en France été honorés par le Festival de la bande dessinée d’Angoulême en 2014. Mafalda est l’un des personnages du panthéon bédéiste global, au côté d’Astérix, Tintin, Superman, Spirit, les Schtroumpfs… Et avec ces personnages virtuels, leurs inventeurs, Hergé, Goscinny, Will Eisner, Siegel et Schuster, et bien d’autres sont « frères d’encre » de Quino.

Quino aura, peut-être à son insu, en tous les cas sans le vouloir, porté outre mers et terres, une image différente de l’Argentine. Différente du quotidien médiatique argentin, mêlant tragiquement coups d’État, terrorisme, disparus, crises financières, politiciens exotiques…

Le 1er octobre au matin, le décès de Joaquin Salvador Lavado Tejón, alias « Quino », a fait la Une des principaux journaux de la planète, die Zeit, La Repubblica, Le Devoir, Aljazzera, TaiwanNews, Le Figaro, L’Humanité, El Pais, le Washington Post, Fox News. Et pour une fois, un événement concernant l’Argentine en a donné une image positive.

Un jour de deuil a été décrété par le président argentin, Alberto Fernandez. Le décret, n°784/2020, signale le travail de Quino, « dans la diffusion internationale de l’humour graphique argentin (…) avec un langage en capacité d’interpeller tout citoyen et citoyenne du monde, au-delà des frontières, contribuant au respect de la diversité ». Julio Cortazar, Umberto Ecco, Gabriel Garcia Marquez ont en leur temps rendu hommage à cette universalité. « Ce que je pense de Mafalda n’est pas important », a pu écrire Julio Cortazar. « L’important est ce que Mafalda pense de moi[1] ».

Quino, en effet, aura été la pointe d’une Argentine créative, influente. Une Argentine foyer parmi d’autres, mais incontestable, de la bande dessinée mondiale. L’Italien Hugo Pratt a fait ses armes à Buenos Aires. Comme Goscinny qui après dix ans là-bas a rhabillé en gaulois deux héros de la BD argentine des années 1950, le gros Patoruzu et le petit Patoruzito.

Sans le vouloir donc, et qui sait sans le savoir, Quino, crayon en main, a fait plus pour le rayonnement de son pays, que bien des responsables, politiques et militaires, assumant dans leurs panoplies régaliennes un destin malheureux.

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[1] Cité par le dessinateur espagnol Peridis dans El Pais, 1er octobre 2020
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