ANALYSES

Brexit : un no-deal est-il encore possible ?

Tribune
9 septembre 2020


Le 31 janvier 2020 au soir, le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne. Mais ce n’était en réalité que le début d’une période de transition devant permettre des négociations sur la relation future entre Londres et les 27. Obtenu in extremis mi-janvier après plusieurs rejets par le Parlement britannique, l’accord de sortie permettait d’ouvrir cette nouvelle phase de négociations alors que sans accord (no-deal), le pays aurait quitté l’Union sans que les modalités de cette relation future n’aient pu être établies. Presque neuf mois plus tard – et à quelques semaines de la fin de cette période -, les négociations patinent et le Premier ministre britannique, ayant toujours affiché son inclinaison en faveur d’un no-deal, adopte à nouveau un ton menaçant. Ressurgit alors une question à laquelle on pensait avoir définitivement répondu : un no-deal est-il encore possible ?

La question du no-deal s’était préalablement posée à la fin octobre 2019 lorsque le Premier ministre britannique avait menacé de ne pas demander un nouveau report concernant la date de sortie officielle du Royaume-Uni. Les conséquences auraient alors été immédiates : des queues de camions à l’entrée et à la sortie du Royaume-Uni et de l’UE, attendant qu’on leur indique les démarches nécessaires pour passer la frontière. Les deux côtés du Channel avaient alors indiqué que dans un premier temps, les autorités douanières seraient peu regardantes et feraient tout pour fluidifier les passages et éviter les ruptures d’approvisionnement, ce qui aurait entrainé à terme faillites, chômage et ralentissement de la croissance économique.

Comment alors expliquer que la question se pose à nouveau aujourd’hui ? Outre le fait que Boris Johnson n’a jamais voulu d’un accord – dont il considère qu’il ne ferait que reproduire la situation d’un Royaume-Uni membre de l’UE, le pouvoir de nuisance (ou plus diplomatiquement de participation à la décision) en moins – il part du principe que dans le cas d’un no-deal, tout se négociera au cas par cas et  dans l’urgence et que face à cela, le manque de souplesse des Européens (négociant à 27 en réalité) et leurs divisions constituera un atout. Dans le cadre d’une négociation globale sur l’ensemble des dossiers, les Européens ont effectivement démontré leur capacité à passer outre ces divisions et à établir des compromis. Mais les choses seront beaucoup plus compliquées dans une négociation au cas par cas et dossiers par dossiers. Et nul doute que face à l’urgence, les Européens accepteront temporairement la solution qui handicapera le moins les économies et les acteurs économiques.

Dans ce contexte, l’avantage reviendrait à Boris Johnson, car il n’aurait pas réellement intérêt à ce que les questions soient réglées rapidement, le statu quo lui laissant le temps de négocier avec d’autres partenaires pour compenser les éventuelles pertes liées à la sortie de son pays du Royaume-Uni. Pour l’instant, il ne peut pas officiellement négocier avec d’autres pays en matière commerciale, il a donc besoin rapidement de se libérer de l’UE pour pouvoir le faire et nul doute que c’est cette analyse qu’il fait en se raidissant à nouveau. Il apparaît évident, qui plus est, qu’aujourd’hui face à la crise économique post-Covid qui touche l’ensemble des pays européens, l’argument est encore plus fort. Personne ne prendra le risque d’affaiblir encore plus quelque économie européenne que ce soit, pas même celle du Royaume-Uni, car quoi qu’on en dise, même si ce pays sort de l’UE, son industrie et ses activités économiques sont toujours étroitement imbriquées dans les chaînes de valeur européennes et elles le resteront encore quelques années.

Le point faible de cette stratégie que l’on peut qualifier de « terre brulée » vient aussi de ce dernier élément. L’absence d’accord sur la relation future vient renforcer l’incertitude, sentiment qui entoure l’épineuse question du Brexit depuis plus de 4 ans déjà… Dans le cas d’un non-accord, on peut par ailleurs imaginer que les entreprises anticiperont le scénario du pire et construiront leur stratégie sur cela. Les secteurs automobile et aéronautique ne manqueront pas non plus de se questionner sur l’opportunité de délocaliser leurs activités en Europe, et il faudra alors des accords commerciaux particulièrement avantageux entre le Royaume-Uni et ses partenaires à venir pour compenser le manque à gagner du marché unique et les convaincre de poursuivre leurs activités dans le pays. Le scénario est encore plus aisé s’agissant du secteur financier britannique. La croissance de la City depuis plus de 20 ans repose sur l’intégration européenne (euro certes, mais aussi indirectement marché unique) grâce au passeport financier dont disposent les banques installées au Royaume-Uni du fait de l’appartenance de ce pays à l’UE. Ces dernières peuvent ainsi opérer librement en Europe. En ajoutant à cela les avantages dont elles bénéficient au Royaume-Uni, cette situation leur est très profitable. Sans accord, au 1er janvier 2021, elles ne pourront pas obtenir d’équivalences et donc traiter des titres en euros. Nul doute qu’elles seront alors plus rapides que les entreprises industrielles à décider de se relocaliser au sein de la zone euro et que les pays concernés leur réserveront un accueil chaleureux. Le Premier ministre britannique, sachant que ce dossier est son point faible, évite soigneusement d’en parler et la presse britannique relaie assez peu cet aspect des négociations, pourtant crucial pour l’avenir de ce pays.

Il est probable qu’en réalité au-delà d’un no-deal qu’il n’exclut pas et, outre le fait que sa position, presque caricaturale, est aussi une posture de politique intérieure face à une crise du Covid-19 qui a touché et touche encore durement le pays, le tout dans un contexte de méfiance et d’impopularité croissantes à son égard, Boris Johnson espère aussi que les Européens finiront par  céder et accepteront tout ou une grande partie de ses conditions de sortie.
Sur la même thématique