ANALYSES

États-Unis : vers la paupérisation

Correspondances new-yorkaises
5 août 2020


Samedi 1er août au matin.  Alors que l’économie américaine continue de s’effondrer, le paiement d’une allocation chômage hebdomadaire exceptionnelle de 600 dollars versée à plus de 30 millions d’Américains vient d’expirer.

Des responsables de l’administration Trump arrivent à Capitol Hill pour une réunion de la dernière chance avec les principaux démocrates du Congrès afin de tenter de sortir de l’impasse et de trouver un consensus quant à une nouvelle aide. La speakerine de la Chambre, Nancy Pelosi, qui accueille la réunion avec le sénateur Chuck Schumer de New York dans sa suite du Capitole, déclare qu’elle ne se fait aucune illusion sur l’état d’esprit des républicains et qu’elle s’attend à une journée guère productive. Mark Meadows, le chef de cabinet de la Maison-Blanche, et Steven Mnuchin, le secrétaire du Trésor sont également présents. Mnuchin, avant d’entrer dans la suite de Pelosi, aurait maugréé qu’il devrait normalement, à cette heure, être en vacances… Il n’en décolérera pas de la journée.

Parmi les principaux points de friction, l’allocation fédérale hebdomadaire exceptionnelle de 600 $ donc, qui est devenue, depuis le début de la pandémie de Covid-19, une bouée de sauvetage pour des dizaines de millions d’Américains au chômage – les allocations chômage traditionnelles étant généralement proches de zéro. L’aide a expiré à minuit vendredi, les responsables de Washington n’ayant pas réussi à s’entendre sur un nouveau projet de loi.

Malgré la fin du confinement, le chômage aux États-Unis reste à des niveaux records, avec quelque 30 millions d’Américains recevant des allocations. Plus de 1,4 million de personnes se sont inscrites au chômage la semaine dernière – 19e semaine consécutive où le total des nouveaux sans-emploi dépasse le million, un chiffre inimaginable avant la pandémie. Près de 15% des Américains ont déclaré ne plus manger à leur faim, plus d’un quart d’entre eux ne peut payer son loyer ou son crédit immobilier…  Cette nouvelle paupérisation ne touche pas uniquement les plus défavorisés, mais aussi les classes moyennes.

À titre d’exemple, l’expiration de l’indemnité fédérale hebdomadaire de 600 $ obligera un de mes amis – appelons le Paul-, ancien professeur d’université qui a perdu son travail avec la crise de 2008 et qui depuis va d’intérim en intérim, à se débrouiller avec moins de 250 dollars par semaine. « Avec les 600 $, tu pouvais voir un peu devant toi », me dit-il. « Tu pouvais te sentir un peu plus à l’aise. Tu pouvais payer trois ou quatre factures… » Nombre de ses consœurs et confrères devraient prochainement connaitre plus ou moins le même sort, des dizaines d’universités étant au bord de la faillite. Des milliers d’enseignants viennent de perdre leurs emplois. Dans l’Amérique de Trump, un doctorat ne vaut plus grand-chose.

Les démocrates voulaient prolonger les paiements hebdomadaires de 600 dollars jusqu’à la fin de l’année, dans le cadre d’un vaste programme d’aide de 3 milliards de dollars. En bons disciples de Reagan et totalement irresponsables face à la gravité de la situation actuelle, Donald Trump et les républicains prétendent que toucher ces 600 dollars par semaine encouragerait certaines personnes à ne pas travailler et ont cherché à réduire l’allocation à 200 dollars hebdomadaire. « Tout cela est faux ! », s’exaspère mon ami Paul … « Les gens veulent travailler, mais il n’y a plus de job ! ».

Bien que l’ensemble des économistes alerte les autorités quant au fait que la baisse de l’allocation allait aggraver la crise en entraînant automatiquement une chute de la consommation et donc un accroissement de la paupérisation au sein de la population, la Maison-Blanche fait la sourde oreille.

Dimanche 2 août, fin de journée. Les démocrates et les républicains se sont à nouveau réunis. Toujours pas d’accord. Plus de 30 millions d’Américains ne toucheront donc pas leur indemnité cette semaine. Dans de nombreuses villes, les associations caritatives sont en rupture de stock et n’ont plus de carton de nourriture à distribuer.  Des centaines de milliers d’enfants souffrent de malnutrition à travers le pays. Les républicains semblent s’en moquer et Steven Mnuchin, le secrétaire du Trésor, déclare ne pas vouloir repousser ses congés plus longtemps.

Un deal sera sans doute trouvé ces jours-ci ou bien après les vacances parlementaires. Dans tous les cas, l’allocation en question sera considérablement réduite. Et ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la rigidité idéologique des républicains et de leur incapacité à s’adapter à une situation extraordinaire.

L’essayiste Rod Dreher pense que même en cas d’une victoire de Joe Biden en novembre, nous pourrions nous retrouver, si la crise du coronavirus n’est pas endiguée d’ici le début de l’année 2021, dans une situation d’instabilité politique qu’aucun Américain n’aurait pu imaginer. « Ma plus grande peur, déclare-t-il au Figaro, c’est que les futurs historiens se penchent sur cette période de l’histoire américaine en la comparant à l’Espagne de 1931 » …

En attendant, Biden n’a pas encore gagné. Et ce n’est pas son choix – plus que très probable à l’heure où j’écris ces lignes – d’avoir comme colistière Kamala Harris, une sénatrice de centre droit, qui devrait pousser les soutiens de Bernie Sanders à aller voter en masse. Par contre, ce choix, pour des raisons évidentes, pourrait avoir l’effet inverse sur les aficionados de l’actuel hôte de la Maison-Blanche et autres suprémacistes blancs.

Et si Trump est réélu nous pourrons véritablement parler de Bérézina.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider »  vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
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