ANALYSES

Le franc CFA est mort, Vive l’ECO CFA !

Tribune
3 juin 2020


Le 20 mai, l’Élysée a annoncé par voie de communiqué « un projet de loi concernant un accord de coopération entre la France et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine » afin d’entériner le changement de monnaie : du franc CFA à l’ECO. Alors, franc CFA, fin de partie ? Renouvellement paradigmatique préfaçant une renégociation du narratif entre la France et ses anciennes colonies[1], vraiment ?

La fin du franc CFA : une ambition française ?

Après avoir botté en touche sur la question du franc CFA, lors de son discours prononcé à Ouagadougou le 28 novembre 2017, au prétexte que c’était « un non-sujet » pour la France, le président Emmanuel Macron semble s’être ravisé. Entre les critiques de ses homologues sur le maintien d’un système jugé néocolonialiste, de critiques africaines sur l’opération Barkhane démontrant une lassitude en l’absence de résultats tangibles, la stagnation du dossier sur la restitution des œuvres d’art à l’Afrique, il fallait manifestement un geste pour enrayer la dégradation de l’image de la France et potentiellement renégocier les liens avec les pays ouest-africains, dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

Témoin de ce virage et que le franc CFA est malgré tout un sujet français, dès le mois de novembre 2019, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, s’était déclaré favorable à « une réforme ambitieuse » sur cette question, formulation pour le moins sibylline ayant laissé cois de nombreux observateurs. Et en l’espèce, la question est de savoir à qui profite ladite réforme ?

Il devrait pourtant y avoir tout lieu de se réjouir de ce changement. Le débat sur le franc CFA occupe, en effet, l’espace médiatique depuis plusieurs années. Chercheurs, intellectuels, activistes, membres de la société civile, jeunes des différents pays concernés, nombreux sont ceux à s’être engagés pour un changement radical de monnaie, mais également de système monétaire de sorte à assurer les conditions de leur souveraineté, gage d’une indépendance à l’égard de leur ancienne métropole : la France. Au-delà du nom, du symbole qu’il incarne dans les représentations – qui ne saurait relever de l’anecdotique, tant la déclinaison de l’acronyme avait subi un toilettage a minima Franc, passant de franc des Colonies françaises d’Afrique à franc de la Communauté financière en Afrique – l’enjeu sous-jacent était et reste bel et bien politique, concernant avant tout la renégociation des liens entre les différentes parties.   Il s’agit enfin pour ces détracteurs de parachever le processus de décolonisation et de promouvoir de nouveaux rapports géopolitiques.

L’ECO ou la conjuration de la « servitude volontaire » ?

Le 21 décembre 2019, après avoir soutenu que c’était un « faux débat », en février 2019 sur le perron de l’Élysée, témoignant de relations de connivence entre la France et la Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara, avait annoncé depuis Abidjan, aux côtés de son homologue Emmanuel Macron la fin du franc CFA au profit de l’ECO (réduction d’ECOWAS version anglaise de la CEDEAO). S’en étaient suivies une série d’annonces :  « Le compte d’opération à la Banque de France est supprimé et (…) les représentants français siégeant au sein des instances de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) vont être retirés », un ensemble de décisions qui devaient être entérinées au cours de l’année 2020. C’est désormais chose faite. Sauf que des points sensibles n’ont pas été débattus : pertinence ou non de l’élargissement d’un panier monétaire ? Quels objectifs poursuivis non par la France, mais par les pays concernés par cette réforme ? Quel rétroplanning ? Quelle méthodologie ? L’ensemble de ces questions a été évacué par le projet de loi proposé par l’Élysée, qui annonce d’un même allant le maintien de l’indexation de la nouvelle monnaie sur l’euro et se positionne comme garante financière : « La place de la France se transforme donc pour devenir celle d’un simple garant financier ». S’il s’agit en l’état d’un projet de loi qui devra être soumis au vote des parlements nationaux, de nombreuses inconnues demeurent : quelles sont les conditionnalités de la garantie de la France ? Pourquoi se conserver un droit de regard ? Est en effet envisagé comme suit : «  de nouveaux mécanismes sont prévus pour (…) permettre à [la France] de disposer de l’information nécessaire pour suivre et maîtriser le risque financier qu’elle continuera de prendre. Il s’agit notamment d’informations régulièrement transmises par la BCEAO ou de rencontres informelles avec les différentes autorités et institutions de l’Union ». Quelles sont les conditionnalités d’un tel accord ? Si peut-être sur le plan économique ces décisions peuvent se justifier sur le plan politique, l’amertume d’une souveraineté sous conditions transparaît.

Il semble que la France ait pris la main sur ce dossier en vue d’accélérer le processus de transition sans que les modalités pratiques de ce changement n’apparaissent clairement et sans avoir attendu le débat des militants anti-CFA, les privant au passage de leur parole même si certains avaient été auditionnés, cet automne, par l’Élysée. Des acteurs de hauts-niveaux, comme l’ancien Premier ministre du Sénégal, Abdoul Mbaye, avait proposé la réunion d’experts ayant mandat de soumettre des propositions aux chefs d’États africains et français. Kako Nubukpo, doyen de la Faculté de sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’université de Lomé, avait quant à lui prévu de réunir, dans la capitale où il exerce ses fonctions, les États généraux de l’ECO sur la thématique suivante :  « Quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest ». Il s’agissait bien de penser la monnaie comme vecteur de développement en mettant à l’honneur des solutions endogènes. À l’issue de trois jours de débats, il devait en ressortir des recommandations à l’attention des gouvernements. La pandémie a contraint de surseoir à cette rencontre. De débats par les porteurs du changement, il n’y en aura point.

Il ne s’agirait toutefois pas d’être dupes. Au-delà du caractère a priori unilatéral de ce nouvel accord, il y a eu des concertations diplomatiques de haut niveau, entamées dès le 21 décembre 2019. Du reste, on notera que le projet, tel que présenté, correspond, pour partie, à celui avancé par le président Ouattara Alassane, qui, lors du sommet des chefs d’État de la zone UEMOA, réuni le 12 juillet à Abidjan, avait déjà pris position en faveur du maintien d’un taux de change fixe avec l’euro. Mais comment comprendre le silence assourdissant des chefs d’États concernés par ledit accord ?  Un pare-feu en cas de contestations de leurs opinions respectives ? Ou au contraire, cela témoigne-t-il de leur gêne et de dissensions sur le sujet ? Les assemblées nationales trancheront…  À force d’imprécisions, et même si, assez étonnamment, certains médias ont avancé par rapport au communiqué de l’Élysée – qui en l’espèce devrait faire foi – que le rôle de garant de la France tout autant que l’indexation de l’ECO sur l’Euro était une première étape, on est dans une forme d’incertitude quant à savoir s’il s’agit d’un scénario séquencé (lequel ?) et suivant quel chronogramme ?

Suivant cet accord, finit le communiqué de l’Élysée, « ce nouveau positionnement permet enfin d’accompagner l’UMOA dans sa volonté de s’inscrire dans le projet de monnaie unique à l’échelle de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ». À ceci près que certains États anglophones comme le Nigeria avançant que les critères de convergence de la zone CEDEAO n’étaient pas réunis soit « un déficit budgétaire n’excédant pas 3 %, une inflation à moins de 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB » masquant à peine leur quant-à-soi quant au rôle et à la place de la France dans cette architecture monétaire, le projet de monnaie unique à l’ensemble de la zone, adopté à Abuja en juin 2019, semble plus que compromis. Et ceci à moins que l’on ne découvre les différents scénarios séquencés envisagés pour y parvenir sur les moyen et long termes.

Assez étonnamment, les conditions d’un nouveau narratif entre la France et l’Afrique s’écrivent, au moins publiquement, sans les Africains, un changement dans la continuité, privilégiant l’asymétrie au détriment de toute co-construction des décisions. Pas sûr que dans ces conditions, les relations sur la moyenne ou la longue durée puissent s’en retrouver apaisées, Paris restant campée dans son rôle de grand ordonnateur. Si la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye s’est félicitée du fait que « cette fin symbolique [du franc CFA] devait s’inscrire dans un renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique et écrire une nouvelle page de notre histoire », visiblement il y a une incompréhension sur l’analyse du problème qui n’est pas symbolique, une qualification qui frise la minoration, tandis que ce dernier est bel et bien structurel et politique, laissant pour compte l’Afrique centrale.

L’acception de l’ambition initialement affichée par le gouvernement français est décidément polysémique et laissera chacun libre de toute interprétation.

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[1] Seule la Guinée-Bissau, membre de la zone CFA, n’a pas été colonisée par la France. La Guinée, quant à elle, s’est retirée de la zone sous Sékou Touré.
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