ANALYSES

Élections anticipées britanniques : pour le Brexit, « en réalité, rien n’est encore joué »

Interview
31 octobre 2019
Le point de vue de Olivier de France


Boris Johnson étant dans une impasse, il a demandé la tenue d’élections anticipées en décembre et a été finalement rejoint par le parti travailliste dans sa décision. Quelles peuvent être les conséquences de telles élections ? Le point de vue d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels sont les enjeux des élections de décembre ?

Depuis que David Cameron a pris la décision de soumettre à référendum la question de l’appartenance à l’Union européenne (UE) en juin 2016, le Royaume-Uni n’a pas réussi à résoudre l’équation. Malgré les apparences, peu de choses ont changé depuis trois ans. Le pays, ses partis et ses parlementaires sont encore extrêmement divisés sur la marche à suivre, probablement davantage encore qu’au 23 juin 2016. De ce fait et en dépit du compromis arraché par Boris Johnson, rien n’est encore joué. La seule solution était d’en revenir au peuple, puisque c’est par le peuple que tout a débuté et que ni les institutions ni les gouvernements successifs n’ont réussi à résoudre le problème.

J’appelle souvent ce phénomène le « piège de Tocqueville » : une fois qu’on oppose de manière binaire et mutuellement exclusive la légitimité populaire à la légitimité parlementaire, on crée un problème difficile à résoudre pour les démocraties libérales classiques. Les institutions intermédiaires, conçues pour et habituées à créer du consensus, s’en sont trouvé sapées – et avec la capacité du tissu démocratique à créer du compromis. La « plus vieille démocratie parlementaire du monde » n’a pas réussi à résoudre ce problème et une fois qu’on oppose le peuple au pouvoir, la seule manière de résoudre la situation est d’en revenir à nouveau à la volonté du peuple. C’est la raison d’être de ces élections de décembre.

Que se passera-t-il concernant le Brexit ?

On en appelle de nouveau au peuple, mais finalement rien ne garantit qu’une majorité claire se dessine dans un sens ou dans l’autre. Le pays, le peuple, les partis et les institutions étant divisés sur la question du Brexit et sur ses options – rester ou sortir de l’UE, avec ou sans accord. Finalement, rien ne garantit qu’une majorité pour ou contre le Brexit apparaisse en décembre et il est tout à fait possible qu’un nouveau Parlement sans majorité soit élu. Dans ce cas, le problème ne sera pas résolu.

Quels seront les différents objectifs des principaux partis ?

Chaque parti politique va défendre son « bout de gras », c’est comme cela que fonctionnent les élections. Les conservateurs soutiendront Boris Johnson et le compromis qu’il a passé avec l’UE. Le parti Brexit de Nigel Farage soutiendra une position dure, c’est-à-dire une sortie sans accord. Les libéraux-démocrates souhaitent rester au sein de l’UE. Les travaillistes feront campagne pour que Jeremy Corbyn soit élu Premier ministre et renégocie à son tour l’accord avec l’UE.

Tout dépendra des accords que seront en mesure de passer les opposants de Boris Johnson, et du côté des « Brexiters » les plus durs, c’est la quantité de voix que le parti du Brexit parviendra à capter au parti conservateur qui sera déterminante. Si les électeurs considèrent que Johnson n’a pas réussi son pari, puisqu’il avait promis que le Royaume-Uni sortirait de l’Union européenne avant le 31 octobre, il est possible que ses voix se tournent vers le parti du Brexit. Mais s’ils considèrent que malgré sa détermination, il a été empêché par le Parlement, alors il y a moins de probabilités que les voix du parti conservateur soient siphonnées par le parti de Farage.
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