ANALYSES

Colombie : municipales en salsa du démon

Tribune
12 septembre 2019


Le 27 octobre 2019, les Colombiens renouvellent leurs Conseils municipaux et élisent leurs maires. Cet exercice démocratique, en dépit des accords de paix signés en 2016 par le gouvernement et la guérilla des FARC, n’a rien d’une fête spirituelle, pacifique et républicaine.

Chaque semaine, un ou une candidate est assassiné(e). Reflet inattendu de cette violence politique, ces élections dans le Quindio, au cœur de la Colombie, se déroulent sur fond d’anathèmes entre un prêtre catholique, gouverneur du département, et le « fils de Lucifer », servant d’un temple du même nom. Cette salsa du démon, au-delà de sa magie « macondienne », est peut-être celle d’un pays qui doute des bienfaits de la paix.

 

De septembre blanc, en 2016, à septembre noir (en 2019)

 Septembre 2016, Carthagène des Indes, Colombie. Les ennemis d’hier et d’avant hier, le Président colombien et le Commandant, selon la formule d’alors, « de la guérilla la plus ancienne du monde », les FARC, (Forces armées Révolutionnaires de Colombie), fument le calumet de la réconciliation. En présence du nec plus ultra de la Communauté internationale, Juan Manuel Santos, chef de l’État et Rodrigo « Timochenko » Londoño, chef des FARC, signent un Accord de paix.

Septembre 2019, quelque et nulle part en Colombie. L’Accord de paix est toujours officiellement préservé.  Mais le 29 août 2019, plusieurs responsables des FARC ont annoncé publiquement leur Adieu à la paix, derrière Ivan Marquez, négociateur en chef des Accords. On assiste alors à un regain de violences exacerbé par l’approche des élections municipales du 27 octobre 2019 : plus de 150 ex-guérilleros démobilisés ont été assassinés depuis 2016, tandis que près de 600 militants associatifs et syndicalistes ont été eux aussi tués. La Mission d’observation des élections a comptabilisé 91 homicides liés à la campagne municipale entre le 17 octobre 2018 et le 27 août 2019.

 

La paix entre deux eaux

Officiellement RAS. Rien à signaler. Les accords de paix n’ont été dénoncés, ni par les autorités, ni par les FARC, muées en « Forces alternatives révolutionnaires du commun ». Mieux ils ont pris des couleurs très concrètes. Les FARC ont été démobilisées et regroupées. Au sein de 24 ETCR (Espace territorial de capacitation et de réintégration) chacun des ex-guérilleros a été doté d’une identité officielle. Ils ont touché une indemnité mensuelle. Un certain nombre ont été réinsérés socialement. 10 sièges de députés leur ont été accordés. Une justice transitionnelle a été mise en place, la JEP (Justice spéciale pour la paix). Une Commission de la vérité également.

Le Président, élu en juin 2018, Ivan Duque, n’a rien contre les accords de paix. Il a invité le Conseil de sécurité à venir sur place en juillet 2019, pour vérifier le bien fondé de son bon vouloir. Son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 24 septembre 2019, devrait le rappeler. Les FARC se sont démobilisées aussitôt la paix signée et ont participé aux élections de 2018. Ses responsables sont entrés au parlement et condamnent les violences politiques. Elles ont exclu ceux de ses membres qui ont refusé de se démobiliser ou sont retournés dans le maquis.

Pourtant le fond de l’air est de plus en plus pollué.  Le président a bataillé pour retarder la mise en place de la JEP. Le gouvernement a rogné 40% des crédits accordés à la Commission de la Vérité. La réinsertion des ex-guérilleros se fait à un rythme particulièrement lent. Seuls 9,4% ont pu trouver un travail. La réforme agraire, la restitution des terres spoliées aux paysans chassés par le conflit, se font attendre. Les réponses données par les autorités au retour à la guerre de certains responsables des FARC, ont retenu l’attention. Le Président a stigmatisé le narco-terrorisme, qualificatif utilisé par les autorités, pendant le conflit, pour définir les FARC. Il a annoncé la mise à prix des relaps de la paix. Et un renforcement des moyens accordés aux forces de l’ordre.

Les défenseurs de la paix ont condamné le retour aux armes d’Ivan Marquez et des ses amis. FARC-Parti politique, Parti vert, Mouvement alternatif indigène, Pôle démocratique, Liste Decentes, Colombie Humaine, ont indiqué que « les manquements de l’État aux Accords de paix ne peuvent avoir comme réponse d’autres manquements ». Ils attendaient l’annonce d’une dynamisation budgétaire permettant de valoriser la paix, mais cet appel n’est pas venu. Au contraire le retour au maquis d’Ivan Marquez/Luciano Marin, de Jesús Santrich/Seuxis Paucias Hernández, d’El Paisa/Hernán Dario Velázquez, le 29 août 2019, a été instrumentalisé par le président pour se dédouaner auprès de ses amis du « Centre démocratique », et de son mentor, l’ex-président Alvaro Uribe, hostiles aux Accords de paix et à toute forme de négociation avec les FARC, organisation à leurs yeux, criminelle.

 

Glissements progressifs de la violence

 Cet épisode marque peut-être un tournant, celui d’un retour aux violences comme régulateurs politiques et sociaux. L’armée a été prise la main dans le piège des exécutions extra-judiciaires. Toutes sortes de groupes délinquants agissent avec une grande impunité et recommencent à recruter des « enfants soldats ». Ex-paramilitaires, d’appellations concurrentes, sans soldes des FARCS, guérillas perpétuées de l’ELN et de l’EPL. Faute d’investissement social et infrastructurel permettant une reconversion effective des cultures de coca, des régions entières ont repris cette narco-agriculture. Elle serait passée dans le département du Cauca, particulièrement affecté par les violences électorales, de 12 595 hectares en 2016, à 17 117 en 2019[1]. Signe de cette détérioration, comme au Mexique, les élections municipales, constituent un enjeu d’importance vitale, pour les groupes délinquants qui se disputent les routes de la drogue et de produits miniers illégaux. Plus que les présidentielles, bien davantage que les législatives, les élections locales constituent un enjeu territorial majeur. Chaque groupe a son candidat. Appuyé par les armes et la dissuasion des menaces de mort. Autodéfenses gaitanistes, Clan du Golfe, Caparros, cartel mexicain de Sinaloa, dissidents du sixième front des FARC… 476 communes seraient concernées, soit un tiers des municipalités[2] .

Le Procureur général de la Nation, Fernando Carrillo, en réponse à un journaliste, a fait le commentaire suivant : « Ils assassinent des candidats, nous revenons à la situation d’il y a trente ans (..) C’est comme une extermination au goutte-à-goutte [3]». Sergio Jaramillo, ex-Haut Commissaire pour la paix, négociateur des Accords, a lancé un appel, resté sans écho, pour l’instant : « La société doit, souhaitons-le, dire une bonne fois, halte aux armes. (..) il doit y avoir un engagement ferme du gouvernement à l’application pleine des Accords de paix. (..) Seule voie permettant de couper toute option à Ivan Marquez »[4].

 

__________________________

[1] Chiffre signalé par la Fondation Idées pour la Paix (FIP)

[2] Médiateur de Colombie, publié dans le quotidien, « El Mundo », 8 septembre 2019

[3] In « El Colombiano », 9 septembre 2019

[4] Sergio Ramirez, « Una tregua política para la paz », Bogota, El Tiempo, 5 septembre 2019
Sur la même thématique