ANALYSES

France-Brésil-Amérique latine : malentendus passagers ou mésententes durables ?

Tribune
2 septembre 2019


Le dernier G7, directoire des grandes nations occidentales, s’est tenu à Biarritz, lieu d’un festival France – Amérique latine annuel. Il a de façon inattendue sanctionné un divorce avec le Brésil, et sans doute au-delà, avec l’Amérique latine, en dépit de la discrète présence du président chilien, hôte de la prochaine Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CDP).

Le G7 de Biarritz, selon les déclarations du président français aux ambassadeurs et ambassadrices, le 27 août 2019, a « été un succès ». Parce qu’il a mis la France « au cœur du jeu diplomatique ». « La vocation de la France, (..) est de peser sur (..) l’ordre du monde », avec « un esprit de résistance et une vocation à l’universel ». Armée d’une stratégie valorisant souveraineté, équilibre des puissances et restauration de l’Occident, au nom d’un humanisme européen, la France aurait marqué par sa « vitalité », le sommet, d’une dynamique conquérante. Pour autant, l’universel a-t-il été au rendez-vous ? Et de quel universel s’agissait-il ? Pourquoi ce raté brésilien après d’autres, latino-américains ?

Un grand nombre d’absents à ce sommet ont fait l’objet d’échanges et de déclarations, l’Afrique, la Chine, l’Iran, la Libye, la Russie, la Syrie. Hommage a été rendu au détour d’un paragraphe au multilatéralisme, sans pour autant passer aux exercices diplomatiques pratiques. Il a été question de pays et continents, entre grands États occidentaux, à sept. Sans doute la sympathie linguistique, culturelle, économique, financière et politique de l’entre-soi du G7, les pesanteurs historiques héritées de la France d’outre-mer, en dépit d’une référence à la « conversion du regard », ne prédisposaient pas au dialogue en égalité avec les périphériques du G7.

Les drames environnementaux brésiliens, les feux de forêt en Amazonie, ont ainsi et de la même manière, été abordés, sans concertation avec les autorités concernées. Qualifiée de bien commun mondial, la préservation de l’Amazonie, a donc signalé le président français, sera assurée, « avec les peuples autochtones, les organisations non gouvernementales, et les régions » (?). On peut, et on doit, critiquer le gouvernement brésilien et le président Jair Bolsonaro, sur bien et beaucoup de sujets, la défense de l’Amazonie, mais aussi le respect des libertés et de la démocratie. Encore faut-il le faire en mode « souverain », thématique centrale du discours présidentiel. Comment revendiquer pour soi une souveraineté sourcilleuse et la traiter avec asymétrie quand il s’agit du Brésil ? La Chine, premier pollueur mondial, pays leader en exécutions capitales, a fait l’objet d’un traitement verbal critique, d’une grande élégance : « La civilisation chinoise n’a pas les mêmes références collectives, pour parler pudiquement ». N’y avait-il pas d’autres canaux permettant de signaler préoccupation et disponibilité que celui d’un rappel à l’ordre ignorant le gouvernement exerçant l’autorité territoriale sur l’Amazonie ? Pourquoi, en agissant de la sorte, avoir pris le risque de donner à Jair Bolsonaro l’argument de la souveraineté agressée, lui épargnant toute réponse aux interpellations justifiées sur son mépris des valeurs environnementales ?

Ce multilatéralisme « à la carte », contournant l’Amérique latine, n’est pas nouveau. L’Amérique latine depuis la fin de la guerre froide a disparu des agendas diplomatiques français. Le président de la République y a effectué un seul déplacement en deux ans, à Buenos Aires, le 30 novembre 2018. Ce déplacement qui n’avait rien de bilatéral était imposé par l’agenda rotatif du G20. Emmanuel Macron a, il est vrai, reçu à Paris un certain nombre de ses homologues latino-américains, semble-t-il, en leur imposant un échange en anglais. Sanctionnant ainsi une dérive assumée par ses prédécesseurs, qui ont considéré l’Amérique latine comme un prolongement naturel des États-Unis, puissance régionale dominante. Contexte expliquant sans doute l’intégration des deux Amériques sous le chapeau de l’Institut des Amériques en 2007. Ultime dégradation de ce rapport inégal assumé, en 2019, les étudiants latino-américains, et leurs homologues africains sont les principales victimes de l’augmentation brutale et ciblée des droits d’inscription universitaires. Il a donc été mis un terme à l’accueil réservé aux étudiants étrangers, qualifié de « gratuit et postcolonial », reflet d’une stratégie « d’hégémonie » au nom donc d’une rhétorique qui les renvoie au Canada et aux États-Unis.

L’Amérique latine est devenue pour les responsables politiques français, au fil des ans, une variable d’ajustement intérieure en matière de droits humains et d’environnement. On se rappelle des contentieux diplomatiques avec la Colombie et le Mexique sous la mandature de Nicolas Sarkozy. La relation bilatérale avec Bogota et la gestion du G20 de 2012 avec le Mexique ont ainsi été victimes de la médiatisation de la situation de ressortissants français, enlevés ou détenus. Le bruit présidentiel de ces derniers jours à propos de la déforestation de l’Amazonie répond, pour beaucoup, à des considérations identiques, tout comme la gestion de la crise politique, économique et humaine vénézuélienne. La France, on le sait, loin de jouer le rôle d’équilibre revendiqué par le président de la République en soutenant diverses initiatives de sortie négociée de la crise, a choisi de soutenir l’un des camps en présence. Elle fait partie, selon la formule utilisée par les opposants aux autorités de Caracas, des « 50 pays, ayant reconnu la légitimité présidentielle, de Juan Guaidó», président de l’Assemblée nationale, qui s’est autoproclamé chef de l’État.

Reflets d’un savoir-faire en érosion prononcée des relations entre Paris et les Amériques latines, quelques pointes d’icebergs médiatiques ont marqué les esprits ces dernières années. Nicolas Sarkozy en déplacement officiel au Mexique du 6 au 9 mars 2009, avait rappelé à l’ordre le Mexique depuis la tribune du Congrès de ce pays, provoquant une crise diplomatique majeure avec le gouvernement mexicain, soutenu par l’ensemble des forces politiques de ce pays.  François Hollande au cours de la première visite d’un chef d’État français en Haïti, le 12 mai 2016, avait été reçu assez fraîchement. Plus qu’une visite protocolaire, les Haïtiens attendaient la reconnaissance d’un passé de spoliations. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères d’Emmanuel Macron, en déplacement au Brésil, avait trouvé la porte présidentielle close le 29 juillet 2019. Jair Bolsonaro, était à l’heure fixée pour leur rendez-vous, retenu par son coiffeur. Il est vrai que quelques semaines auparavant, le chantier des sous-marins construits au Brésil sur technologie française, visité dès sa phase initiale le 5 novembre 2012 par le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, avait été ouvert à l’amiral Craig Faller, chef du Commandement militaire sud des États-Unis.

La France aurait-elle perdu les mots pour le dire en Amérique latine ? Des mots, d’équilibre, pourtant écrits en leur temps, par le général de Gaulle en 1964, François Mitterrand en 1981 et Jacques Chirac en 2003 ?
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