ANALYSES

Mercosur – Union européenne : vingt ans après

Tribune
3 juillet 2019


« Vingt ans après » l’ouverture de négociations, Europe communautaire et Marché Commun du Sud ont signé le 29 juin 2019 un accord de libre-échange. Le roman de cape et d’épée d’Alexandre Dumas, on le sait, se déroulait dans l’environnement agité de la « Fronde ». La ratification par le Parlement européen, comme par les Assemblées nationales de cet accord, est d’ores et déjà placée sous un label « frondiste », augurant quelques années supplémentaires de débats.

« Vingt ans après » donc, un certain nombre de joueurs commerciaux à l’international ont souhaité mettre cartes sur table. Les responsables de ce coup de poker en attendent des retombées positives pour leur économie, leur commerce extérieur, leurs intérêts, et leur avenir politique.

Côté sud-américain, les patrons de l’agriculture industrielle poussaient à la roue depuis longtemps. Leurs représentants sont au pouvoir depuis 2012 au Paraguay, 2015 en Argentine, 2016 au Brésil. Et en Uruguay, quel que soit la couleur des gouvernants, ils ont toujours été écoutés compte tenu de leur poids dans l’économie nationale. Libre-échangistes par intérêt bien compris, ils ont favorisé les forces politiques favorisant le retour de leurs pays respectifs dans le concert économique dominant. Préoccupés depuis 2017 par le souffle protectionniste exhalé par les États-Unis de Donald Trump, ils ont réajusté leurs priorités et « mis le paquet » en direction du Pacifique et de l’Europe.

Versant Europe, les plus allants auront été les pays les plus industrialisés. Allemagne, Pays-Bas, République tchèque, Suède s’étaient concertés pour arracher l’ouverture du marché sud-américain à leurs industries automobiles et chimiques. L’Allemagne avait dès le 28 mai 2019 ouvert le bal en organisant à Berlin un tour de table avec les pays latino-américains. On pourrait, avec profit, avait dit le ministre allemand des Affaires étrangères, mettre sur notre table autre chose que les turpitudes vénézuéliennes. Chose dite, chose faite. L’Allemagne qui est déjà le premier exportateur européen dans la zone, a tout à y gagner.

Les frondeurs sont en négatif, les industriels sud-américains et l’agriculture européenne sont en fronde relative en Amérique du Sud, le secteur industriel, protectionniste, ayant été balayé par les nouveaux dirigeants libre-échangistes. À coup de privatisations, d’autorisations de vente d’actifs à des intérêts étrangers, et de lutte contre la corruption, les intérêts industriels ont été durablement affaiblis. Le Brésilien Embraer a été cédé à Boeing ; Pétrobras est vendu par appartements ; Odebrecht est en cessation de paiement ; L’Argentine a adopté un plan de désinvestissement public et vend ses actifs énergétiques. Ceux qui sont désormais aux commandes, agro-industriels et financiers, veillent au grain libre-échangiste. En Europe, le monde agricole a commencé à s’agiter. La Commission européenne avait été saisie par la Belgique, la France, l’Irlande et la Pologne, porteuses de leurs revendications, afin de calmer les ardeurs des négociateurs.

Les optimistes mettront en avant un « succès » diplomatique. L’Europe reprend la main dans un espace traditionnellement tourné vers les États-Unis, et plus récemment vers la Chine. Ce qui reste à voir. Le patronat uruguayen, dirigé par un producteur agricole estime par exemple qu’il s’agit là d’un premier pas. Le Mercosur doit, dit-il, négocier et signer un traité identique avec les Chinois, et bien d’autres. En Espagne, on souligne le rôle majeur joué par Madrid dans ce rééquilibrage intercontinental. « Go between » de l’Europe industrialisée, l’Espagne, qui a entraîné dans son sillage le Portugal, espère ainsi voir confortée sa place de pays pilote européen sur l’Amérique latine. Reste à en persuader les producteurs espagnols d’agrumes et ses éleveurs.

Les grincheux souligneront, avec raison, que cet accord est un coup de pouce donné à deux présidents en difficulté. L’un, l’Argentin libéral Mauricio Macri, était à la peine dans les sondages à quelques mois des présidentielles. L’autre, le Brésilien Jair Bolsonaro, soutient la déforestation de l’Amazonie, l’utilisation massive de pesticides en agriculture, le démantèlement des régions réservées aux autochtones. Son ministre de l’environnement promeut un oxymore écologique, « développer les projets d’investissement en Amazonie » pour réduire la déforestation… Jair Bolsonaro a par ailleurs promu le juge qui a embastillé son principal adversaire politique, l’ex-président Lula. L’armée est massivement présente dans son gouvernement. L’école et l’université font l’objet d’attaques financières et idéologiques. Les premiers réfugiés de cette démocratie libre-échangiste commencent à aborder le sol européen.

Les traités commerciaux européens sont assortis de clauses démocratiques, sociales et environnementales. Mais qui oserait aujourd’hui les revendiquer dans les palais gouvernementaux ? Jair Bolsonaro a dénoncé le 29 juin « la psychose environnementaliste ». Mais n’a-t-il pas déclaré « en même temps », que le Brésil ne dénoncerait pas l’Accord de Paris ? Ultime parole de président ? Elle a été en tous les cas cautionnée par ses homologues européens…
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