ANALYSES

Élections générales anticipées en Espagne : entre compromis et crispation démocratiques

Tribune
18 février 2019


Mercredi 13 février 2019, une majorité de députés espagnols a rejeté le budget présenté par le président du gouvernement, Pedro Sanchez.  Deux jours plus tard, le « Premier ministre » convoquait une conférence de presse au Palais de la Moncloa, – le « Matignon » ibérique -, annonçant la dissolution du Congrès et la tenue d’élections anticipées le 28 avril prochain, un petit mois avant les Européennes, et le renouvellement des autorités locales.

Pedro Sanchez a justifié sa décision au nom de la cohérence politique. Il aurait pu prolonger son gouvernement, en perpétuant les fondamentaux de la dernière loi de finances adoptée par les chambres. Un budget donc construit par son prédécesseur, Mariano Rajoy, membre du Parti populaire, droite. Il ne l’a pas voulu. Le budget rejeté par les partis de droite, – Parti populaire et citoyens-, et les partis indépendantistes catalans, – Gauche républicaine et PDeCAT -, avait en effet un contenu social. Reflétant les ambitions volontaristes de Pedro Sanchez.  Construit et négocié par le PSOE avec la formation de gauche Podemos, le Parti nationaliste basque et les syndicats – Commissions ouvrières et Union générale des travailleurs.

Ce budget, rompait avec 7 ans de régression sociale, celles des majorités PP. Il prévoyait des dotations pour le système national de dépendance, la bonification des aides aux chômeurs de longue durée, le logement social, l’aide au logement pour les jeunes adultes, l’augmentation des bourses, le soutien à la formation professionnelle, le changement du modèle énergétique, la réduction des charges pour les PME.

Pedro Casado, jeune responsable adoubé par son parti, le PP, en juillet 2018, a dans le feu du rejet salué la victoire d’une quasi-motion de censure. Oubliant qu’une motion de censure se doit d’être constructive selon l’article 113 de la Constitution espagnole. Ce qui avait été le cas en juin 2018 quand Mariano Rajoy avait été « remercié » par un ensemble de groupes parlementaires, -PSOE, Podemos, PNV, CC, ERC, PDeCAT-, ayant apporté leur soutien au gouvernement minoritaire et monocolore constitué alors par Pedro Sanchez et le PSOE.

Cette majorité, fragile, composite, a réussi à faire adopter en huit mois, 13 lois et 25 décrets-lois. Centrés sur trois priorités. En premier lieu la croissance économique, la création d’emplois, la transition écologique, et l’adaptation au changement climatique. Le second objectif a été social, la lutte contre les inégalités. L’universalité de l’accès à la santé a été rétablie, le salaire minimum garanti augmenté de 22%, les retraites ont été revalorisées, ainsi que les bourses. Une loi de protection des mineurs contre abus et violences a été adoptée. Les moyens mis à disposition pour lutter contre la pauvreté des enfants ont été accordés. Dernier point de l’agenda gouvernemental de Pedro Sanchez, le renforcement des institutions. Un fonctionnement de la télévision publique dans l’indépendance a été validé. La loi de mémoire historique a été réactivée, et le transfert des restes du dictateur (Francisco Franco) hors du sanctuaire du Valle de los Caidos adopté. L’immunité des parlementaires a été révisée. Le dialogue avec les Communautés autonomes, soit par des conférences sectorielles, soit en bilatéral, suspendu depuis 7 ans a été repris. Des dotations en particulier à la Catalogne pour ses infrastructures, et au Pays basque ont été effectuées.

Le recours aux électeurs, pour Pedro Sanchez, s’avérait nécessaire, faute de majorité parlementaire, pour mettre en œuvre cet ensemble de mesures. La droite (PP et Ciudadanos), aiguillonnée par un patronat, indisposé par l’augmentation du salaire minimum, ne voulait pas entendre parler de budget social. Elle a masqué son rejet derrière une politique de crispation et de haine au nom de l’unité nationale présentée comme menacée en Catalogne avec la complicité de Pedro Sanchez. Elle a à cette occasion intégré et légitimé le parti d’extrême droite, Vox. Chargeant la barque catalane au passage de relents anti féministes, et restaurateurs de la mémoire franquiste.  Les indépendantistes catalans ont parallèlement accru les crispations en exerçant un chantage au référendum d’autodétermination. En clair obtenir en échange du vote de ce budget social, l’engagement d’une négociation sur la tenue d’une consultation d’autodétermination. La somme de ces crispations croisées a imposé le recours aux urnes. Pour quel résultat ?

Le 28 avril 2019, un scénario possible, sinon probable, est celui d’un résultat électoral, ouvrant la voie à une majorité à l’andalouse[1], associant les trois droites -PP, Ciudadanos et Vox. Enterrant toute perspective de budget social et réactivant les provocations à l’égard de la Catalogne, qui ont été de 2012 à 2018 à l’origine de la détérioration structurelle de la question catalane. Le président du gouvernement basque, Mikel Aizpuru (PNV) a regretté l’absence de « réalisme politique » des indépendantistes catalans. « On doit, a-t-il déclaré, (en démocratie), assumer la réalité (..) pour commencer à offrir des réponses constructives. Regrettant l’oubli, hors du Pays basque, de l’esprit de la transition démocratique. Au Pays basque, a-t-il déclaré, « Gouvernement comme opposition ont un comportement responsable, les portes du dialogue et donc du débat, restent ouvertes facilitant l’adoption de mesures constructives ».

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[1] Le 2 décembre 2018, ces trois partis ont à l’issue des élections « régionales » andalouses constitué une majorité de gouvernement.
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