ANALYSES

Sanctions contre l’Iran : la cavalcade solitaire de Donald Trump

Interview
6 novembre 2018
Le point de vue de Thierry Coville


Applaudies par Netanyahou, déplorées par les Européens, les mesures visant les secteurs énergétiques et financiers de la République islamique d’Iran sont de nouveau en vigueur depuis ce lundi 5 novembre. Quel impact ces sanctions vont-elles avoir sur l’économie iranienne ? Le gouvernement iranien a-t-il les moyens de contourner ces sanctions et avec quels appuis ? Qu’en est-il de l’accord sur le nucléaire iranien au vu du retrait des États-Unis ? Le point de vue de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.

Le 5 novembre, les sanctions les plus dures de l’arsenal américain contre l’Iran sont rentrées en application, après une suspension de trois ans liée à l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran conclu en juillet 2015. Quelles sont-elles et quel impact vont-elles avoir sur l’économie iranienne ?

L’essentiel des sanctions qui sont appliquées à partir du 5 novembre concerne les secteurs pétrolier et financier. Le secteur pétrolier est vital pour l’économie iranienne  puisque le pétrole représente près de 80% des exportations de l’Iran et au moins 40% des recettes de l’État. Initialement, les autorités américaines avaient annoncé vouloir appliquer un embargo total sur les exportations iraniennes de pétrole. Elles ont annoncé avoir accordé hier des dérogations à 8 pays, ce qui peut vouloir dire qu’un certain nombre de pays renâcle à appliquer cet embargo. On en saura plus à ce sujet dans quelques mois puisque le gouvernement américain veut que ces 8 pays diminuent progressivement leurs importations de pétrole iranien.

D’autres secteurs sont aussi touchés comme celui des transports, notamment maritimes. Par ailleurs, la Banque centrale est également mise sous embargo. Autrement dit, il y a une interdiction de la part des Américains pour toutes les institutions publiques ou privées d’être en relation avec la Banque centrale d’Iran.

Enfin, les États-Unis ont parallèlement établi une liste de plus de 700 entreprises et organisations avec lesquelles il est désormais interdit de commercer. De plus, après un premier volet de sanctions entrées en vigueur le 6 août, qui touchaient certaines transactions financières et, entre autres, le secteur automobile, Washington s’attaque principalement à l’or noir de Téhéran.

Quelles sont les réactions de la société civile et du gouvernement iraniens ? Ont-ils les moyens de contourner ces sanctions et avec quels appuis ?

La société civile iranienne est sous le choc depuis l’annonce de Donald Trump de la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018. Effectivement, nous sentons beaucoup de pessimisme, d’inquiétude, voire de colère au sein de la population. Il est vrai que les Iraniens avaient beaucoup espéré de l’accord sur le nucléaire.

Un mécontentement généralisé était déjà perceptible puisque l’accord n’avait pas donné tous les bénéfices qui en étaient attendus. Il y avait tout de même de l’espoir, et une perspective positive avec cet accord. Désormais, une chape de plomb s’est abattue sur la société iranienne. De ce fait, la population rend le gouvernement iranien responsable de la situation. Hassan Rohani, le président iranien, avait négocié l’accord pour la levée des sanctions ; il n’est pourtant en rien responsable si Donald Trump a choisi d’en sortir.

Depuis l’arrivée de Donald Trump et l’accord sur le nucléaire, deux camps politiques s’affrontent en Iran : ceux qui défendent l’accord, soit les modérés, répartis sur plusieurs groupes politiques ; et ceux, plus radicaux, qui pensent que l’accord n’était qu’une tactique des États-Unis pour affaiblir l’Iran et que l’on ne peut pas faire confiance aux  Américains qui veulent in fine un changement de régime. Ce camp politique pense donc que cet accord fut une erreur et se voit renforcé au vu des récents événements. Il semble néanmoins que les principaux dirigeants iraniens, dont Ali Khamenei, le Guide de la Révolution, souhaitent majoritairement rester dans l’accord. « Ni guerre avec les États-Unis ni sortie de l’accord », s’était ainsi exprimé Ali Khamenei. La stratégie iranienne semble donc être de « tenir le coup » et de rester dans l’accord.

Pour ce faire, les objectifs sont triples. D’une part, revenir à un rationnement de l’économie. D’autre part, mettre en place des politiques pour les plus fragiles et précaires. Enfin et surtout, répondre à la question des débouchés possibles pour l’exportation de pétrole. C’est la question majeure.

Manifestement, les Iraniens sont en train de proposer des remises de prix sur leurs exportations de pétrole pour inciter, voire solidifier la clientèle. Il est fortement imaginable que les principaux clients de l’Iran seront les pays d’Asie, tels que l’Inde et la Chine. La déception considérable réside dans la position de l’Union européenne qui, en dépit d’intérêts et d’échanges commerciaux importants avec l’Iran, n’achèterait pas du pétrole iranien.

Qu’en est-il de l’accord sur le nucléaire iranien au vu du retrait des États-Unis ? Comment les autres pays, notamment l’Union européenne, ont-ils réagi ?

L’accord tiendra-t-il ? C’est la grande question. En effet, le scénario catastrophe serait que l’Iran en sorte. Toutefois, la Chine et la Russie soutiennent toujours l’accord. D’autre part, l’UE s’est politiquement opposée aux États-Unis en disant qu’il s’agissait d’une erreur majeure que les États-Unis en soient sortis.

Nous pouvons par contre être interrogatifs quant à la volonté de l’UE de maintenir des relations économiques avec l’Iran. Le mécanisme de paiement, un système de troc, qui a été mis en place par l’UE, demeure haletant. À tel point que nous ne savons pas grand-chose sur ce dispositif. D’autant que selon certaines sources, aucun pays européen n’était désireux d’être l’hôte de ce mécanisme de financement.

Toutefois, la stratégie iranienne semble bien, comme déjà évoquée, de rester dans l’accord, sans mettre l’accent sur le manque de volonté des Européens pour développer les échanges avec eux. Une manière pour Téhéran de montrer que les États-Unis sont isolés et que l’UE est avec eux. Il n’empêche que, si cette situation se pérennise, il faut que Bruxelles se réveille. D’ailleurs, d’autres sons de cloche s’élèvent actuellement en Iran : plusieurs journaux radicaux ont récemment dit qu’il fallait menacer de sortir de l’accord pour que les Européens s’opposent plus fermement aux sanctions américaines et  maintiennent leurs relations économiques avec l’Iran.
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