ANALYSES

Accord Boeing-Embraer, la dimension cachée

Tribune
20 juillet 2018


Le 5 juillet 2018, à Chicago et Sao Paulo, les avionneurs Boeing (États-Unis) et Embraer (Brésil) ont officialisé la fin heureuse de négociations engagées depuis décembre 2017.

Les deux sociétés ont, selon leur propos, posé les bases d’un partenariat mutuellement profitable. Embraer, premier constructeur mondial d’appareils commerciaux embarquant moins de 150 passagers, va bénéficier de la force de frappe du réseau commercial de Boeing.  De son côté, Boeing va pouvoir élargir la gamme de son offre à moindre coût.

Rien là de bien étonnant selon les observateurs avertis. Les « lois » du marché conduisaient nécessairement à cette entente. Chinois, Japonais et Russes sont entrés dans une danse compétitive redoutable pour les entreprises qui jusque là dominaient l’offre en avions commerciaux. En octobre dernier, Airbus avait pris le contrôle de Bombardier, numéro 2 mondial derrière Embraer, sur le segment des aéronefs de moins de 150 passagers. Embraer et Boeing étaient donc, selon les experts, poussés à se marier.

Les termes de cette union méritent examen. En effet, les modalités de l’accord révèlent une dimension cachée, bien que considérée sans doute comme naturelle et inévitable par les consultants et acteurs du monde économique. Embraer, en signant cet accord, cesse d’exister comme entreprise intégrée et autonome. Elle sera désormais partagée en deux coentreprises. Une coentreprise responsable de l’avionique commerciale au capital Boeing à 80%. Et une coentreprise à capital Embraer à 80% gérant la partie militaire de l’ex-Embraer historique. En 2017, 57% du chiffre d’affaires d’Embraer était assuré par l’aviation commerciale. 9 000 des 18 000 salariés relevaient de ce segment-là. Enfin, les bénéfices et le savoir-faire irriguaient la partie militaire.

Que vont devenir statutairement les employés transférés à la nouvelle société Embraer, filiale de Boeing ? Que vont devenir les centres de recherche et le savoir-faire d’Embraer ? La filiale étant placée sous la responsabilité du patron de Boeing, Dennis Muilenburg, le siège va-t-il rester à Sao José dos Campos (banlieue de Sao Paulo) ? Le syndicat des métallurgistes, Sindmetal SJC, a posé toutes ces questions et a demandé à être reçu par le patron d’Embraer, Paulo Cesar de Souza e Silva, les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, le président de la République.

Les commentaires des responsables brésiliens se veulent rassurants. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Le récent accord est la réponse des bergers Boeing et Embraer à leurs homologues et concurrents Airbus et Bombardier. Le secteur défense est préservé. L’État, actionnaire important (25% au total, plus une action privilégiée) sera vigilant. L’ingénieur Ozires Silva, inventeur de l’entreprise nationale Embraer en 1969, a été sollicité par les médias et a fait savoir tout le bien d’un accord de partenariat, selon lui qui ne pourra apporter que des bénéfices, en investissements, impact commercial à Embraer.

Le caractère inégal de l’accord mérite malgré tout un regard différent. Ne serait-il pas révélateur des nouveaux temps qui ont bouleversé la donne brésilienne et latino-américaine depuis quelques mois ? Embraer a été le symbole d’un Brésil aspirant à sortir de la périphérie du monde. Voulue par les militaires nationalistes qui dirigeaient le pays, en 1969, l’entreprise à forte technologie était devenue le troisième avionneur mondial. Quelques années plus tard, le Brésil s’était rapproché de son objectif diplomatique. Il avait initié de nombreux forums sud-sud, avec les Africains, la Ligue arabe, et cofondé les groupes IBAS et BRICS, avec la Chine, l’Inde et la Russie.

Les dirigeants actuels du Brésil, issus d’un coup d’État parlementaire en 2016, ont immédiatement mis un terme aux ambitions diplomatiques du Brésil. En laissant Boeing prendre le contrôle de l’entreprise symbolisant l’aspiration à l’indépendance technologique, ils confirment la dimension cachée de la mise à l’écart de la présidente élue, Dilma Rousseff en 2016 et l’emprisonnement ultérieur et sans preuve de Lula, en condition de gagner la présidentielle d’octobre 2018.
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