ANALYSES

Crise politico-sécuritaire en Catalogne au lendemain du référendum : un point de non-retour ?

Interview
3 octobre 2017
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


L’escalade rhétorique de ces derniers mois entre l’exécutif espagnol et catalan s’est muée en une crise majeure, qui laisse présager une incapacité à ouvrir un dialogue au vu de l’antagonisme entre Madrid et Barcelone. Pour nous éclairer, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky chercheur à l’IRIS sur les questions ibériques.

Au lendemain de la tenue du référendum d’autodétermination, l’exécutif catalan a proclamé une large victoire des partisans de l’indépendance, tandis que la réponse sécuritaire de Madrid à la tenue des élections a largement choqué. Comment expliquer ce soudain embrasement ? Au-delà de la suite à donner à ce référendum, Madrid n’a-t-elle pas perdu la bataille des images et entériné de fait un après et un avant 1er octobre 2017 ?

Ce qui s’est passé dimanche était un accident démocratique prévisible compte-tenu des positions antagonistes et antidémocratiques des acteurs en présence. Le gouvernement de la Généralité est passé outre la Constitution qui avait été adoptée en 1978 par 90% des Catalans et le gouvernement espagnol a refusé tout dialogue depuis 2011. Cet autisme réciproque ne pouvait s’achever qu’en accident politique. Avec une interrogation qui portait sur celui qui allait l’emporter médiatiquement. Le gouvernement catalan a joué la provocation pour piéger Madrid qui est tombée dans le panneau en envoyant la police sur les lieux de vote où devaient se prononcer les principaux responsables gouvernementaux catalans.

Une majorité silencieuse ne s’est pas déplacée ce dimanche. Comment l’interpréter ? Est-ce une manière de renvoyer dos à dos un exécutif régional faisant de l’autodétermination l’alpha et l’oméga de sa politique et un gouvernement central totalement dépassé dans la gestion politique et sécuritaire des événements ?

Le gouvernement central n’est pas dépassé par les événements : il a refusé toute forme de dialogue avec les autorités catalanes depuis 2011 pour deux raisons. La première est idéologique : le parti populaire est un parti nationaliste, dans la tradition de la droite espagnole qui conçoit le pays comme un Etat unifié. L’autre raison est électorale : les partisans du Parti Populaire (PP) considèrent qu’il n’y aucune concession à faire à la Catalogne. Aux dernières élections catalanes, les indépendantistes ont fait 48% des suffrages exprimés. C’est-à-dire que 52% des électeurs préfèrent une autre solution préservant sous une forme ou sous une autre le lien avec le reste de l’Espagne. Interrogés régulièrement depuis 2012, une majorité de Catalans souhaiterait revenir au statut d’autonomie appliqué de 2006 à 2010 et qui a été suspendu par le tribunal constitutionnel sur plainte du PP. Ce statut définissait la Catalogne comme une nation dans la nation espagnole, et lui donnait des droits plus étendus. Le PP n’a jamais répondu depuis son accession au pouvoir en 2011, au vœu d’une majorité des catalans souhaitant rester au sein de la nation espagnole mais avec une reconnaissance de leur particularisme avec des droits plus importants. Pas plus qu’il n’a accepté la demande de Pacte fiscal proposé en échange d’un abandon de la revendication « nationale » par le parti nationaliste de centre-droit, CiU (aujourd’hui PDCat) en 2011.

Cette majorité n’est pas allée voter car le scrutin ne s’est pas déroulé dans des conditions démocratiques : pas de liste électorale, pas de bulletin de vote anonyme, pas d’espace pour une campagne en faveur du Non etc… Les partisans d’une autre voie ne pouvaient pas d’autre part participer à ce référendum car la possibilité d’une autre option que celle de l’indépendance n’était pas présente dans la question posée.

Une sortie de crise suppose que les différents acteurs s’assoient autour d’une table sans aucune condition préalable. Mais on peut s’interroger sur la capacité de M. Puigdemont pour la Catalogne et M. Rajoy pour le gouvernement espagnol à procéder tôt ou tard à ce dialogue.

La perspective la plus raisonnable et démocratique serait une sortie de crise où chacun assumerait les positions prises face aux électeurs. Il y a des voix à Barcelone, mais aussi en Espagne, qui considèrent que le dossier a été très mal géré par le gouvernement Rajoy: Podemos, pourtant partisan d’une Espagne unifiée, refuse les méthodes suivies par la justice et la police, tandis que les socialistes proposent depuis le mois de juin une fédéralisation de l’Espagne et la création d’une commission spéciale du Parlement. Aujourd’hui, des autonomistes qui soutenaient le statut entre 2006 et 2010 sont devenus indépendantistes en raison de l’intransigeance de Madrid.

L’Union européenne communique très peu autour de cette crise d’un de ses Etats membres. Appelée par les indépendantistes à se positionner, la négociation de ce conflit doit-elle nécessairement passer par Bruxelles ?

Les pays de l’Union européenne ainsi que la Commission ont évité de se prononcer depuis le début de cette crise, considérant qu’il s’agissait d’une question relevant d’un débat démocratique interne à l’Espagne. Il a été rappelé, en réponse aux questions posées par le Parlement européen au président de la Commission en 2004, et en 2017, que les fondements de l’UE reposaient sur le respect des textes et donc de la Constitution espagnole.

Implicitement l’UE et ses membres soutiennent juridiquement le gouvernement espagnol. Si une indépendance catalane se faisait dans le respect des règles constitutionnelles, ce nouvel Etat ne serait pas membre de l’UE et devrait se soumettre à un processus d’adhésion. Les nationalistes catalans ont défendu une thèse différente, considérant qu’ils étaient déjà membres de l’UE et qu’il n’y aurait pas de changement de leur statut, ce à quoi l’Union a répondu que cela n’était pas envisageable.
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