ANALYSES

Victoire de Trump : sauvegarder à tout prix l’alliance américano-japonaise

Tribune
10 novembre 2016
La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine le 8 novembre peut-elle menacer l’alliance vitale entre les Etats-Unis et le Japon et déstabiliser la région asiatique ?

Donald Trump a critiqué le traité de défense unissant Washington et Tokyo car il ne force pas le Japon à venir en aide aux États-Unis en cas d’attaque. « Nous avons un traité avec le Japon qui dicte que si le Japon est attaqué, nous devons utiliser toute la force et la puissance des États-Unis », a dit le candidat républicain à ses partisans lors d’une réunion publique à Des Moines, dans l’Iowa. « Si nous sommes attaqués, le Japon n’a rien à faire. Ils peuvent rester chez eux à regarder leurs télévisions Sony », a-t-il poursuivi. Donald Trump, dont l’un des slogans de campagne est « L’Amérique d’abord » (« America’s first »), entretient depuis plusieurs mois la menace d’une renégociation ou d’un abandon des accords de défense avec les alliés traditionnels de Washington. « Ils doivent payer, car nous sommes à une autre époque qu’il y a 40 ans », a insisté Donald Trump. Et il a déploré, comme technique de négociation, les déclarations de responsables comme Hillary Clinton et Barack Obama qui répètent que ces alliances sont sacrées. « Il faut toujours être prêt à claquer la porte. Je ne pense pas que ce sera nécessaire, mais on ne sait jamais ! » a menacé Donald Trump. « Il est possible que le Japon soit obligé de se défendre contre la Corée du Nord ».

Le risque est donc, si M. Trump applique sa politique déclaratoire, d’une remise en cause des alliances traditionnelles. On peut attendre donc le risque de la désintégration des alliances américaines et un renversement de l’élan généré par l’administration Obama à travers son « rééquilibrage » vers l’Asie. Le Japon et la Corée du Sud sont, après les prises de position du milliardaire new-yorkais, plus susceptibles de développer des armes nucléaires. Donald Trump estime que les alliés ne paient pas leur part pour les garanties de dissuasion étendue aux États-Unis.

La remise en cause de l’alliance avec les Etats-Unis pourrait donc avoir des conséquences graves. Elle pourrait accroître les tensions déjà aiguës dans la région en initiant une course aux armements régionale car le Japon serait fortement incité à accroître ses dépenses de défense. Elle peut perturber l’équilibre régional car si les Etats-Unis n’apportent plus leur capacité de dissuasion, c’est tout l’édifice sécuritaire qui est menacé. Et le statu quo peut être remis en cause. Si le Japon n’a plus le parapluie nucléaire américain, il peut être tenté de se doter d’armes nucléaires. Ce qui serait illusoire, car il ne pourrait protéger efficacement son territoire si exigu, et dangereux, car il menacerait la Chine qui, inquiète, pourrait être tentée de mener une politique encore plus agressive. Cela introduirait également la possibilité que la Corée du Nord – la principale source de menace dans la région – réagisse de façon imprévisible. Si, sans remettre en cause l’alliance, il s’agit d’accroître fortement l’effort de défense du Japon, cela risque de mettre en difficulté une économie nippone encore fragile.

Une remise en cause de l’alliance ou un rééquilibrage trop brutal peuvent donc avoir des effets potentiellement dévastateurs. Personne ne sait réellement qu’attendre de Donald Trump, ce qui est déstabilisant dans une région sous haute tension.

Aussi, le Japon a immédiatement réagi à l’élection de Donald Trump. Le pays a décidé d’envoyer un haut fonctionnaire, Katsuyuki Kawai, assistant politique du Premier ministre Shinzo Abe en charge de la diplomatie, à Washington, dès la semaine prochaine, pour essayer de rencontrer ceux qui seront responsables de la prochaine administration de la Maison Blanche.
Le secrétaire général du cabinet nippon, Yoshihide Suga, a déclaré : « Nous nous préparons pour pouvoir répondre à n’importe quelle situation, parce que notre position est que notre alliance avec les États-Unis reste la pierre angulaire de notre diplomatie ». Et surtout, le Premier ministre japonais Shinzo Abe va rencontrer Donald Trump la semaine prochaine, ont annoncé jeudi des responsables officiels après une conversation téléphonique entre les deux hommes au lendemain de la victoire du milliardaire à l’élection présidentielle. M. Abe et Trump ont échangé pendant une vingtaine de minutes. Le Premier ministre japonais rencontrera probablement le futur président américain le 17 novembre, juste avant sa venue au Pérou, pour le sommet du groupe de coopération économique en Asie-Pacifique (Apec), a déclaré à l’AFP une responsable du ministère japonais des Affaires étrangères. Au cours de l’entretien téléphonique, M. Abe « a parlé de l’importance de la relation bilatérale et de l’alliance américano-japonaise », a déclaré la responsable du ministère. Shinzo Abe a félicité mercredi Donald Trump pour son élection à la présidence des Etats-Unis qualifiant les deux pays d’« alliés inébranlables ».
En réponse, M. Trump a dit espérer renforcer la relation américano-japonaise, a affirmé la responsable et il a également dit, selon elle, apprécier la politique économique de M. Abe.

M. Trump mettrait-il déjà de « l’eau dans son vin » et atténuerait-il ses positions de campagne ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est donc pas dans l’intérêt du Japon et des Etats-Unis de remettre en cause une alliance multidécennale et de risquer des conflits en Asie orientale, dont les répercussions pèseraient sur l’économie américaine et la stabilité des Etats-Unis. L’isolationnisme américain n’a jamais été bon pour la paix internationale. A l’inverse, une implication des Etats-Unis dans les affaires mondiales a pu souvent jouer un rôle historique stabilisateur et pacificateur, à l’exemple de l’intervention dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle.

On peut espérer que Donald Trump n’agira cependant pas comme il l’a fait pendant la campagne présidentielle où il est apparu totalement imprévisible, vindicatif et hostile au commerce international. Il est possible que sa prise de fonction le rende plus raisonnable et qu’il agisse donc différemment. C’est l’espoir que la fonction présidentielle rende l’homme plus rationnel. Cela dépendra aussi de l’équipe qui se constituera autour de lui, actuellement en cours de formation, dont on peut espérer qu’elle comportera des vieux routiers de la diplomatie et des affaires militaires, conscients des équilibres mondiaux et des risques de conflits.

L’équilibre asiatique et donc la sécurité mondiale sont en jeu.
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