ANALYSES

Le marché des sous-marins en Australie : une victoire technologique et diplomatique pour DCNS et pour la France

Tribune
26 avril 2016
Le moins que l’on puisse dire est que le marché des sous-marins en Australie a été gagné de haute lutte par l’entreprise française DCNS face aux Japonais de Mitsubishi Heavy Industries et Kawasaki Heavy Industries et à l’entreprise allemande ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS). Les Français ne partaient pourtant pas favori.

Sur le plan diplomatique, les Japonais avaient une longueur d’avance. Ce sont des riverains du Pacifique et le gain du marché par le Japon aurait permis de renforcer l’alliance trilatérale entre l’Australie, le Japon et les Etats-Unis pour faire face à la Chine. C’était la solution privilégiée du précédent gouvernement australien présidé par Tony Abbott et les Japonais ont espéré jusqu’à la fin de l’année 2014 que l’Australie opte pour des sous-marins japonais sans même qu’un appel d’offre ne soit lancé. Si ce pays a en effet libéralisé sa politique d’exportation le 1er avril 2014, il aurait éprouvé les plus grandes difficultés à transférer les technologies nécessaires à la fabrication des bateaux dans les chantiers d’Adélaïde. De plus, l’Australie a sans doute craint qu’un choix pour le Japon n’indispose trop fortement la Chine qui devient le partenaire commercial incontournable de la région, y compris en Australie.

Les Allemands pouvaient compter pour leur part sur un atout majeur : TKMS est le plus grand fabricant mondial de sous-marins conventionnels. Mais les Australiens avaient besoin d’un sous-marin qui ait une allonge plus grande que ceux fabriqués jusqu’alors par TKMS afin de pouvoir croiser jusqu’en Asie du Nord-Est. Sur le plan diplomatique, le choix allemand n’était certes pas susceptible d’effrayer la Chine, mais l’Australie avait besoin de plus qu’un fabricant de bateau, il voulait un partenaire stratégique qui ait des intérêts dans la région ce qui est le cas de la France avec notre présence en Nouvelle Calédonie et dans les Iles du Pacifique. La France conserve en effet de ce fait, même en quantité réduite, des moyens militaires dans la région.

Enfin dans cette équation australienne, il y avait également un quatrième pays qui comptait dans la décision : les Etats-Unis. Rien ne pouvait certainement se faire sans leur aval tant l’équipement en sous-marins de l’Australie joue un rôle dans l’équilibre militaire de la région. Cette implication américaine dans le choix du sous-marin japonais était symbolisée de deux manières. D’une part le système de combat qui devait équiper le sous-marin australien était nécessairement américain pour cause d’interopérabilité avec les forces américaines dans le Pacifique. D’autre part les Australiens avaient été jusqu’à nommer un ancien secrétaire d’Etat à la marine américain à la tête du panel d’experts qui avait été désigné pour évaluer les offres remises par les trois concurrents en novembre 2015. Pour cause d’alliance stratégique, on a d’ailleurs cru longtemps que les Japonais auraient gain de cause avec l’appui des Américains.
De ce fait il faut considérer le choix non seulement comme une victoire technologique et industrielle mais aussi comme une victoire diplomatique.

Sur le plan technologique et industriel, DCNS présentait tout d’abord la garantie de pouvoir développer le type de sous-marins que souhaitaient les Australiens. Celui-ci, plus gros que les sous-marins conventionnels fabriqués habituellement par DCNS, sera dérivé du sous-marin d’attaque fabriqué à l’heure actuelle pour la marine française. La différence majeure viendra du fait que le sous-marin australien aura une propulsion classique diesel/électrique et non une propulsion nucléaire comme le Barracuda français.

En second lieu, DCNS est habitué désormais à gérer des contrats importants de ventes de sous-marins comprenant la fabrication sur place et des transferts de technologie. C’est le cas des ventes de sous-marins Scorpène à l’Inde en 2005 et au Brésil en 2009. Or la question des emplois créés en Australie a pris une importance grandissante avec le temps. Le plan de charge en chute libre du chantier local ASC devait se traduire par des suppressions d’emplois dans la région d’Adélaïde, dans le Sud de l’Australie. Cette question était devenue un enjeu de campagne électorale en Australie avant les élections anticipée au mois de juillet de cette année et il était important pour le Premier ministre Malcolm Turnbull de communiquer rapidement et de manière positive sur ce sujet. C’est ce facteur qui a d’ailleurs desservi les Japonais dans la dernière ligne droite. Ces derniers avaient fait l’objet d’une campagne de presse très négative de la part des élus locaux du Sud de l’Australie et de la presse australienne, les Japonais ayant annoncé à l’origine qu’ils fabriqueraient les sous-marins destinés à l’Australie au Japon. Sur ce plan, DCNS a donc pu donner toute garantie quant à sa capacité à travailler avec les entreprises australiennes qui seront impliquées dans la fabrication du sous-marin.

Enfin, c’est une victoire diplomatique pour la France. Pour ce type de contrat très important il est en effet impossible de l’emporter sans une implication diplomatique forte. Le Premier ministre japonais Shinzo Abe et la chancelière allemande Angela Merkel l’ont d’ailleurs fait mais sans succès. La France a peut-être su profiter d’une relative discrétion à ce niveau, préférant agir sans grande déclaration médiatique, en s’appuyant sur son bon positionnement diplomatique. La France est un acteur stratégique de la région, contrairement à l’Allemagne, mais elle n’est pas marquée aussi fortement que le Japon dans son opposition à la Chine ce qui pouvait rassurer les Australiens. La France a également sans doute profité de la bonne relation stratégique qui s’est nouée avec les Etats-Unis ces dernières années. Car si la décision ne se prenait pas à Washington, les Américains pouvaient en revanche certainement s’opposer à un choix qui n’aurait pas conduit à un renforcement de l’alliance stratégique dans la région.

Les conséquences de de contrat sont multiples. Tout d’abord, il va se traduire par un nombre important d’emplois en France : 4000 pour les six prochaines années selon DCNS. En second lieu, le phénomène the winner take all pourrait s’imposer. La concurrence est féroce sur le marché de l’exportation des sous-marins et la perte du contrat australien est une mauvaise nouvelle pour l’entreprise allemande TKMS. Ce choix peut donc être aussi l’occasion de relancer un processus de consolidation de l’industrie navale militaire européenne qui s’imposera de toute manière avec le temps.
Sur la même thématique
Caraïbe : quels enjeux pour les opérations HADR ?
COP28 : Que peut-on en attendre ?