ANALYSES

Multiplication des attentats-suicides au Cameroun : comment le pays fait-il face au défi sécuritaire ?

Interview
14 janvier 2016
Le point de vue de Samuel Nguembock
La stratégie consistant à mener des attaques-suicides traduit-elle un affaiblissement de Boko Haram depuis le renforcement de la présence militaire du Cameroun le long de la frontière nigériane ?
Boko Haram a perdu beaucoup de terrain au cours de ces derniers mois et de ces dernières semaines. Sa capacité de contrôle territorial a été largement diminuée compte tenu de la mobilisation régionale, notamment à travers la force multinationale mixte, mais aussi en raison du renforcement du dispositif de sécurité de l’armée fédérale nigériane et de la réorganisation de son dispositif militaire. Il faut également souligner les efforts de mobilisation des autres armées nationales, que ce soit au Cameroun, au Niger, au Tchad, ainsi que l’appui apporté par le Bénin.
Face à cette mobilisation régionale liée au renforcement des dispositifs militaires aux frontières des pays membres de la commission du bassin du lac Tchad, et sentant un rapport de force défavorable, Boko Haram a choisi d’adopter le mode opératoire classique des groupes armés terroristes qui consiste à perpétrer des attentats. On observe en effet ces derniers mois que Boko Haram, au lieu de renforcer son dispositif militaire conventionnel qui lui permettait par le passé d’enregistrer des victoires militaires sur les armées nationales, se replie beaucoup plus vers des attentats terroristes car, face à la riposte militaire des armées nationales et face à la mobilisation régionale, il se rend bien compte que son dispositif de sécurité et de défense ne lui permet plus d’enregistrer des victoires militaires.
En opérant de la sorte, il bénéficie d’une mobilité beaucoup plus grande que les forces armées régulières car ses attentats ne peuvent pas être facilement contrôlés par les armées nationales. On l’observe aussi bien au Nigéria qu’au Cameroun par la multiplication des attentats au cours des dernières semaines. Ce mode opératoire lui permet d’exprimer sa présence opérationnelle mais aussi idéologique en alimentant son discours auprès de ses adeptes. Par ailleurs, ces attentats lui offrent un espace médiatique qui lui est fortement avantageux. Boko Haram saisit ainsi toutes ces opportunités pour continuer d’exister.

Quelles sont les capacités militaires actuelles du Cameroun et que représente la part de la défense dans l’économie du pays ? Le pays est-il capable à long terme de faire face à la menace ?
Le Cameroun a mobilisé des efforts considérables, à la fois sur le plan opérationnel, de la planification stratégique et l’organisation tactique de son dispositif militaire interarmées, mais aussi au niveau de l’effort de guerre à l’échelle nationale ; je fais notamment allusion à la participation de la population et à la défense populaire. Depuis l’été 2014, le chef de l’Etat camerounais a réorganisé son dispositif militaire en accordant à la région du Nord une quatrième région militaire interarmées, ce qui lui permettait d’avoir une visibilité plus grande et des capacités opérationnelles pour faire face à la menace aux frontières avec le Nigéria. En dehors de cette réorganisation, il faut aussi reconnaître les efforts fournis en termes de renforcement des capacités militaires de recrutement massif des forces spéciales et dans les autres composantes de l’armée. Le Bataillon d’intervention rapide (BIR) a renfloué ses effectifs et son arsenal militaire au cours des derniers mois. Ce dernier s’est doté, avec l’appui technique des Israéliens, d’équipements technologiques militaires de dernière génération. Des outils modernes, notamment un drone, qui lui permettent d’accroitre ses capacités de contrôle et de surveillance aérienne. Les autres composantes de l’armée – armée de terre et armée de l’air – se sont aussi mobilisées pour renforcer la présence militaire dans la région et les autres services de sécurité nationale, notamment la police et la gendarmerie nationale, ont renforcé le dispositif régional de sécurité spécialement dédié à la lutte contre Boko Haram. Le Cameroun bénéficie par ailleurs de l’appui et l’assistance technique des contingents français et américains dans la région.
Au niveau de la capacité à soutenir cet effort de guerre à long terme, plusieurs aspects doivent être soulignés. Premièrement, depuis plus d’un an de combat, l’effort de guerre est considérable, et cela a un impact sur l’économie nationale, notamment sur l’encadrement et l’entretien du dispositif de sécurité. On le voit très bien à travers la mobilisation des comités de vigilance au Nord. Ailleurs, le fait que l’armée ou l’institution gouvernementale puisse faire recours à des milices présente des signes d’essoufflement du dispositif de sécurité et de défense destiné à lutter contre les menaces aux frontières. Le Nigéria l’a fait au début de la guerre contre Boko Haram.
Deuxièmement, il est clair que la mobilisation de ces comités de vigilance permet de donner un ballon d’air frais aux forces de sécurité et de défense camerounaises pour lutter contre l’organisation terroriste. Mais si l’on fait monter en première ligne les comités de vigilances composés de civils, de villageois, pour lutter contre une nébuleuse, cela pourrait démontrer que les forces de sécurité qui sont payées pour assurer la sécurité et l’intégrité territoriale ne sont plus à même de faire face seules à Boko Haram. Cela n’est pas un signal positif pour les investisseurs étrangers et n’augure pas de perspectives reluisantes pour l’économie nationale. Le fait que l’Etat camerounais présente des failles opérationnelles pour lutter contre Boko Haram pourrait limiter des investissements directs étrangers massifs. Il est difficile de soutenir sans ambages que l’Etat camerounais seul pourra soutenir cet effort de guerre et maintenir la pleine capacité opérationnelle de ce dispositif de sécurité à long terme. En termes de perspectives, il existe des problèmes majeurs qui sont liés à la fois aux défis structurels du pays et au contexte régional. Néanmoins, des efforts sont fournis, à la fois de la part des forces de sécurité et de défense mais aussi de la part de la population : plus de 130 terroristes ont été neutralisés et des attentats déjoués au cours des dernières semaines. Cela ne suffira certainement pas compte tenu de la profondeur de la menace à l’intérieur et les défis économiques auxquels le pays fait face.

Quel est l’impact de ces tensions sécuritaires sur la population camerounaise ? Ces dernières ne rajoutent-elles pas des difficultés supplémentaires face à un pays devant répondre à de nombreux défis économiques et sociaux ?
Il faut reconnaître que cette situation sécuritaire a une conséquence évidente sur l’évolution de la situation économique et sociale nationale. L’institut national de la statistique a publié un rapport montrant que la pauvreté gagne du terrain au Cameroun. Cela est aussi lié à l’impact que la guerre contre Boko Haram a sur l’économie nationale et sur la capacité de l’Etat à financer des politiques sociales et de développement. Les Camerounais sont en grande majorité impactés par les effets pervers de cette guerre. Compte tenu de l’absence d’un tissu économique dynamique relié et soutenu par un secteur privé dynamique, l’Etat est tourné vers l’aide internationale. Il présente aujourd’hui des difficultés quant à sa capacité à financer de façon autonome ses projets de développement en infrastructures et les politiques sociales de développement. Tout cela constitue un cercle vicieux où l’Etat étant davantage fragilisé est incapable de payer sa dette intérieure et internationale. Cet ensemble de facteurs ne permet actuellement pas d’envisager des perspectives reluisantes pour le Cameroun.
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