ANALYSES

Olympisme, faux partisans et astroturfing

Tribune
6 avril 2017
À défaut de pouvoir tromper le peuple par des technologies numériques pour le faire voter à sa guise, peut-on influencer une organisation, des médias, des décideurs par écrans interposés ? Dans tous les cas, des lobbyistes s’y essayent. Le cas des jeux olympiques de 2024, pourrait bien illustrer ces stratégies de l’illusion numérique.

Commençons par un rappel des méthodes. Que les technologies permettent de produire des faux remarquables (pseudo documents ou témoignages, photographies retouchées…) avec des logiciels simples et un peu de mauvaise foi, c’est une évidence dont se plaignent les médias: les fausses nouvelles (« fakes ») prolifèrent et suscitent une vérification systématique, dite « fact-checking« , par des journalistes professionnels. Et qu’à l’ère de ce que certains ont baptisé « la post-vérité », une partie du public soit plus réceptive aux dites rumeurs, désinformations, interprétations complotistes ou délirantes, qu’elle en recherche et en trouve de plus en plus sur les réseaux sociaux, voire qu’elle assume son refus de la « vérité officielle » au profit de délires qui flattent ses passions ou préjugés, nous le croyons volontiers.

Mais nous restons encore là dans le domaine du mensonge et de la crédulité, des événements imaginaires et de leur réfutation. Pourrait-on faire encore plus simple et falsifier non pas des faits mais l’existence de l’opinion elle-même ? La réponse est oui. Au lieu de simuler de faux événements pour convaincre, stimulez de faux internautes. Cela créera l’impression d’un puissant mouvement en faveur de telle idée ou de tel produit, ou contre tel politicien, tel pays, telle entreprise. Il suffit d’identités et comptes imaginaires : ce sont soit des employés de chair et d’os dans des « usines à trolls » (les trolls sont les ceux qui « polluent » les discussions en ligne par leurs interventions systématiques), soit des algorithmes, des robots (« bots ») qui imitent des internautes et répètent des contenus. Bénéfice collatéral : plus votre « armée » (vivante ou électronique) est active, plus l’opinion qu’elle défend prédomine dans les moteurs de recherche, attire l’attention et submerge l’opinion adverse. Sous des milliers de pseudonymes, une officine ou un lobby peut créer de l’influence en produisant des foules artificielles. Cela s’appelle « astroturfing », autre anglicisme qui fait référence à une marque de gazon artificiel (qui semble venir naturellement du sol ou de la base mais est fabriqué en usine).

La lutte d’influence pour l’obtention des jeux de 2024 oppose désormais Paris et Los Angeles. Comme le fait remarquer un excellent article de Réputatio Lab et une information reprise par RTL, le compte Twitter de @LA2024 semble susciter des engouements bizarres au mois de février où il gagne 27000 followers (plus un quart de son audience d’alors), dont très peu de suiveurs actifs, 55% d’interactions ne provenant pas des États-Unis, énormément provenant de pays arabes ou orientaux et beaucoup semblant avoir des préoccupations un peu éloignées de celles du baron de Coubertin. Ainsi, pourquoi une demoiselle pakistanaise dont l’unique activité semble être de signaler des vidéos sur des danses de paons et autres joliesses, se passionne-t-elle pour la cause de Los Angeles ?

De la même façon, on remarque sur Facebook certains pays saisis d’un enthousiasme soudain pour cette belle ville : le Bangladesh passant de 83 à 104.165 fans, le Pakistan de 56 à 92.104 et le Népal de 71 à 78.515…

Du coup, les soutiens venus des États-Unis deviennent assez minoritaires (25%) par rapport à ces trois pays qui ont plus de fans de LA que les USA.

Bien entendu, bizarrerie ne veut pas dire complot et ces chiffres (qui ont sûrement changé depuis) pourraient traduire des engouements exotiques pour la cité des anges. Mais les esprits chagrins soupçonnent un achat de partisans.

Contre-offensive de Jeff Millmann porte-parole de #LA2014 : tout cela serait fort naturel : la ville ayant fait de la publicité sur Facebook, il serait normal que des pays lointains réagissent en la lisant, tandis que les Américains sont déjà convaincus. Et voilà la clef d’un brusque passade de 200.000 fans fin 2016 à un million en avril 2017 : une bonne pub.

Chacun choisira l’explication qui lui convient, mais on peut imaginer que la production d’illusions en ligne devienne de plus en plus un problème de démocratie et de relations internationales.
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