ANALYSES

Theresa May : une position habile, ferme, et très inconfortable

Interview
9 février 2017
Le point de vue de Olivier de France
Hier, les députés britanniques ont donné à Theresa May le pouvoir de notifier à l’Union européenne l’activation de l’article 50. La semaine passée, celle-ci a publié un livre blanc dans lequel elle dévoile sa stratégie. En sait-on plus sur les modalités de divorce côté britannique ?

Le Livre blanc publié par le gouvernement britannique ne constitue que le versant technique de la position politique adoptée par Theresa May lors de son discours du 17 janvier à Lancaster House. C’est ce discours qui constitue la véritable rupture. Il montre que le gouvernement britannique, qui s’est heurté pendant plusieurs mois aux positions européennes dans ce dossier, a compris que maintenir sa stratégie irréaliste finirait par être contre-productif.

Theresa May a mis beaucoup de temps à comprendre cela. En revanche, depuis qu’elle a arrêté sa ligne, elle a mené sa barque avec habileté. D’une part, elle a réussi à faire passer l’abandon de ses prétentions sur l’accès au marché unique comme une clarification de sa part, une affirmation de son autorité, et la défense de la souveraineté britannique fondée sur le mandat que lui donne « la voix du peuple ». Il s’agit bien là pour elle de la seule position possible. En effet, sauf à remettre en cause son propre poste, elle est obligée d’en appeler à ce mandat et de le mener à bout, puisqu’elle n’était pas elle-même favorable au Brexit avant le référendum.

D’autre part, elle a réaffirmé son autorité sur le plan domestique au regard de son parti et du Parlement. Les députés britanniques ont donc donné à Theresa May les compétences pour enclencher l’article 50 et mener à bien les négociations. Le projet de loi a été passé rapidement et sans amendement, de sorte que la Première ministre pourra respecter le calendrier qu’elle s’était fixée. Theresa May avait besoin de ce soutien clair mais, pour ce faire, elle a dû donner des garanties sur le droit de regard que le Parlement pourra exercer sur l’accord final. L’accord avec l’Union européenne devra être ratifié par le Parlement britannique.

Quoiqu’à bien des égards historiques, le soutien du Parlement mercredi n’est donc que le départ d’un long processus en poupées russes, d’une complexité dont nous n’avons toujours pas véritablement pris la mesure. Elle va devoir mener de front la négociation avec Bruxelles en regardant dans son dos vers l’opposition de l’Ecosse, dont le Parlement a refusé l’activation de l’article 50, voire l’Irlande du Nord, l’opposition de la City, et une opposition parlementaire qui pourrait s’organiser en vue de peser sur les conditions de sortie. C’est maintenant que tout commence.

Pourquoi la Cour suprême britannique a-t-elle eu à trancher sur la nécessité ou non pour le gouvernement de consulter le Parlement avant l’activation de l’article 50 ? N’existe-t-il pas d’ores et déjà une jurisprudence pour ce cas précis ?

Le Royaume-Uni est un Etat dont la Constitution non-écrite repose sur une accumulation de précédents. C’est ce qui lui permet de s’adapter aux évolutions politiques de manière pragmatique. Or, la pratique du référendum y est inhabituelle : l’absence de précédent clair rend délicat l’arbitrage entre la souveraineté populaire et la souveraineté du Parlement.

C’est donc la Cour suprême qui a tranché. Une fois cette décision prise, le Parlement aurait donc pu s’opposer à l’activation de l’article 50, sachant que la majorité des députés était opposée au Brexit. Il semble avoir choisi de préserver son capital politique pour peser sur les conditions de sortie de l’UE.

La visite de Theresa May au nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, au nom de la « relation spéciale » entre Washington et Londres constitue-t-elle une stratégie pertinente côté britannique ?

Theresa May n’a pas le choix. D’une part, elle a dû se résoudre à la sortie du marché unique. Elle doit donc démontrer que le Royaume-Uni est ouvert au commerce international et capable de nouer des partenariats bénéfiques avec des pays tiers, et en particulier avec les Etats-Unis. Mais le Royaume-Uni devra négocier avec un partenaire beaucoup plus puissant, dont le chef d’Etat est passablement imprévisible. Elle s’est aussi rendue ces dernières semaines en Australie, en Inde et au Japon, mais ces futurs accords commerciaux seront longs à mettre en place et comporteront des contreparties.

Ses positions la mettent aussi dans une situation compliquée politiquement. Au lendemain de la visite de Theresa May à Washington, Donald Trump annonçait la publication d’un décret interdisant la venue sur le territoire de ressortissants de sept pays. Plus largement, la Première ministre est coincée entre l’obligation de bâtir son partenariat économique et ce qui l’oppose foncièrement à Trump. Comme le montrait récemment Gideon Rachman, le Brexit oblige Theresa May à se rapprocher d’un président dont elle ne partage pas la vision du monde : il est protectionniste, elle se pose en championne du libre-échange, elle défend le multilatéralisme basé sur des normes, lui met « America First », elle a souligné qu’une Union européenne solide et prospère était dans l’intérêt du Royaume-Uni, lui a suggéré vouloir la voir démembrée.

Theresa May a annoncé un « hard Brexit » laissant entrevoir la possibilité qu’aucun accord ne soit signé. A quoi ressemblerait le Royaume-Uni post-Brexit dans les relations internationales ? Quelles seraient ses alliances stratégiques avec le reste du monde ?

C’est la partie la moins crédible de son discours. 50 % des exportations britanniques vont vers le marché européen. Dans ce cas de figure, elles seraient soumises aux mêmes droits de douane que les autres Etats qui commercent avec l’UE, comme le veulent les règles de l’OMC. L’absence d’accord entre l’UE et la Grande-Bretagne aurait ainsi des conséquences catastrophiques, et il est plausible que le Parlement britannique s’y oppose, ce qui risquerait de provoquer une crise institutionnelle, voire de nouvelles élections législatives. D’où l’importance du poids que pèsera le Parlement sur les conditions de sortie.

Il est impossible de prévoir à six mois, encore moins à deux ans, mais une chose est sûre : les négociations seront compliquées tant l’économie britannique est imbriquée à celle de ses voisins européens, et cette complexité concerne un nombre incalculable de domaines. D’aucuns commencent à se demander si nous sommes réellement capables de mener le Brexit à son terme, et je n’en suis pas certain.
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