ANALYSES

Brexit : Les intentions de Theresa May

Interview
19 janvier 2017
Le point de vue de Sylvie Matelly
Theresa May a affirmé son souhait que le Royaume-Uni quitte le marché unique pour qu’il puisse librement négocier ses propres accords commerciaux. Quels pourraient être les principaux partenaires des Britanniques par le futur ? Les Etats-Unis de Donald Trump qui lui tendent les bras ?

Lors de son discours, Theresa May a clairement exprimé sa volonté de mener à bien la sortie du Royaume-Uni dans une logique de « reprise en main du destin du pays », ce qui signifie en termes clairs, la volonté de retrouver une plus grande autonomie et souveraineté nationale. Deux aspects sont directement cités dans son discours : la dimension économique et le contrôle des flux migratoire.

Pour ce qui concerne la question du marché unique ou de l’Union douanière, quels objectifs sont visés par les propos de Theresa May ? Très certainement, celui de disposer de plus importantes marges de manœuvre pour négocier des accords commerciaux avec d’autres partenaires. Ce que ne lui permet pas l’Union douanière puisque celle-ci fixe une politique commerciale commune et donc un tarif douanier commun aux Etats affiliés. Pour autant, le gouvernement de Madame May reste divisé sur ces questions. Est-ce que la liberté présente un intérêt plus grand que l’accès au marché européen pour les entreprises britanniques ? C’est une vraie question. Il est probable que cette partie du discours sur la possibilité de refuser même l’Union douanière et de réclamer un accord spécifique ait été influencé par les propositions de Monsieur Trump, ce week-end, de négocier un traité de libre-échange entre les 2 pays. Le Royaume-Uni ayant toujours privilégié ses relations avec les Etats-Unis, cette annonce a probablement rappelé de bons souvenirs…

Néanmoins, le potentiel intérêt, pour le Royame-Uni, d’un accord de libre-échange fait débat. D’un point de vue statistique, c’est sans aucun doute l’accord commercial le plus intéressant pour le pays. En effet, le marché américain constitue la première destination des exportations britanniques, soit près de 15% des exportations totales. La balance commerciale avec les Etats-Unis est excédentaire…

Sur un plan politique et historique, une proximité avec les Etats-Unis donne au Royaume-Uni une impression de puissance. Rappelons que le choix de l’Europe était un second choix pour les Britanniques après la guerre, Winston Churchill ayant préféré négocier une relation spéciale avec les Etats-Unis plutôt qu’une adhésion de son pays à une Europe en reconstruction… Madame May l’a d’ailleurs rappelé récemment dans un échange avec Monsieur Trump.

Pour autant, le Royaume-Uni possède un certain nombre de faiblesses dans une éventuelle négociation : le rapport de force, tout d’abord, est terriblement déséquilibré et le sera probablement encore plus une fois le divorce avec l’UE acté. Deuxièmement, nul doute que si Domald Trump souhaite négocier, c’est probablement avec une idée précise et dans le cadre d’une stratégie politique plus large englobant l’Europe. Son ambition risque de ne pas correspondre aux attentes des Britanniques. Cela risque d’aboutir sur des négociations asymétriques entre une petite et une grande puissance économique et sur la signature d’un accord déséquilibré.

Par ailleurs, Theresa May avait également souligné, juste après sa nomination, l’importance d’entamer des nouveaux partenariats, en particulier avec les pays émergents qui sont certes de « petits » partenaires économiques pour le moment comparés aux pays européens ou aux Etats-Unis, mais dont les opportunités du fait de leur potentiel de développement est important. Pour le Royaume-Uni, la négociation serait probablement plus équilibrée. Il pourrait négocier d’égal à égal avec des pays à fort potentiel.

Theresa May veut un nouvel accord douanier avec l’Union européenne. Pourquoi? A quoi pourrait ressembler ce nouvel accord ?

Sur ce point Theresa May est restée floue. Plusieurs scénarios étaient envisagés. Ils correspondent aux types de relations que l’Union européenne a nouées avec ses voisins. Le plus engageant concerne l’accord avec la Norvège qui participe au marché unique – elle a accepté la triple libre circulation (biens et services, capitaux, hommes)-, mais n’intervient pas dans les décisions. Un accord imposant la libre circulation des personnes tout en privant le Royaume-Uni de droit de regard sur les règles du marché n’intéresse pas Madame May. Elle a donc annoncé vouloir négocier un statut et un accord sur mesure avec l’Union européenne, à l’image de la Suisse dont la relation avec L’UE est régie par un certain nombre d’accords bilatéraux négociés au cas par cas en fonction des intérêts des deux parties. Pour autant, la négociation de ces accords a été longue et difficile… Deux ans n’y suffiront certainement pas, ce qui repose la question du repositionnement de ce pays hors de l’UE, sans alternative européenne à moyen terme. Derrière cette position se cache aussi la volonté de profiter de tous les avantages d’une relation ouverte avec les pays de l’Union européenne, tout en ne contribuant plus à son financement et en étant libre de négocier indépendamment les conditions d’accords commerciaux avec le reste du monde. Cette volonté reste utopique quoi qu’on en dise et constitue certainement le principal point de friction entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union européenne.

Pour calmer le jeu, Theresa May s’est montrée apaisante en appelant à des négociations intelligentes, dépourvues de volonté de punir le Royaume-Uni pour avoir décidé de quitter l’Union.

« Pas d’accord serait mieux qu’un mauvais accord pour la Grande-Bretagne ». Que risquent les Britanniques en cas d’absence d’accords commerciaux avec l’Union européenne ? Theresa May brandit la menace de faire du Royaume-Uni post-Brexit un paradis fiscal. La menace est-elle à prendre au sérieux ? Ce scénario pénaliserait-il l’UE ?

Par ces propos, Theresa May a affiché la volonté de fermeté du Royaume-Uni qui ne souhaite pas une confrontation avec l’Union européenne, mais qui ne se laissera pas faire. Cette fermeté visait aussi à rassurer les marchés. Ils ont réagi de manière positive à son discours puisque la Livre s’est appréciée. Pour les citoyens britanniques pro-brexit, la maîtrise du flux migratoire et la fin des « cotisations » européennes sont les principaux enjeux. Dans les négociations, leurs dirigeants privilégieront l’intérêt économique du pays et celui des entreprises. Les acteurs de la finance font d’ores et déjà du lobbying pour obtenir des délais, préserver leur passeport etc. Theresa May ne va pas tout accepter, il en va de l’avenir du pays car le Brexit constitue d’abord un risque pour le Royaume-Uni, même si, bien négocié, il pourrait ouvrir des opportunités nouvelles. Dans ce contexte et pour garder sa liberté d’aller chercher ces opportunités, elle est prête à renoncer à un accord douanier qui l’empêcherait de négocier avec d’autres pays.

Pour autant, en l’absence d’accord, les Britanniques risquent d’être traités comme n’importe quel partenaire commercial de l’Union européenne. Leurs entreprises en seraient pénalisées. Face à ce risque et pour faire pression sur les Européens, Theresa May, menace de faire de la Grande-Bretagne un paradis fiscal, c’est osé ! Il est clair que ces propos visent à rassurer sur la volonté politique de Madame May à défendre les intérêts britanniques par tous les moyens, y compris ceux les plus discutables. A l’issue de ce discours, beaucoup d’analyste ont, à juste titre, comparé Madame May à Margaret Thatcher.

L’objet de son discours était aussi de rassurer les entreprises britanniques. Elle n’hésitera pas à offrir une compensation, par des allègements fiscaux, en contrepartie d’un accès plus difficile au marché européen. Par ces propos, elle fait d’ailleurs écho à Donald Trump qui a affiché sa volonté d’alléger les impôts aux Etats-Unis. Nous dirigeons-nous vers un monde sans impôts ?

De manière plus prosaïque, l’absence d’accord ne pénaliserait toutefois pas uniquement le Royaume-Uni. Les pays européens sont des partenaires commerciaux importants du Royaume-Uni et les entreprises y perdraient inévitablement des marchés. La France par exemple dégage un excédent commercial avec ce pays. Qui plus est, la mise en place d’une fiscalité faible contribuerait à empirer la situation, tout comme la signature d’un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui marginaliserait les pays européens comme partenaires commerciaux du Royaume-Uni.

L’anticipation du discours de Theresa May avait fait chuter la livre sterling à son plus bas niveau en octobre. La devise est pourtant repartie à la hausse après l’intervention de la Première ministre. Pourquoi ?

Depuis le référendum, les marchés étaient inquiets en raison de l’incertitude qui planait autour des modalités du Brexit. En annonçant une sortie dans deux ans, Theresa May a permis de lever ces incertitudes. D’autres doutes existaient également sur la position du Royaume-Uni. On observait une certaine cacophonie parmi les ministres britanniques quant à l’attitude à adopter pour sortir de l’Union européenne. L’indécision de Madame May qui n’avait encore donné aucune information sur les modalités du Brexit, hormis la date du mois de mars, était également source d’inquiétudes pour les marchés. De plus, lors du référendum, sans réellement faire campagne, elle s’était plutôt positionnée pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Serait-elle donc capable de mener le pays vers la sortie ? Son discours a donc permis d’apaiser en affichant de la détermination tout en exprimer une volonté d’éviter les conflits : il préservera, en priorité, les intérêts nationaux durant les négociations. Sa fermeté constitue un élément rassurant pour le monde de la finance. Les marchés savent à quoi s’en tenir.

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