ANALYSES

Amérique latine et Pape François : écouté par les gouvernements, boudé par le peuple chrétien

Tribune
21 novembre 2016
L’Amérique latine est-elle bien la réserve catholique du monde ? Oui, si l’on s’en tient à l’élection d’un souverain pontife, François, originaire de ce continent. Oui, si l’on fait le compte des personnalités ecclésiastiques nommées par François à des postes de responsabilité. Le 1 juillet 2016, une proportion particulièrement significative des nouveaux archevêques honorés du pallium à Rome par le Saint-Père était brésilienne, cubaine, équatorienne, et mexicaine.

Oui encore, si l’on s’en tient aux succès remportés depuis quelques mois par la diplomatie vaticane. Sous la houlette de Mgr Pietro Parolin, longtemps nonce apostolique à Caracas, au Venezuela, et désormais Secrétaire d’Etat, plusieurs contentieux difficiles ont été sinon résolus, du moins mis sur les rails d’une solution possible. Bien que discrète, cette action diplomatique a facilité en 2014 le rapprochement entre Cuba et lesEtats-Unis. François a certes bénéficié du travail exploratoire effectué par ses prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoit XVI, qui à Rome, à La Havane et à Washington avaient semé auprès des responsables des deux pays les germes du dialogue. Les circonstances, la fin du mandat de Barack Obama, la peur cubaine de rester sur le sable des difficultés économiques de l’allié vénézuélien, étaient sans doute favorables. Encore fallait-il être en capacité de les faire fructifier diplomatiquement. Ce qui a été fait et bien fait.

L’urgence est aujourd’hui vénézuélienne. La crise économique, sociale et politique bouscule les certitudes et la stabilité du Venezuela. La diplomatie vaticane est apparue aux yeux des parties en conflit, le président Nicolas Maduro et l’opposition incarnée par la MUD, comme le seul médiateur fiable et politiquement correct. Il est vrai que les uns et les autres avaient gardé un excellent souvenir de Mgr Parolin, nonce encore il y a peu (de 2009 à 2013) en terres vénézuéliennes. Jorge Mario Bergoglio avait donc, dans son homélie pascale de 2016, accompagné sa bénédiction Urbi et orbi d’une invitation à « toutes les parties à travailler pour construire la culture de la rencontre, de la justice et du respect mutuel pour garantir le bien-être spirituel et matériel des citoyens ». Un dialogue, effectif, a pu, quelques mois plus tard, se mettre en place sous l’autorité morale, de Mgr Emil Paul Tscherrig, envoyé spécial du pape François. Après deux réunions difficiles, un premier compromis a été trouvé le 13 novembre dernier. Il prévoit la libération de prisonniers, l’élection d’un CNE (Conseil national électoral) consensuel, le respect des attributions constitutionnelles de l’Assemblée nationale, l’organisation de nouvelles élections dans l’Etat disputé d’Amazonas, l’importation concertée de biens alimentaires et de médicaments par les secteurs privés et publics. Le 6 décembre un nouveau cycle de dialogue, sans doute plus difficile, doit aborder les questions qui fâchent le plus, celles portant sur l’organisation, aujourd’hui suspendue, d’un référendum révocatoire du chef de l’Etat.

Pourtant ces succès diplomatiques sont loin d’apporter des satisfactions spirituelles au souverain pontife. Certes ils lui ont permis de rencontrer, à Cuba, Kirill, patriarche de toutes les Russies. Une première depuis le schisme de 1053. Certes, un séminaire a pu ouvrir ses portes à 17 kilomètres de La Havane, une première depuis 1959. Certes, un jeune couple colombien, Ludzary Flores, la maman, et Rafael Martinez, le papa, reflétant un certain enthousiasme populaire, a baptisé « Francisco Primero », son bébé de sexe masculin. Mais au-delà, en dépit de visites pastorales en Bolivie, au Brésil, en Equateur, au Mexique, au Paraguay, de la béatification de saints, argentin, brésilien, colombien, cubain, mexicain, salvadorien, le courant, ou le Saint-Esprit, version François, peine à passer. A Miséricorde, compassion, charité et solidarité à l’égard des plus pauvres, contrition et réparation pour les agissements pédophiles de certains ecclésiastiques, les conférences épiscopales locales ont le plus souvent répondu, oubliant la miséricorde, par un non au mariage de personnes de même sexe, et un oui à la famille traditionnelle, et deux fois non à la théorie dite du genre.

Les évêques latino-américains l’ont dit de façon de plus en plus explicite depuis le synode sur la famille qui s’est tenu à Rome en 2014. Ils l’ont fait parfois en termes crus, comme le cardinal archevêque de Lima, Juan Luis Cipriani. Ardent opposant de l’union civile de personnes de même sexe, opposé à l’IVG, au contrôle de la natalité, et au divorce, il a, le 30 juillet 2016, fait une déclaration publique signalant que « les femmes incitaient au viol en adoptant une attitude visuellement provocatrice ». Au Mexique l’épiscopat qui avait adopté un profil minimal pour accompagner la visite du pape a retrouvé sa combativité pour appeler à manifester contre un projet gouvernemental légalisant l’union de personnes de même sexe. La défense de la famille a pris le dessus au Brésil et en Colombie sur toute autre considération. En vertu de cette priorité, l’appel du pape à soutenir l’accord de paix entre gouvernement et FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) a été passé sous silence. La hiérarchie catholique colombienne qui s’est tué a laissé libre cours au discours public des églises pentecôtistes appelant à voter non au référendum du 2 octobre 2016, au nom de la défense de la famille.

Quelques semaines plus tard un pas de plus a été franchi par l’archevêque de Rio de Janeiro qui a soutenu la candidature municipale de Marcelo Crivella, (PRB), évêque de l’Eglise universelle du Royaume de Dieu. Marcelo Crivella a été élu maire de la deuxième ville brésilienne avec un programme centré sur la défense de la famille traditionnelle, contre donc le mariage de personnes de même sexe, contre toute extension du droit à l’interruption de grossesse, la théorie du genre. Un « notre – père » public a précédé le soir de sa victoire, le 30 octobre 2016, son discours de remerciement aux électeurs.

L’Eglise catholique a été déstabilisée pendant la guerre froide. L’offensive évangéliste encouragée par les Etats-Unis pour saper l’influence de la théologie de la libération, a été paradoxalement relayée par Jean-Paul II. Elle a écarté évêques et prêtres défendant une lecture sociale des Evangiles, des bidonvilles et autres favelas. Le terrain de la foi du charbonnier est aujourd’hui occupé avec un succès grandissant par des Eglises pentecôtistes, organisant des cérémonies collectives festives, centrées sur une lecture littérale de la Bible, dans les quartiers populaires. Après avoir conquis les paroisses, ils sont aujourd’hui passés à celle du pouvoir. Le PRB, formation brésilienne, créée par l’Eglise universelle du royaume de Dieu dirige, depuis cette année, 105 municipalités et a fait élire 22 députés. Le président du Guatemala est un pasteur issu de cette mouvance religieuse et politique.

Les voies du Seigneur sont semble-t-il de plus en plus impraticables, en Amérique latine, pour le pape François comme pour l’Eglise catholique. En dépit d’incontestables succès sur le terrain de la diplomatie.
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