ANALYSES

Cinq ans après la chute de Kadhafi : quel bilan pour la Libye ?

Interview
20 octobre 2016
Le point de vue de Kader Abderrahim
Cinq ans jour pour jour après la chute de Mouammar Kadhafi, quel bilan peut-on tirer de l’intervention de l’OTAN en 2011, France et Etats-Unis en tête ?

Cinq ans après l’intervention de l’OTAN, le pays est totalement fragmenté. La Libye est au bord du gouffre, malmenée par des rivalités entre l’Est et l’Ouest, entre Tripoli et Tobrouk, entre deux gouvernements, deux parlements et par l’implantation d’un acteur non-étatique, Daech. Le bilan est donc mauvais, les Libyens ont déjà assisté à deux guerres civiles, une troisième n’est pas à exclure.

L’enlisement de la crise comporte aussi des risques pour l’Europe, sur le plan sécuritaire, avec la crainte que de nouvelles attaques soient orchestrées sur notre sol, ainsi que sur le plan migratoire car les Libyens figurent également parmi les réfugiés fuyant la guerre.

Les organisateurs de l’intervention militaire de 2011 ont commis une erreur. Ils n’ont pas mis en place de suivi politique pour l’après Kadhafi et se sont simplement contentés d’organiser des élections. La Libye est un pays dans lequel il n’y a jamais eu d’Etat ni d’institutions. La coalition n’a pas tenu compte des caractéristiques sociologiques et anthropologiques du pays. Les Occidentaux prétendaient apporter la démocratie en organisant des élections. Ils se sont trompés.

J’ai tendance à considérer que les interventions occidentales de ces dernières années ont apporté plus de confusion et d’instabilité que de solutions. C’est le cas en Libye, au Mali, en Syrie ou en Irak.

Quel est le contexte actuel en Libye alors que des combats y ont lieu quasi quotidiennement ?

Le pays est aujourd’hui mis en coupe réglée par des milices, par Daech, par la rivalité entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque (Est de la Libye), entre Tobrouk et Tripoli. Le gouvernement d’union nationale qui siège à Tripoli présidé par Fayez Sarraj, est aujourd’hui très contesté. Le retour de Fayez Sarraj, début 2016, était théâtral, arrivant par bateau depuis la Libye, après être resté huit jours dans une base maritime étrangère près de Tripoli. Il laisse le sentiment d’être arrivé dans les bagages d’une puissance étrangère alors que les Libyens supportent de moins en moins les interactions extérieures. Malgré un accord signé entre tous les partis libyens en 2015, l’autorité de Fayez Sarraj a très vite été contestée, critiquée et il n’est jamais parvenu à affirmer sa légitimité.

Une autre source de problèmes est incarnée par Daech. L’organisation terroriste refuse de négocier et aucun compromis avec elle n’est envisageable.

Enfin, après les deux gouvernements et Daech, un quatrième acteur s’ajoute à l’équation et rend plus complexe encore sa résolution. Le général Haftar est soutenu par les Emirats arabes unis et par l’Egypte. Il a très tôt contesté la légitimité du gouvernement de Fayez Sarraj et pris le contrôle des trois importants champs pétrolifères autour de Syrte. Le général Haftar est parvenu à consolider ses positions, il revendique aujourd’hui sa volonté d’être le nouveau leader de la Libye.

Nous sommes donc face à un paysage libyen divisé entre Daech, deux gouvernements rivaux, un général assez aigri qui fait cavalier seul et un gouvernement d’union nationale isolé. Si l’on y ajoute les clans, les tribus, les milices, le jeu d’un certain nombre de pays étrangers comme l’Algérie, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, la somme de tous ses acteurs résultent sur une situation totalement hors de contrôle. Les dynamiques enclenchées, aujourd’hui en Libye, échappent à tous ceux qui les ont lancées.

Faire cesser les combats et désarmer les milices s’avère déjà une mission compliquée. Il faudrait peut-être que tous ceux, de Tripoli à Tobrouk souhaitant participer à la reconstruction de la Libye organisent une grande conférence nationale permettant de trouver un compromis interne à la Libye, sans pression étrangère, qui pourrait déboucher sur l’organisation de nouvelles élections.

Quelles sont les positions de la dite communauté internationale quant à la situation en Libye ? Se préoccupe-t-elle de la dégradation politique, économique et sécuritaire du pays à sa juste mesure ? De quelle manière certains pays interviennent-ils ?

De nombreux acteurs extérieurs s’inquiètent de la situation en Libye. La France et l’Italie, tout d’abord, qui doivent faire face à une succession de vagues d’immigration de personnes fuyant les combats. Les réfugiés arrivent, en premier lieu, sur les côtes italiennes, certains d’entre eux tentent ensuite de se rendre en France.

Globalement, toute l’Europe suit avec attention la situation libyenne car son évolution impacte également leur situation sécuritaire. Daech se trouve à moins de trois heures des côtes italiennes, à cinq heures des côtes françaises. Il existe donc une vraie problématique en termes de sécurité. Les risques sécuritaires et migratoires perdureront tant que le fond de la question n’aura pas été traité : redonner de la stabilité institutionnelle et politique à la Libye.

Sur le terrain, la situation empire. Les Européens se rendent-ils compte que le pays danse sur un volcan ? Si la Libye bascule dans une troisième guerre civile, il n’est pas à exclure que les pays environnants (Tunisie, Algérie, Egypte, Soudan) soient également impactés.

Pour finir, les puissances régionales s’immiscent également dans les affaires libyennes, telles que la Turquie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar, l’Egypte et dans une moindre mesure, l’Algérie. Ces pays ont des inquiétudes, des intérêts, et chacun essaie d’agir localement pour préserver ses intérêts ou couvrir le risque terroriste.
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