ANALYSES

Un G20 pour quoi faire ?

Tribune
2 septembre 2016
Le 10ème sommet du G20 [1], qui s’est tenu en Turquie, a été marqué par le caractère éminemment politique de sa déclaration finale, à savoir la condamnation du terrorisme international étant donné sa proximité avec les attentats de Paris du 13 novembre 2015 [2]. Que nous réserve le sommet de Hangzhou, en Chine, des 4 et 5 septembre prochain ?

Créé pour être le principal lieu de discussion de gouvernance économique et financière mondiale, le G20 est une plate-forme informelle de dialogue regroupant les pays du G7, les BRICS, ainsi que certains autres pays émergents, soit près de 80 % du PIB mondial (contre moins de 50 % pour les seuls membres du G7). A ses débuts et jusqu’en 2008, le G20 regroupait essentiellement des personnalités ministérielles. Ce n’est qu’après la crise financière que les chefs d’Etats se sont invités à cette grande messe internationale. Depuis 2008, les principaux sommets ont été marqués par différents axes de coopération internationale sur des thématiques diverses : régulation financière internationale, paradis fiscaux et corruption, déficits et dettes publics, déséquilibres commerciaux, réforme du système monétaire international, volatilité des prix des matières premières, croissance économique mondiale, croissance verte et lutte contre le changement climatique.

L’organisation du sommet de septembre 2016 à Hangzhou se déroule dans une période économique internationale particulièrement troublée. En effet, si la planète économique n’a pas enregistré, contrairement à l’année dernière, d’épisodes violents cet été (krach boursier en Chine notamment en août 2015), la croissance économique mondiale ne cesse d’être revue à la baisse par les différentes institutions (FMI, Banque mondiale, OCDE). Entre janvier et avril dernier, les prévisions de croissance économique mondiale du FMI sont passées de 3,4 % à 3,1 % pour l’année 2016. Dans le même temps, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a également revu à la baisse la croissance du commerce international à 2,8 % cette année. Derrière les chiffres, le diagnostic du FMI est le suivant : « La reprise est entravée par la faiblesse de la demande en partie attribuable aux séquelles de crises non résolues, ainsi qu’à l’évolution démographique défavorable et à la faible progression de la productivité ». Et le FMI de prôner un renforcement impératif de la croissance par trois leviers : réformes structurelles, relance budgétaire et une politique monétaire accommodante.

Le G20 peut-il aider à la sortie de crise ?

En 2015, en Turquie, le président chinois Xi-Jinping avait annoncé que le thème principal du G20, en Chine, porterait sur la recherche commune d’une économie mondiale revigorée, interconnectée et innovante ! Quatre priorités avaient été définies : favoriser les approches novatrices en matière de croissance à travers l’établissement d’un mécanisme international d’innovation et l’établissement de chaines de production à grande échelle ; améliorer la gouvernance économique et financière et notamment tendre vers une égalité des participations des pays développés et des pays en développement au sein du G20 et plus globalement à l’intérieur des institutions internationales issues de l’après-guerre et de Bretton Woods ; construire un monde ouvert en favorisant les échanges de technologies et le développement d’infrastructures et d’équipements et, au final, permettre un développement international harmonieux.

Derrière ces objectifs louables plutôt rassembleurs et peu contestables, certaines questions méritent d’être posées :
– La Chine a-t-elle les capacités économiques et politiques pour assurer un leadership mondial à travers le G20 ?
– Les agendas politiques des différents acteurs présents sont-ils conciliables avec les priorités affichées en Chine ?
– Le G20 ne risque-t-il pas d’accoucher d’une souris ?

Où en est la Chine en cette fin d’été 2016 ?

La Chine a enregistré une croissance annuelle de 6,9 % pour l’année 2015, la plus faible depuis près de 25 ans. Les prévisions de différents instituts pour 2016 montrent que l’économie chinoise devrait atteindre, au mieux, un nouveau palier à environ 6 % et ce, même si les estimations officielles tablent sur 6,7 % de croissance, soit le chiffre observé au premier trimestre de cette année ! Certes, les tensions sur les marchés financiers (effondrement et forte volatilité boursière) qui avaient accompagné le ralentissement économique chinois durant l’été 2015 et l’hiver 2016 se sont atténuées, mais au prix d’interventions marquées du gouvernement. L’économie chinoise reste toujours engluée dans un profond ralentissement économique depuis près de six ans [3]. Elle subit les contrecoups de l’un des plus importants changements de modèle observé dans l’histoire économique.

Le rééquilibrage en cours de l’économie chinoise vers une économie tournée vers la consommation se réalise dans un environnement économique mondial dans lequel de nombreux signaux lui sont défavorables, sa transformation économique engendre de multiples incertitudes pour la croissance des pays émergents, des pays producteurs de matières premières et de pétrole ainsi que des pays développés. Tout comme le Japon des années 1990, la Chine est entrée dans une « décennie de transition ». Tout comme le Japon des années 1990, la Chine concentre de nombreux maux économiques : bulle immobilière, surcapacités de production et augmentation des dettes contractées par l’ensemble des agents économiques. Fin 2015, selon la Banques des Règlements Internationaux, la dette des acteurs privés chinois atteignait 210 % du PIB, un chiffre auquel il convient d’ajouter la dette du secteur public (40,6 %), contre moins de 120 % en 2000. Enfin, la forte dégradation de la santé économique des entreprises et des banques laisse planer un risque systémique en Chine et plus globalement au niveau international. Comme déjà observé en 2009, la Chine devrait s’appuyer sur un vaste plan de relance dans des projets d’infrastructures pour réactiver sa croissance et tenter de réaliser les objectifs de son 13ème plan quinquennal (2016-2020).

Dans ce contexte, il semble difficile de croire à une réelle affirmation d’un leadership économique chinois lors de ce G20. Mais les priorités énoncées pourraient raconter une autre histoire : celle de la mise en évidence d’un leadership politique international. En effet, le G20 risque de devenir l’expression d’un nouveau mode de gouvernance mondial proposé par la Chine : lorsque la Chine parle « d’améliorer la gouvernance économique et financière et notamment accélérer l’égalité des participations des pays développés et des pays en développement au sein du G20 et plus globalement des institutions internationales créées », elle évoque à demi-mot la gouvernance de sa propre institution – la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), véritable concurrent des institutions internationales traditionnelles (FMI et Banque mondiale). Lorsque la Chine évoque « un monde ouvert en favorisant les échanges de technologies et le développement d’infrastructures et d’équipements », on peut y lire son propre projet de route de la soie (One Belt, One Road). Au final, l’Empire du milieu tend à montrer au monde que les priorités chinoises doivent devenir des priorités mondiales !

Les agendas politiques des différents acteurs présents sont-ils conciliables avec les priorités affichées en Chine ?

Entre le 11ème sommet du G20 à Hangzhou et le 12ème sommet qui devrait se tenir en 2017, de nombreux pays vont connaitre des échéances électorales importantes qui peuvent dès à présent relativiser les retombées du G20. Les Etats-Unis (élections présidentielles et législatives en novembre), la France (élections présidentielles en avril 2017) et l’Allemagne (élections législatives en septembre 2017) pour ne citer qu’eux, sont d’ores et déjà (et à des degrés divers) rentrés en campagne électorale. Il est ainsi difficile d’imaginer un véritable engagement de leurs dirigeants sur ces questions tant les problématiques internes dominent les débats… Aux Etats-Unis notamment, les questions de coopération internationale ou de régulation financière sont trop éloignées des préoccupations des Américains pour qu’elles entraînent l’adhésion des dirigeants. Dans ce pays, les problématiques des créations d’emplois, de ralentissement de l’activité, de croissance séculaire et du niveau des cours boursiers sont bien plus importantes en cette période électorale que le sommet du G20 en Chine. C’est ainsi plutôt l’importance des effets richesse aux Etats-Unis, induits par l’appréciation du cours des actions, qui devrait guider la politique des dirigeants à court terme.

G20 : les jeux sont faits depuis Jackson Hole !

Parallèlement à ces problématiques électorales se pose tout simplement la question de l’institution, le G20, de ses priorités et de son pouvoir. En effet, si par le passé, le G20 a su montrer sa capacité à mettre en avant ses priorités, c’est avant tout à la faveur d’un contexte économique (crise de 2008) ou grâce à de dirigeants éminemment impliqués. A l’heure actuelle, l’économie mondiale souffre d’au moins deux maux : l’absence d’une réelle locomotive internationale et une dispersion des politiques économiques. L’absence de locomotive mondiale, la décélération du commerce international, la volatilité des marchés financiers et les peurs suscitées par le ralentissement chinois alimentent les craintes d’une entrée de l’économie mondiale dans la stagnation séculaire. Les politiques monétaires observées au niveau mondial sont symboliques des bouleversements actuels : indépendantes et dispersées. Devenues de véritables « drogues » pour les économies, les politiques monétaires montrent leurs limites et leurs actions sont dissoutes par l’absence de coordinations réelles.

Il est intéressant de remarquer que, fin août 2016 (du 25 au 27 août), les principaux banquiers centraux se sont retrouvés à Jackson Hole (Wyoming) pour leur symposium annuel, afin de discuter des évolutions de l’économie mondiale. Si le thème de la conférence (« La conception d’un cadre de politique monétaire robuste pour l’avenir ») laissait à penser que la réunion allait avoir un caractère plutôt technique, il a bien été question d’économie mondiale, de coopération, d’évolution des taux d’intérêt et, au final, d’une longue interrogation sur la sortie de crise internationale.

Ainsi, dans le Wyoming, les banquiers centraux ont fait le G20 avant même qu’il ne se déroule et les résultats ont été à l’image de la conjoncture économique actuelle : chaque pays s’est focalisé sur sa propre actualité…

Dans ce contexte, qu’attendre du sommet du G20 à venir ? S’il est difficile d’envisager une véritable rupture économique après cette réunion, espérons que les principaux dirigeants auront à cœur d’avancer réellement sur les questions de financement du changement climatique : mise en place d’incitations favorisant les investissements dans les énergies bas-carbones, transferts de technologie bas-carbone, etc. Dans la continuité de la COP21 de Paris, le G20 pourrait constituer un véritable tournant s’il s’attaquait réellement à la question de la finance verte et du changement climatique. La Chine prendrait alors le leadership sur ces questions, démontrant ainsi que ses priorités sont les priorités mondiales, et en récupérant l’espace laissé libre par les Etats-Unis et par certains pays européens en pré-campagne électorale. .

A travers le G20, la Chine pourrait ainsi affirmer son rôle moteur pour une croissance verte…

[1] Créé en 1999 en marge du G7, le G20 réunit 19 pays et l’Union européenne. Les membres sont les suivants : Afrique du sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du sud, Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie et l’Union européenne.
[2] Le sommet du G20 a eu lieu les 14 et 15 novembre 2015 à Antalya en Turquie.
[3] Le taux de croissance de son économie est passé de 10,6 % en 2010 à 6,9 % en 2015, après avoir culminé, en 2007, à plus de 14 %.
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