ANALYSES

Normalisation monétaire et marchés de matières premières : y aura-t-il un après décembre 2015 ?

Tribune
17 décembre 2015
La Réserve Fédérale des Etats-Unis (FED), réunie depuis mardi 15 décembre, devrait annoncer, par l’intermédiaire de sa présidente Janet Yellen, le début d’une remontée graduelle des taux d’intérêt directeurs américains, concluant ainsi un cycle monétaire inédit de près de 7 ans reposant sur des conditions monétaires exceptionnellement accommodantes. Le 4 décembre 2015, les pays membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) se sont pour leur part rassemblés à Vienne pour discuter des derniers développements observés sur les marchés pétroliers et notamment des conséquences de la diminution des prix du pétrole (une baisse de près de 65 % entre juin 2014 et novembre 2015) sur l’ensemble des pays membres. En complément, dans le cadre de cette 168ème réunion, l’OPEP a étudié la requête de réintégration de l’Indonésie, pays membre de l’Organisation de 1962 à 2008 et désormais importateur de pétrole. Quelques jours plus tard, le prix du pétrole WTI aux Etats-Unis passait sous la barre symbolique des 40 dollars le baril, une valeur inobservée depuis fin décembre 2008, en pleine crise financière mondiale.

S’il existe un consensus sur les facteurs explicatifs prédominant dans la dynamique des prix du pétrole, la part de chacun d’eux à court, moyen et long terme reste difficile à évaluer. La stratégie de l’OPEP, la coopération des pays producteurs non-OPEP (Brésil, Norvège, Russie…), les variations de stocks de pétrole ou de produits pétroliers, la politique monétaire et, par extension, les dynamiques observées sur les marchés des changes et des taux d’intérêts, la nature cyclique de l’industrie pétrolière et le facteur spéculatif sont généralement mis en avant pour expliquer les mouvements observés sur les marchés. L’analyse du marché pétrolier nécessite également de s’intéresser à un ensemble de facteurs technico-économiques (coût marginal de production, coûts des substituts…), géopolitiques (fermeture à l’investissement, nationalisme…) et stratégiques (relation entre les différents acteurs), ainsi qu’à leurs interactions.

La composante monétaire, plus précisément la politique de taux d’intérêt observée aux Etats-Unis, est, à ce titre, particulièrement intéressante à explorer. En effet, depuis novembre 2014, et face à la volonté affirmée de l’Arabie Saoudite de regagner des parts de marché et, plus globalement, à la stratégie de l’OPEP de ne pas réduire ses quotas de production malgré les fortes dissensions internes (notamment de la part de l’Iran et du Venezuela), les opérateurs pétroliers et financiers attendaient une baisse prononcée de la production de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis. Or, les chiffres enregistrés par le département américain à l’énergie (DOE) montrent les résultats suivants : la production a, certes, reculé de 2 % entre son plus haut d’avril 2015 et septembre 2015, mais elle oscille depuis lors autour de 9,350 millions de barils/jour (Hors liquides de gaz naturel -LGN-) malgré la baisse marquée du nombre de rig de forage depuis la fin 2014. L’effondrement de la production américaine n’a pas eu lieu et ce, malgré un contexte de prix bas défavorable à la continuité des opérations de production.

Ce paradoxe s’explique en partie par les conditions monétaires extrêmement favorables enregistrées aux Etats-Unis. Ainsi, l’exploitation des pétroles non conventionnels, qui tend à renverser les structures CAPEX-OPEX de l’industrie pétrolière traditionnelle, reste largement dépendante du niveau de refinancement possible auprès des institutions financières.

La remontée des taux d’intérêt, anticipée et envisagée par la FED et par sa présidente Janet Yellen, tout comme la normalisation progressive de la politique monétaire près de 7 ans après la mise en place d’une politique de taux d’intérêt à taux zéro, seront peut-être le déclencheur de nouveaux équilibres sur le marché pétrolier. Une hausse des taux d’intérêt, même minime, pourrait transformer progressivement les anticipations des acteurs sur les marchés et apporter encore plus d’incertitudes sur les marchés pétroliers. Un crédit plus cher aux Etats-Unis pourrait avoir pour conséquences, dans un premier temps, une accélération de la consolidation des opérateurs indépendants sur le marché américain, avec notamment une hausse du volume des fusions et acquisitions. Cette réorganisation pourrait ne pas avoir de conséquences directes sur le volume de production, mais plutôt sur la structure de la production, avec une diminution du nombre d’acteurs. Dans un second temps, une remontée des taux d’intérêt pourrait, toutes choses égales par ailleurs, renforcer le dollar sur les marchés des changes, engendrant ainsi des réactions contrastées sur les marchés pétroliers, la relation entre prix du pétrole et taux de change n’étant pas constante dans le temps.

Au final, les évolutions de la politique monétaire américaine devront être regardées à la loupe : le timing de la remontée des taux d’intérêt (une normalisation jusqu’en 2019 ?), l’évolution du dollar, les mouvements de restructuration des opérateurs indépendants américains et la réaction des autres pays producteurs sont autant d’éléments à observer pour comprendre et anticiper les évolutions futures des prix sur le marché du pétrole.

La remontée des taux d’intérêt aux Etats-Unis engendrera sans doute une période d’instabilité sur les marchés et une volatilité accrue des prix. Pour le pétrole, et par effet de contagion, sur l’ensemble des marchés de matières premières, la politique monétaire américaine est peut-être le symbole d’un nouveau cycle !
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