ANALYSES

La Zone franc, surtout ne rien changer !

Tribune
7 octobre 2015
La réunion des ministres des Finances de la Zone franc qui s’est tenue le 2 octobre à Paris est une déception pour beaucoup de « développeurs ». Elle l’est aussi pour Idriss Deby, le président du Tchad qui, lors de la célébration du 55ème anniversaire de l’indépendance du Tchad, le 11 août 2015, avait abordé le sujet tabou du Franc CFA en des termes très incisifs : « Il y a aujourd’hui le FCFA qui est garanti par le trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer ».

De nouveau, il a été décidé de ne rien changer. Le conservatisme frileux des gouvernants des Etats membres l’a encore emporté.

Rappelons que la Zone Franc est un espace singulier de solidarité monétaire, elle regroupe quinze Etats d’Afrique dans trois ensembles distincts, dotés chacun d’une monnaie propre : les huit États d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) membres de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA), les six États d’Afrique centrale (Cameroun, République centrafricaine, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) appartenant à la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) et, individuellement, les Comores.

La coopération monétaire de la Zone tourne autour de quatre principes fondateurs énoncés dès 1939 :
– La liberté absolue des transferts est assurée, qu’il s’agisse de transactions courantes ou de mouvements de capitaux. En contrepartie, les pays membres s’engagent à appliquer une réglementation des changes, sinon identique, du moins harmonisée avec celle de la France.
– La convertibilité des monnaies nationales est illimitée sur la base d’une parité fixe avec une monnaie de référence (autrefois le franc français, aujourd’hui l’euro) mais ajustable. Cette garantie doit permettre d’éviter toute crise de balance des paiements.
– La garantie du Trésor français des monnaies émises par les divers instituts d’émission est sans limite.
– Enfin, les réserves de change des pays membres sont centralisées à hauteur de 50% des avoirs des banques centrales dans un compte courant, appelé compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français.

Ces réserves sont rémunérées au taux de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne. Il n’y a pas de conditionnalité à négocier : les tirages sur le compte d’opérations sont automatiques et sans limite fixée a priori. Mais dans le cadre de leurs opérations, les banques centrales doivent observer deux règles conçues pour contrôler l’offre de francs CFA : 1/leurs engagements à vue doivent avoir une couverture de devises d’au moins 20 % ; 2/les prêts qu’elles accordent à chaque gouvernement membre sont limités à 20 % du montant des recettes de l’année précédente. Un processus de convergence des politiques macroéconomiques a en outre été adopté pour éviter les effets de contagion à l’ensemble de l’union d’une crise bancaire ou d’une crise de la dette souveraine qui prendrait naissance dans un Etat.

On se souvient qu’en janvier 1994, les Etats membres ont décidé d’ajuster la parité du franc CFA par rapport au franc français, en la portant de 50 à 100 francs CFA pour un franc français. Depuis cette date, périodiquement, d’aucuns s’interrogent sur la parité franc CFA-euro. Mais sans rien changer à l’économie générale du système. Or la surévaluation du franc CFA, quand elle est démontrée comme c’est fréquemment le cas, est une taxe sur les exportations et une prime accordée aux importations. Une source de rente pour les commerçants importateurs, un handicap pour les entrepreneurs locaux. Les propositions de réforme ne manquent pas depuis 1994 et d’importantes marges d’amélioration existent avec le rattachement de la monnaie CFA à un panier de monnaies, la flexibilité encadrée du taux de change ou encore l’élargissement à de nouveaux Etats (Nigeria, Ghana, Guinée). Seul manque le courage comme l’avait dénoncé Idriss Deby : « Les clauses économiques entre l’Afrique francophone et la France (…) tirent l’économie de l’Afrique vers le bas. (…) Il faudra avoir le courage de dire que le moment est venu de couper un cordon qui empêche l’Afrique de décoller. »

Le communiqué de presse de la réunion du 2 octobre laisse songeur : « Conscients de leurs responsabilités devant l’avenir, ils (les ministres des Finances) ont réitéré leur engagement à œuvrer pour un développement durable ». En dépit de ses atouts, la Zone franc n’a jusqu’à présent permis ni de modifier substantiellement le régime des spécialisations primaires de ses membres, ni d’intensifier de manière décisive les échanges régionaux. Poussant la critique plus avant, les détracteurs de la Zone franc y voient l’outil du maintien d’une relation de dépendance qui légitime des pratiques entravant toute perspective d’accumulation endogène. Ils objectent qu’elle ne peut plus être tenue pour un exemple de solidarité, mais au contraire de « détournement de solidarité » (K. Nubukpo, ancien ministre du Togo), au seul service des élites au pouvoir qui confortent de la sorte des positions rentières, notamment sur les importations, et profitent à leur seul profit des libertés en matière de transfert de capitaux.
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