ANALYSES

Quand Tokyo envoie des troupes en Californie pour améliorer ses capacités amphibies

Tribune
19 juin 2013
Le Japon a envoyé trois navires de guerre, environ 1 000 membres des Forces d’autodéfense (FAD, nom de l’armée nippone) et quatre hélicoptères de combat dans cette série d’entraînements appelée le « Blitz de l’aube ». Des forces de la Nouvelle-Zélande et du Canada y prennent également part.

Les troupes vont notamment procéder à un assaut amphibie sur l’île de San Clemente, un terrain d’entraînement naval au large de San Diego, et effectuer un débarquement sur la plage de la base des Marines de Camp Pendleton(2).

Les FAD maritimes cherchent depuis plusieurs années à accroître leur interopérabilité avec les Etats-Unis et leurs capacités amphibies, notamment pour faire face aux tensions avec Pékin concernant les îles Senkaku (Diaoyu pour les Chinois), qui envoie régulièrement des navires dans les eaux proches de ce chapelet de terres de taille modeste et en revendique la souveraineté. Pékin renforce d’ailleurs ses capacités amphibies à grande vitesse, comme le montre, entre autres, l’acquisition récente d’aéroglisseurs lourdement armés de type Zubr(3), d’origine ukrainienne.

Les FAD multiplient les exercices : le 13 janvier 2013, un exercice simulait la reprise d’une île envahie par un ennemi ; le 22, l’exercice Iron Fist , mené avec l’US Marines Corps, visait à améliorer l’interopérabilité des forces américaines et japonaises. Ceci témoigne d’une véritable évolution vers la constitution d’une capacité amphibie japonaise(4).

Cela s’inscrit plus généralement dans le cadre du développement de la marine de guerre japonaise, dont la modernisation s’accélère pour faire face à la puissance croissante de la marine chinoise. Le budget de la défense japonaise pour l’année fiscale 2013(5) marque une rupture, après plus d’une décennie de baisse : il passera pour la marine de 1 107 à 1 119 milliards de yens (9,22 milliards d’euros). Les effectifs de celle-ci vont très légèrement s’accroître.

Au 1er octobre 2012, la marine de guerre japonaise se composait de 45 520 militaires(6). Ceux-ci servaient notamment dans 2 porte-hélicoptères (qui sont, pour des raisons politiques, officiellement qualifiés de « destroyers porte-hélicoptères »), 18 sous-marins, 43 destroyers, 6 frégates, 6 patrouilleurs, 2 mouilleurs de mines et 27 dragueurs de mines – pour un total de 507 970 tonnes.

Pour contrer la menace en mer de Chine orientale, l’accent est mis sur plusieurs composantes des forces navales.

Les sous-marins de type Soryu, couverts d’un revêtement anéchoïque, très silencieux et capables de plonger à une profondeur de 650 mètres, sont au nombre de 8. Trois autres bâtiments doivent être mis en service entre la fin de l’année et mars 2017. Ils complètent une flotte comportant des sous-marins plus anciens – 11 de type Oyashiu (plongeant à 400 mètres) et 3 de type Harushio.

Ils doivent faire pièce aux navires chinois, et ce d’autant plus efficacement que les capacités anti-sous-marines restent l’un des points faibles de la marine de Pékin.

Le Japon peut aussi compter sur les deux porte-hélicoptères de la classe Hyuga (du nom d’un croiseur converti en porte-aéronefs par la marine impériale japonaise pendant la Seconde guerre mondiale) entrés en service en 2009 et 2011. Déplaçant 13 950 tonnes pour 197 mètres de long, ils peuvent emporter 4 hélicoptères pour remplir leurs missions principales anti-sous-marine et anti-mines. Deux navires sensiblement plus gros, 22DDH (248 mètres pour 19 500 tonnes), doivent entrer en service en mars 2015 et en mars 2017, selon Flottes de combat 2012 . Ils pourront emporter jusqu’à 14 hélicoptères SH-60 (contre 3 dans les Hyuga), ce qui permettra au Japon de renouer avec les opérations aéronavales. Ces porte-hélicoptères donnent une forte capacité anti-sous-marins chinois, mais aussi des moyens de projection de forces – notamment pour des opérations amphibies. Ils pourraient servir de petits porte-avions avec des appareils de combat furtifs américains F35 à décollage vertical, mais Tokyo n’est en cours d’acquisition que de F35 « classiques ».

Enfin, trois porte-hélicoptères d’assaut de type Osumi, mis en service entre 1998 et 2003, donnent une forte capacité de projection de forces. Ces longs navires (178 mètres, pour 8 900 tonnes), ont en effet une capacité d’emport de 10 chars ou 1 400 tonnes. Il est prévu d’acquérir un nouveau navire de ce type mais qui sera nettement plus grand (20 200 tonnes, 230 mètres de long). Tokyo s’équipe également de péniches de débarquement, aujourd’hui en nombre insuffisant.

Le Japon ne créera probablement pas un corps de marine séparé, mais améliore les compétences et le matériel nécessaire pour mener une guerre amphibie(7). Le régiment d’infanterie de l’Ouest formera le noyau de la force amphibie. L’administration du Parti libéral-démocrate du Premier ministre Shinzo Abe a formulé de nouvelles propositions pour une posture de défense japonaise plus active, comprenant un plan pour équiper le régiment avec des capacités avancées. Celles-ci comprendront jusqu’à quatre douzaines de véhicules amphibies de débarquement AAV-7A1S et d’aéronefs à rotors basculants V-22 Osprey, qui sont également utilisés par les Marines américains.

Inquiétudes chinoises, besoins américains

Les exercices menés sur les rivages de la Californie inquiètent les Chinois car ils renforcent encore les capacités militaires japonaises, combinées à celles des Américains. La Chine a d’ailleurs demandé l’annulation de ces manœuvres et appelé à renforcer la paix, la coopération et la « confiance mutuelle » en Asie.

De leur côté, des responsables militaires américains ont déclaré que le renforcement des capacités amphibies du Japon était essentiel, alors que les Etats-Unis se concentrent davantage sur le développement d’une stratégie pour l’Asie-Pacifique et que le Département de la Défense américain procède à des coupes budgétaires sévères.

Preuve de cette préoccupation, en septembre 2012, un petit contingent de soldats japonais a effectué des manœuvres de bombardement et d’entraînement au commandement conjoint avec les Marines américains sur l’île de Guam qui tient une place cruciale dans la réorientation du dispositif stratégique des Etats-Unis.

L’exercice San Diego s’inscrit dans la suite logique de ces entraînements seuls ou en coopération avec les Américains et leurs alliés, marquant aussi une prise de responsabilité croissante du Japon pour assurer sa défense.

Comme l’a déclaré Kerry Gershaneck, du Forum-Center for Strategic & International Studies Pacifique, à l’Associated Press : « Nous ne pouvons pas demander aux jeunes Marines américains de combattre et mourir en faisant un travail que les forces japonaises ne peuvent pas, ou ne veulent pas faire». « Les Marines américains vont aider [en cas de conflit], mais ils doivent avoir un partenaire capable. »

(1) Eric Talmadge in Tokyo and Zhao Liang in Beijing, ‘Japan sending soldiers in warships to US for first time for training amid tensions with China‘, Associated Press, 10 juin 2013
(2) http://www.pendleton.marines.mil/
(3) J. Michael Cole, ‘China’s Amphibious Game Changer ?‘, 29 mai 2013, The Diplomat
(4) James Hardy, « Japan’s Navy : sailing towards the future », The Diplomat, 21 janvier 2013
(5) Les plans pour les programmes et le budget de défense du Japon, Vue générale du budget 2013
(6) Bernard Prézelin, Flottes de combat 2012, Editions Maritimes et d’Outre-Mer, décembre 2012
(7) Benjamin Schreer, ‘Japan’s emerging amphibious capability‘, juin 2013, The Strategist

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