ANALYSES

Le Maroc se prive de la « bienveillance » de l’ONU

Tribune
29 mai 2012
Sur le fond comme dans la forme, le rapport annuel du Secrétaire général de l’ONU de 2012 est bien différent des précédents. Il épingle sans ménagement les entraves au bon fonctionnement de la Mission des Nations unies pour le Sahara (MINURSO) par le Maroc. Mais contrairement à la démission de James Baker ou au non renouvellement du mandat de Peter Van Walsum, le diplomate Ross bénéficie cette fois ouvertement du soutien de Ban Ki-Moon, un appui qui donne un caractère inédit aux relations entre Maroc et l’ONU. Le plan de paix proposé par le Maroc en 2007 avait été loué par l’ONU et Rabat mettait régulièrement en avant cet appui si précieux.

Bien plus qu’un compte rendu détaillé des événements qui ont ponctué l’année dans la région, le rapport pose en effet des questions de fond liées à la liberté d’action de la Mission des Nations unies : « J’ai présenté dans mon rapport une série de défis qui démontrent que la Minurso n’est ni dans la capacité d’exercer pleinement ses fonctions de surveillance, de maintien de la paix et d’observation, ni ne dispose de toute l’autorité pour contrecarrer l’effritement. »

Dans les 26 pages du rapport, le Maroc fait l’objet de deux types d’accusations : il entrave le travail de la Mission de l’ONU jusqu’à entamer sa crédibilité et brouille la lisibilité du conflit en agissant au Sahara, territoire sur lequel l’ONU n’a pas encore statué, comme sur le territoire marocain.
Pour preuve, le référendum sur la modification de la Constitution marocaine le 1er juillet 2011 (dont le texte contient des dispositions sur la régionalisation du Sahara), comme les élections législatives de novembre, les deux scrutins furent organisés au Sahara « bien que leur légalité n’ait pas été établie » précise le rapport.
En matière d’ambiguïté entre le Maroc et le Sahara le rapport mentionne aussi l’obligation de faire porter aux véhicules de la Minurso des plaques d’immatriculation diplomatiques marocaines et le déploiement de drapeaux marocains autour du quartier général de la Mission, créant ainsi « une apparence qui soulève des doutes quant à la neutralité de l’ONU. »
Mais le Maroc se défend de ces accusations, considérant que les activités de la Mission onusienne se déroulent « dans les limites de la pratique établie . » Or précise le rapport, « c’est justement la pratique établie qui est au cœur des difficultés auxquelles se heurtent les activités de la Minurso (…) l’évolution des contraintes au fil des années empêche de plus en plus la Minurso de s’acquitter de son mandat de manière crédible. »

En réalité, c’est dans cette confusion entre le Sahara et le Maroc que réside le point nodal de l’aspect inextricable du conflit : comment le Maroc peut-il s’engager dans la recherche d’une issue à un conflit qui porte sur la souveraineté d’un territoire qu’il considère comme le sien, qu’il administre depuis 1976 et dont il gère les populations et les ressources ?
Mais la complexité de la situation et la difficulté à sortir du conflit résident aussi dans le fait que cette confusion n’a jamais été considérée à sa juste mesure ou même soulignée, que ce soit par l’ONU ou par les capitales occidentales. Elle est aujourd’hui dénoncée par Christopher Ross et sa hiérarchie comme une pratique compromettante pour le bon fonctionnement de la Minurso, une accusation qui rompt avec la bienveillance onusienne sur cette question. Le rapport de 2012 met aussi en évidence d’autres actes qui font obstacle au bon déroulement de la Mission, que ce soit l’espionnage des casques bleus par le Maroc, la compromission de la confidentialité des communications entre le quartier général de la Minurso à Laayoun et le bâtiment des Nations Unies à New-York, le recours des tribunaux militaires marocains pour juger de civils…

En réalité, depuis 1991, date de la création de la Minurso suite à l’accord de cessez-le-feu qui prévoyait l’organisation d’un référendum, toutes les missions onusiennes furent confrontées au même type de difficultés. En septembre 1991, alors que la Minurso était chargée d’identifier les Sahraouis natifs de la région, Hassan II avait ordonné que les Sahraouis dispersés loin de leur contrée d’origine furent recensés et mobilisés. Devant ces transferts de populations en vue des vérifications d’identité préalables à l’organisation du référendum et avant de démissionner, le responsable de la Minurso, Johannes Manz avait déclaré que ces personnes, installées par le gouvernement marocain dans les provinces sahariennes pour les faire figurer sur les listes électorales, « n’avaient rien à voir avec le plan de l’ONU ». Et qu’il ne serait pas « le vice-roi du Sahara. »

Mais pour les Marocains, que ce soit en 1991 ou en 2012, il n’y a pas d’ingérence dans les affaires onusiennes. En effet, depuis le retrait de l’Espagne en 1976, le Maroc a décidé d’intégrer progressivement cette ancienne colonie espagnole dans son espace de souveraineté. Au plan territorial, cette intégration a été pensée comme une extension de l’administration marocaine et comme une implantation de l’Etat marocain dans ce que Rabat considère comme des « provinces récupérées ». Cette intégration fut régulièrement confirmée par l’extension des élections nationales dans ces contrées et l’exercice du ministère de l’intérieur.

Cet état de fait avait été rarement dénoncé par les représentants de la Minurso, la plupart du temps les deux drapeaux onusien et marocain furent plantés côte à côte, mais aucune des missions n’a pu être réellement accomplie. Aujourd’hui le Maroc demande à poursuivre les pratiques devenues habituelles, tandis que Christopher Ross pense que ces pratiques sont inacceptables.

Outre ces entraves au travail de la Mission de l’ONU, le rapport revient également sur les difficultés à sortir de l’impasse et à trouver une issue à ce conflit. Ces difficultés tiennent au fait que les belligérants continuent de camper sur leurs positions, au mépris des bouleversements qu’a connus la région. Chacun pense que le « printemps arabe » justifie ou renforce son choix. Pour le Front Polisario, la logique du « printemps arabe » exige que le peuple du Sahara occidental jouisse de la liberté d’expression et de réunion pour exprimer ses vues et son droit à l’autodétermination, alors que le Maroc estime que la logique de ce même « printemps arabe » a été appliquée au Sahara occidental puisque les réformes démocratiques qu’il a mises en œuvre ont été étendues à ce territoire.

Dépassant ces lectures qui paraissent datées, le rapport mentionne que les effets de l’environnement régional et international, ainsi que l’évolution interne incitera les parties à prendre en compte « le peuple du Sahara occidental ». En introduisant le concept de peuple, le rapport tente de dépasser le côté figé et rigide de la situation en essayant de la placer dans la dynamique du printemps arabe.


Au sens moderne du terme, le peuple en tant qu’entité libre et autonome, ne peut plus être marginalisé ou exclu des négociations en cours sur la souveraineté de ce territoire. C’est lui qui exprimera in fine sa volonté de vivre de manière indépendante ou dans le cadre d’une autonomie au sein d’un Maroc souverain. Les vieux schémas dessinés par le Maroc ou le Front Polisario sont ainsi dépassés à l’instar de ce qu’a vécu la Tunisie ou encore l’Egypte l’an passé. Si ce contexte peut donner une force supplémentaire aux Sahraouis pour s’exprimer, ces derniers n’ont pas manqué de le faire depuis 2005. Des manifestations organisées pour la défense des droits de l’homme se sont multipliées et furent toujours combattues par la violence « légitime ».

Le dernier rapport des Nations unies sur le Sahara occidental interroge très justement ce qui est légitime et ce qui est légal dans l’action du Maroc au Sahara, comme il nous interpelle sur la crédibilité de la Mission de l’ONU au Sahara.
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