ANALYSES

Jill Stein, le Green Party et le rejet du statu quo

Correspondances new-yorkaises
7 octobre 2024


Le 5 novembre 2024, les électeurs américains seront confrontés une nouvelle fois à un choix qu’ils connaissent trop bien : un duel entre démocrates et républicains. Mais dans les marges de ce paysage politique polarisé, un vent d’insatisfaction souffle. Alors que Kamala Harris et Joe Biden tentent de consolider le vote démocrate face à une opposition républicaine qui capitalise sur les peurs économiques et les tensions sociales, une figure émerge pour capter la frustration d’une partie de l’électorat progressiste : Jill Stein, candidate du Green Party, se présente pour la troisième fois à la présidentielle américaine.

Jill Stein, médecin de formation et militante de longue date, n’est pas étrangère à l’arène politique. Candidate en 2012 et 2016, elle a régulièrement fait campagne sur des thèmes progressistes qui résonnent avec une gauche américaine souvent marginalisée par les grands partis. Des propositions comme l’instauration d’un système de santé universel, la lutte contre le changement climatique, ou encore une politique étrangère plus pacifique, avaient alors attiré une partie des électeurs mécontents des options traditionnelles. Pourtant, elle n’a jamais véritablement réussi à dépasser la barrière des 1 % des voix au niveau national.

Cependant, cette élection pourrait être différente pour la candidate verte. Pourquoi ? Parce que celle-ci va se tenir dans un contexte marqué par de profondes divisions au sein de la coalition démocrate, particulièrement autour de la politique étrangère américaine au Proche et au Moyen-Orient, et en particulier de la gestion du conflit israélo-palestinien. Depuis le début du mandat de Biden, et plus récemment avec la politique de son administration concernant Gaza, une partie de la gauche américaine se sent trahie. Le soutien quasi inconditionnel des États-Unis à Israël, conjugué aux bombardements intensifs sur Gaza et aux souffrances des civils palestiniens, a suscité une vive indignation chez les progressistes, notamment parmi les jeunes électeurs et ceux issus des communautés arabes et musulmanes.

Stein pourrait-elle profiter de cette brèche au sein du Parti démocrate pour amasser plus de voix que lors de ses précédentes campagnes ? C’est une possibilité qui ne peut être écartée. Les mouvements progressistes ont manifesté leur mécontentement envers l’administration Biden-Harris, qu’ils accusent de ne pas proposer de solution diplomatique crédible pour la paix au Proche-Orient et de continuer à soutenir des actions militaires de plus en plus controversées. Ce ressentiment se reflète dans les sondages, qui montrent, en plus d’une baisse du soutien parmi les jeunes électeurs et les minorités ethniques, une érosion chez certains segments des démocrates traditionnels ayant voté pour Biden en 2020.

Jill Stein, avec son discours résolument pacifiste et en faveur d’une diplomatie équitable, représente une alternative pour ces électeurs déçus. En tant que candidate du Green Party, elle critique ouvertement la politique américaine au Proche-Orient, et appelle à un arrêt immédiat de l’aide militaire à Israël tant que ce dernier ne respectera pas les droits humains des Palestiniens. Cette position, bien que marginale dans le paysage politique global des États-Unis, trouve un écho grandissant parmi les progressistes, qui considèrent que ni Biden, ni Harris n’ont suffisamment pris en compte les critiques sur leur politique étrangère.

Mais, pour autant, cela suffira-t-il à transformer cette colère en votes ? L’histoire récente montre que les candidats tiers, même lorsqu’ils incarnent un autre choix attractif, peinent à obtenir des résultats significatifs à l’échelle nationale. Le système politique américain, fondé sur le scrutin majoritaire à un tour dans chaque État, laisse peu de place aux outsiders, à moins d’obtenir une base d’électeurs extrêmement large dans des États clés. De plus, les électeurs démocrates, même ceux qui se sentent trahis par Biden, risquent d’hésiter à voter pour un parti tiers, de peur de faciliter une victoire républicaine.

Toutefois, si l’élection de 2024 s’avère aussi serrée que celle de 2020, même une petite augmentation du score de Stein pourrait avoir un impact. Les sondages récents montrent une compétition acharnée dans des États pivots comme la Pennsylvanie, le Michigan ou la Géorgie, où quelques milliers de voix peuvent faire basculer le résultat. Dans ces États, si Stein réussit à capter même une fraction des voix progressistes déçues par l’administration actuelle, cela pourrait non seulement gonfler le score du Green Party, mais aussi perturber l’équilibre fragile entre démocrates et républicains.

En définitive, Jill Stein n’a évidemment aucune chance de gagner la présidence. Les réalités électorales et les obstacles structurels rendent cela quasiment impossible. Mais ce qui est en jeu pour elle en 2024 n’est pas tant la victoire que la possibilité de faire entendre un message. En capitalisant sur les faiblesses de l’administration Biden-Harris, elle pourrait non seulement attirer plus d’attention que lors de ses précédentes campagnes, mais aussi orienter le débat national vers des thématiques comme Gaza, le climat ou l’équité sociale, qui ont jusqu’à présent été reléguées au second plan lors des discussions entre démocrates et républicains.

Le véritable enjeu est donc de savoir si les électeurs mécontents oseront rompre avec le statu quo et exprimer leur frustration en votant pour une candidate qui, bien que sans espoir de victoire dans un système profondément bipartite, pourrait affecter la dynamique actuelle entre Kamala Harris et Donald Trump.

 

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
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