12.11.2024
Vers un durcissement de la politique migratoire allemande ?
Interview
30 octobre 2023
Le 19 octobre 2023, dans sa déclaration de politique générale en amont du Conseil européen, le chancelier allemand Olaf Scholz a affirmé que la gestion de la migration irrégulière serait « l’un des plus grands défis » auquel l’Europe et l’Allemagne devraient faire face. En quoi ces propos sur la politique migratoire ont-ils fait débat ? Quelles sont les nouvelles dispositions prévues ? Quels sont les objectifs de cette politique migratoire, à l’heure d’une crise démographique en Allemagne ? Le point avec Jacques-Pierre Gougeon, professeur des universités en civilisation germanique et directeur de recherche à l’IRIS, où il dirige l’Observatoire de l’Allemagne.
En quoi les récents propos du chancelier Olaf Scholz sur la politique migratoire ont-ils pu marquer les esprits ?
Le ton est inhabituel. Souhaitant exprimer une plus grande fermeté sur la question migratoire, le chancelier Olaf Scholz a saisi l’opportunité d’une interview avec la rédaction de Der Spiegel, parue le 21 octobre, pour affirmer sur un ton martial « Nous devons enfin expulser massivement et plus rapidement », faisant ainsi « la une » de l’hebdomadaire. Bien sûr, il s’agit là de combattre l’immigration illégale, à distinguer « l’immigration de la main-d’œuvre dont nous avons besoin » et les demandeurs d’asile qui sont réellement persécutés dans leur pays et peuvent être accueillis en Allemagne : « ceux qui n’appartiennent ni au premier ni au second groupe ne peuvent pas rester chez nous ». Même si le ton peut paraître nouveau, il faut savoir qu’Olaf Scholz a toujours été, dans son parcours politique et déjà en tant que maire de Hambourg, plus ferme sur les questions d’immigration et d’autorité que son propre parti. À cela s’ajoute le fait que de récentes enquêtes d’opinion indiquent que, si 52% des Allemands approuvent l’appel à la main-d’œuvre étrangère dans les secteurs économiques en tension, ils sont 47% à considérer que l’immigration a une influence négative sur l’Allemagne, 44% à considérer l’immigration et les réfugiés comme le problème le plus important (loin devant le changement climatique et les injustices sociales) et 51% à penser que le pays devrait accueillir moins d’immigrés qu’aujourd’hui. Selon l’OCDE, l’Allemagne est, après les États-Unis, le deuxième pays de destination des demandeurs d’asile, avec 244 000 demandes en 2022 (contre par exemple 131 000 pour la France).
Olaf Scholz dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, à commencer par les ministres et présidents des Länder ainsi que les maires qui accueillent migrants et demandeurs d’asile dans des conditions de plus en plus précaires et insoutenables. D’autres chefs d’État et de gouvernement européens sont également irrités par les insuffisances de la politique migratoire européenne illustrées par l’entrée en vigueur laborieuse de l’accord avec la Tunisie. Par ailleurs, lors du dernier Conseil des ministres européens de l’Intérieur, la ministre allemande Nancy Faeser a précisé que l’Allemagne effectuerait des contrôles aux frontières avec la Pologne, la République tchèque et la Suisse. Sur la question migratoire, le climat politique se durcit en Allemagne. Lors des dernières élections régionales du 8 octobre en Bavière et en Hesse, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne a obtenu respectivement 14,6% et 18,4% des voix, 55% des électeurs de ce parti ayant justifié leur vote par un rejet de la politique migratoire jugée trop laxiste.
Quelles sont les nouvelles dispositions prévues ?
La ministre de l’Intérieur Nancy Faeser, également membre du parti social-démocrate, a présenté le 25 octobre un projet de loi visant à faciliter et accélérer le renvoi des réfugiés et demandeurs d’asile sans droit de séjour. Les expulsions auront systématiquement lieu sans avertissement, sauf pour les familles avec des enfants de moins de 12 ans. Les possibilités de fouille des appartements et centres d’hébergement seront étendues afin de permettre à la police de récupérer des données et des documents, 80 % des demandeurs d’asile présentant des documents d’identité non valides. Les procédures de recours devant la justice seront accélérées et les délais d’expulsion, variables selon les Länder, harmonisés et raccourcis. Selon les données du ministère de l’Intérieur, 54 000 personnes sans permis de séjour seraient actuellement tenues de quitter le territoire allemand. Au-delà de ces mesures, L’État fédéral est disposé à davantage aider les Länder, notamment ceux qui proposent de remplacer les prestations en liquide versées aux demandeurs d’asile par des aides en nature afin de limiter les virements vers les pays d’origine. Ces dispositions vont sans nul doute être un objet de crispation avec les Verts dont certains commencent à se demander si elles sont compatibles avec les droits fondamentaux. Cependant, ce durcissement de la politique migratoire ne doit pas empêcher l’Allemagne d’être « un pays d’immigration », comme le montre la loi de juillet 2022 qui permet aux immigrés sans titre de séjour mais bien intégrés sur le territoire de bénéficier d’un droit de séjour « d’opportunité » qui facilite leur accès au marché du travail, une preuve d’expérience professionnelle à l’étranger et la justification d’un contrat de travail en Allemagne suffisant dès lors pour séjourner sur place. Par la modernisation du droit à la citoyenneté et à la nationalité, abaissant le délai de 8 à 5 ans pour obtenir la naturalisation, voire trois ans en cas de parfaite connaissance de la langue allemande, de réussite scolaire ou professionnelle, le pays entend se positionner comme un pays d’immigration attractif, mais en fonction de ses besoins économiques. C’est la voie d’une immigration choisie en adéquation avec les besoins à la fois démographiques et économiques du pays.
Quelle est la réalité démographique de l’Allemagne ?
L’évolution démographique est l’un des gros problèmes de l’Allemagne. Si le pays est avec 83,2 millions d’habitants (84,5 millions avec les réfugiés ukrainiens) le pays le plus peuplé de l’Union européenne, ce niveau est atteint grâce au solde migratoire positif annuel moyen de 298 000 personnes ces trois dernières années. En effet, avec un taux de naissance parmi les plus faibles au monde de 1,5 enfant par femme, contre par exemple 1,8 pour la France, le renouvellement des générations n’est pas assuré. Les démographes estiment que pour maintenir le niveau de 83 millions d’habitants en 2060, l’Allemagne doit avoir un solde migratoire positif annuel de 311 000 personnes. L’autre inquiétude concerne le vieillissement de la population. Avec 22% de personnes de plus de 65 ans, l’Allemagne fait partie des pays qui ont un pourcentage de cette catégorie de la population parmi les plus élevés au monde, derrière le Japon et l’Italie. L’une des conséquences de ce vieillissement et du faible taux de natalité est le recul de la population en âge de travailler : actuellement de 49,7 millions de personnes, elle ne s’élèvera plus qu’à 45,9 millions en 2030 et 39,9 millions en 2060, avec le maintien du solde migratoire actuel. Ce manque de main-d’œuvre risque de fragiliser la compétitivité de l’économie. Les grands secteurs sont déjà touchés puisque 47% des entreprises du secteur de la machine-outil et 35% de celui de l’automobile affirment devoir limiter leur activité par manque de main d’œuvre. D’où l’accent mis sur l’immigration choisie, la plus qualifiée possible, et la mise en place de partenariats avec certains pays comme l’Inde. Il s’agit d’un véritable défi pour la société et l’économie allemande.