29.10.2024
100 jours après son intronisation, quel bilan pour le gouvernement Meloni ?
Tribune
25 janvier 2023
La nouvelle présidente du Conseil italien était très attendue, aussi bien par les citoyens transalpins que par la presse. Trois mois après sa nomination, retour sur les premières réformes et les stratégies du nouveau gouvernement italien.
L’Union européenne rassurée
Le programme des Fratelli d’Italia était populiste et souverainiste, favorable à la défense et la protection de l’Italie, ainsi qu’à une majeure indépendance dans les prises de décisions politiques. Pour Giorgia Meloni, les restrictions imposées par l’Union européenne étaient perçues comme une atteinte à la liberté du pays, et cette ligne de programme politique a trouvé un public pour une victoire nette en octobre. Mais la nouvelle présidente du Conseil a dû se rendre à l’évidence : l’Italie est économiquement dépendante de Bruxelles, surtout en ce qui concerne le plan de relance et de résilience prévu par l’Europe[1], et dont l’Italie est le principal bénéficiaire, avec près de 200 milliards de prêts. Impossible pour le gouvernement de ne pas prendre en compte les demandes européennes en la matière. Les rendez-vous à Bruxelles, que de nombreux observateurs attendaient comme froids – voire musclés – se sont finalement passés sans heurts, avec une collaboration bien meilleure que ce qui pouvait être attendu, Giorgia Meloni déclarant faire partie de la « famille européenne ». De quoi tranquilliser tous les acteurs politiques européens : l’Italie reste un partenaire ouvert au dialogue, nettement moins vindicatif dans les faits que dans les discours de ces derniers mois
Madame Meloni a donc décidé de rester sur la lignée de Mario Draghi en ce qui concerne les dynamiques européennes, comme sur l’Ukraine par exemple. Son gouvernement reflète par ailleurs ce choix stratégique : les nominations d’Antonio Tajani (Forza Italia, ex-président du parlement européen) comme ministre des Affaires étrangères et de Raffaele Fitto (centre-droit) au ministère pour l’Europe montrent une volonté de ne pas placer d’éléments trop dérangeants ou provocateurs envers les principaux partenaires du continent.
Un électeur (en partie) satisfait
Les rapports avec les institutions européennes ne sont donc pas aussi maussades qu’ils ne le semblaient, et cette situation pourrait au contraire décevoir des électeurs qui s’attendaient à une vraie guerre pour une souveraineté plus forte et immédiatement appliquée. Sur certains points, Giorgia Meloni a tenu ses promesses, notamment sur les amendes ou les suspensions pour les personnes non vaccinées, toutes annulées. Une mesure somme toute symbolique (car nous ne parlons que de quelques centaines de médecins et de contraventions) mais qui permet de donner un signal important à cette niche électorale.
Mais le gouvernement Meloni a dû faire marche arrière sur d’autres réformes, incompatibles avec les normes européennes. Certaines corporations qui ont voté en faveur de madame Meloni sont déçues de la marche arrière effectuée sur certains points du programme. Les petits entrepreneurs (notamment les chauffeurs de taxi), largement ralliés à la cause des Fratelli d’Italia, restent perplexes quant à la non-réforme du paiement par carte. L’actuel gouvernement souhaitait modifier les normes et ne plus rendre obligatoire la possibilité de paiement par carte pour tout achat en dessous de 60€, une potentielle opportunité pour ne pas déclarer certains revenus. Dans un pays où l’évasion fiscale frôle régulièrement les 100 milliards annuels, la crainte d’une utilisation frauduleuse de cette réforme était légitime. Le gouvernement est revenu sur ses pas après une rencontre entre Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen.
D’autres réformes sont aussi proposées, mais dans le but de donner un signal à l’électorat de droite, sans pour autant pouvoir vraiment abroger ces propositions de loi, toujours refusées ou réduites à leur minimum. C’est le cas de la proposition de loi de Maurizio Gasparri (Forza Italia) sur la reconnaissance du fœtus comme personne physique, ou la tentative de condono immobilier, c’est-à-dire une reconnaissance massive de toutes les constructions non déclarées. L’Italie doit également appliquer certains impératifs de Bruxelles pour pouvoir obtenir les fonds de relance économique, au risque de contrarier une partie de l’électorat de droite. La loi sur les concessions des plages privées du littoral ‒ non réformée en Italie depuis des dizaines d’années ‒ est l’une des obligations qui risquent de faire perdre des électeurs à la coalition au pouvoir.
Dans ce contexte, le gouvernement italien doit réagir pour réussir à tenir son électorat et donner l’impression de faire le maximum pour rester crédible, tout du moins dans les paroles. Nous ne pouvons que noter l’utilisation de certains subterfuges médiatiques qui font écran de fumée pour masquer un manquement dans la réalisation objectifs : la présidente Meloni joue très bien la carte des polémiques sans incidence, comme la question du genre pour son appellation de président (qu’elle veut au masculin) ou des réflexions provocatrices envers les journalistes et suscitant l’indignation de ceux-ci. Des leurres qui attirent la presse dans des controverses sans grande importance et qui font effet de diversion par rapport aux vrais problèmes. Il faut ajouter à cette stratégie l’aubaine de l’arrestation de Matteo Messina Denaro, parrain de la mafia sicilienne, arrêté le 16 janvier, après 30 ans de cavale. Un coup médiatique important qui permet au gouvernement de se targuer d’une arrestation exceptionnelle et de répondre aux détracteurs de ce gouvernement.
Tous ces éléments renvoient au non-respect du programme électoral annoncé, tout du moins pour l’instant. Il semble difficile, avec la conjoncture actuelle, que madame Meloni puisse accomplir tout ce qu’elle a promis. Ce n’est pas une nouveauté en politique, surtout en Italie, que le programme ne soit pas appliqué, mais ces propositions de réformes, utopiques, ont fortement influencé les dernières élections. « Entre le discours de campagne et l’application du pouvoir, il y a toujours un écart » a déclaré le directeur du journal Libero, Alessandro Sallusti. Cette habitude atavique à promettre l’irréalisable devra sûrement être repensée, afin d’éviter un énième voto di pancia (le vote compulsif de protestation) dû à une désillusion trop grande. Pour pallier ce problème, le sénateur Carlo Cottarelli (proche du Parti Démocrate) souhaite proposer une loi imposant aux partis politiques de détailler le financement de leurs promesses électorales, pour plus de transparence et de réalisme dans les propositions faites aux Italiens.
Les alliés, le plus grand danger ?
L’équipe gouvernementale en place n’est pas forcément un allié de premier choix pour Giorgia Meloni. Si certains membres sont des fedelissimi (des personnes fidèles et dévouées), comme Guido Crosetto (ministre de la Défense), tous ne sont pas prêts à se sacrifier pour cette législature. Matteo Salvini, qui a perdu sa place de leader de la droite, n’attend qu’un faux pas pour tenter un retour au premier plan. Une tâche ardue pour l’homme de la Lega, en difficulté dans les médias et affaibli par une branche croissante de la Ligue guidée par l’actuel ministre de l’Économie, Giancarlo Giorgetti.
Paradoxalement, Giorgia Meloni est plus mise en difficulté par son camp que par l’opposition. Le Parti Démocrate avait un pied dans la tombe après la défaite aux élections et son manque de réactivité pourrait précipiter sa chute : malgré la débâcle de la dernière élection, le principal parti de gauche ne s’est toujours pas restructuré et n’a toujours pas de secrétaire. Une opportunité pour le mouvement 5 Étoiles qui semble se relever grâce à un Giuseppe Conte très présent et qui pourrait prendre la tête d’une large coalition de gauche, laissant le centre au duo Matteo Renzi – Carlo Calenda (Italia Viva). Les deux hommes sont bien décidés à devenir le troisième pôle et d’attirer dans leur filet le maximum de membres de Forza Italia.
Par conséquent, les attentes de l’électorat de Giorgia Meloni sont grandes, surtout sur des points fondamentaux, martelés depuis des années par les Frères d’Italie. La possibilité d’un départ à la retraite anticipée pour les femmes (après 41 ans de cotisation) ou la baisse des taxes sur les carburants sont au cœur des médias. Il est évident que la conjoncture actuelle ne permet pas de faire passer facilement ce type de réforme et Giorgia Meloni a encore plus de 4 ans pour appliquer son programme. Son électorat devra donc se montrer patient, mais l’inflation actuelle pourrait éroder la patience des électeurs de droite qui espéraient un changement radical de la politique italienne. Il faudra faire attention pour le gouvernement de ne pas voir son slogan « la pacchia è finita », le bon temps est fini (pour les migrants, pour Bruxelles) se retourner contre lui, faute de résultats probants. Pour l’instant, Giorgia Meloni n’a pas à s’inquiéter : selon les sondages, elle est la dirigeante la plus appréciée d’Europe, la quatrième au monde. Ce chiffre peut s’expliquer par une politique plus centrale et plus européenne que prévu qui ne provoque pas les remous attendus. Forte de cette position, elle peut donc travailler sereinement pour des résultats à moyen terme. Mais les idées changent vite en Italie : il y a deux ans, Matteo Salvini était à 35% d’opinion favorable et demandait « les pleins pouvoirs ». Aujourd’hui il n’est plus qu’à 9%.
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[1] Le « PNRR »: Piano Nazionale di Rilancio e Resilienza (Plan National de Relance et de résilience)