ANALYSES

Élection du nouveau président de la République en Italie : un risque pour la stabilité du gouvernement ?

Tribune
5 janvier 2022
Par Fabien Gibault, enseignant à l'Université de Pavie (Italie)


 

Alors que la revue The Economist a élu l’Italie « pays de l’année 2021 » et que la confiance de ses partenaires (notamment la France) semble être revenue, le calendrier électoral pourrait chambouler cet équilibre que la nation transalpine cherchait depuis quelques années : le mandat du président de la République touche à sa fin. Pour commencer cette nouvelle année 2022, les sénateurs, députés et élus régionaux italiens vont donc élire le remplaçant de Sergio Mattarella. Si ce rôle est souvent présenté comme secondaire politiquement parlant, il reste un maillon essentiel du système démocratique, et pourrait avoir une incidence sur la stabilité politique du pays.

Plusieurs propositions, mais aucune ne fait l’unanimité

Contrairement au président du Conseil des ministres, le président de la République n’a que peu de pouvoir en Italie : il n’est pas directement actif sur la scène politique. Il est plutôt considéré comme un gardien des institutions qui peut convoquer les membres du gouvernement, mettre un droit de véto ou encore prendre la parole afin de donner des indications, mais peu d’obligations. C’est donc surtout une figure nationale, un symbole qui doit rassembler, être au-delà des idéologies (même si de nombreux présidents venaient de partis politiques). Sergio Mattarella, magistrat et frère de Piersanti Mattarella (assassiné en 1980 par la mafia palermitaine) est un personnage correspondant à ce profil. Mais, son mandat se termine.

Au vu des compétences demandées, l’élection du président est d’ordinaire un protocole rapide car un candidat satisfaisant une grande majorité des partis est proposé. Mais pour cette fois, alors que l’élection se tiendra normalement durant le mois de janvier, il ne semble pas qu’un nom particulier soit destiné à gagner sans difficulté. Aucune personnalité ne semble légitime et logique. La solution d’un « Sergio Mattarella bis » – un deuxième mandat de l’actuel président – était une solution perçue positivement par la quasi-totalité des partis, mais celui-ci a fait savoir qu’il n’envisageait pas cette alternative, sauf dans le cas d’une nouvelle crise sanitaire ne permettant pas de réaliser des élections dans un cadre serein.

Des personnalités politiques plus neutres

Le président de la République est toujours une personne avec une grande expérience (il faut minimum 50 ans), c’est pour cela que plusieurs autres noms circulent, des noms connus de la politique italienne et qui ont fait leurs preuves. Ainsi l’ancien président du Conseil Romano Prodi est un candidat potentiel, même s’il ne plaît que peu à la droite, qui préfèrerait Gianni Letta. Un autre ancien homme d’État, Giuliano Amato, pourrait satisfaire un grand nombre de députés par son expérience variée (président du Conseil, ministre de l’Intérieur, des réformes…). Enfin, Pier Ferdinando Casini, le chef de l’UDC (Démocratie Chrétienne, centre), reste une possibilité bien qu’il ne soit plus en vue depuis des années. Sa discrétion pourrait justement être un avantage pour trouver un compromis entre tous les partis. Monsieur Casini est connu pour sa neutralité et son parti ne pèse plus que quelques pourcents lors des élections, en aucun cas une menace pour les coalitions des hémicycles.

Une femme au palais du Quirinal ?

Au-delà des idées politiques, l’idée d’une femme comme présidente du Conseil fait son chemin. Il est vrai que ce rôle n’a jamais été proposé à une femme. Deux candidates potentielles sont en lice : Marta Cartabia et Liliana Segre. La première est l’actuelle ministre de la Justice et ancienne présidente de la Cour constitutionnelle. Un curriculum qui semble adapté à la fonction de gardienne de la constitution et des libertés. Elle fait également partie de l’équipe choisie par Mario Draghi, ce qui donnerait une certaine continuité à l’actuel gouvernement.

Liliana Segre est un autre symbole important. Rescapée du camp de concentration d’Auschwitz, elle serait aussi une défenseuse idéale des institutions par son expérience et ce qu’elle représente. Elle n’est inscrite dans aucun parti, ce qui renforce cette image de neutralité, mais ses rapports avec Matteo Salvini sont tendus. On imagine donc difficilement les partis de la droite souverainiste voter pour elle.

La candidature de Silvio Berlusconi

La droite annonce depuis plusieurs semaines le désir de candidater Silvio Berlusconi comme président de la République. Une idée somme toute logique car le Cavaliere n’est plus vraiment un protagoniste de la scène politique italienne malgré encore environ 10% des suffrages. Ce poste de président serait en corrélation avec son âge et laisserait plus de manœuvres aux dirigeants de son parti pour une restructuration de la ligne politique.

Mais Silvio Berlusconi est un personnage clivant, contesté, le contraire de ce qui est attendu d’un président de la République, à savoir une personne qui rassemble, qui convient à tous par sa personnalité et ses valeurs. Pour mémoire, Monsieur Berlusconi a été condamné pour fraude fiscale, ce qui ne serait pas le meilleur des symboles pour une nation qui souffre d’une perte d’environ 100 milliards d’euros par an à cause des impôts non perçus. De plus, on voit mal la gauche ou le Mouvement 5 Étoiles voter pour le fondateur de Forza Italia après avoir combattu ses idées pendant plus de vingt ans. Il est donc assez improbable de voir Monsieur Berlusconi au Quirinal, à moins d’un accord qui serait vraiment inattendu. Mais, la politique italienne est célèbre pour ses retournements de situation et rien n’est impossible.

Mario Draghi, de nouveau sauveur

L’homme providentiel du gouvernement italien est très apprécié et pourrait aussi être idéal à ce poste. Si sa nomination est tout à fait possible au niveau des votes, ce changement de rôle aurait un impact conséquent sur la politique italienne : qui pour le remplacer comme président du Conseil ? Un poste qui ne demande pas de faire l’unanimité mais qui renverrait les actuels hémicycles à un nouveau marché des coalitions pour désigner un président du Conseil. La solution Draghi est donc potentiellement valable, mais déplace le problème : à ce jeu des chaises musicales, la place vacante serait bien moins facile à compléter. Pire : Mario Draghi pourrait démissionner de son poste de président du Conseil et ne pas être élu comme président de la République. Une mort politique pour Monsieur Draghi et une perte conséquente pour l’Italie qui se retrouverait orpheline d’un personnage politique estimé et avec deux postes (bien difficiles) à pourvoir.

Une situation de confusion qui pourrait aussi profiter à certains. Matteo Renzi aimerait revenir, et une fusion de son parti Italia Viva avec Forza Italia n’est plus impossible, surtout depuis que Silvio Berlusconi s’est mis en retrait au profit de Mara Carfagna et Renato Brunetta, nettement plus orientés vers le centre que vers la droite dure de Matteo Salvini ou de Giorgia Meloni. Cette dernière insiste fortement pour des élections anticipées qui feraient très certainement le bonheur de l’extrême droite : la Ligue comme les Frères d’Italie caracolent en tête des sondages et une alliance des deux partis pourrait leur permettre d’avoir une majorité absolue à l’assemblée. En cas de départ de Mario Draghi, la pression pour des élections anticipées serait forte et presque inéluctable, tant un accord entre les élus de l’assemblée serait difficile à obtenir.

Cette donnée montre l’importance de l’élection du président de la République, car si le scénario changeait et que des élections anticipées étaient organisées, l’Italie pourrait avoir une orientation politique totalement différente. Après avoir regagné la confiance des marchés et de l’Europe grâce à Mario Draghi et avoir signé un accord historique avec la France par l’accord du Quirinal, tout pourrait changer. Une croisée des chemins pour le futur politique italien qui se jouera à quelques voix, sans aucune certitude. La responsabilité des élus est grande car au-delà du choix du président de la République, c’est la décision d’une ligne directrice plus large qui est en jeu. Un choix important pour unifier le pays ou le renvoyer aux urnes, car un non-choix serait comme amorcer une possible bombe politique à retardement qui exploserait lors des prochaines élections législatives, prévues en 2023.
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