ANALYSES

Xi Jinping : une réelle mainmise sur l’avenir de la Chine ?

Interview
19 novembre 2021
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Dans le sillage du 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinoise (PCC), le président XI Jinping semble affirmer sa pleine puissance sur le pays. Mais qu’en est-il réellement ? Le président chinois est-il désormais sans opposition ? Quelles sont ses ambitions pour l’avenir du PCC et de la Chine ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le 6e plénum du Congrès du Parti communiste chinois s’est tenu du 8 au 11 novembre dernier. En quoi consiste-t-il et quelles grandes annonces ont été faites ?

Le XIXe Congrès du PCC, qui prendra fin l’an prochain au terme de cinq ans, est jalonné de plénums au cours desquels se retrouvent les délégués du parti et leurs suppléants, pour un total d’environ 400 personnes. En règle générale, le 6e plénum a une importance particulière en ce qu’il permet de préparer le futur congrès, et notamment la nomination de nouveaux responsables. Dans le cas actuel, puisque Xi Jinping a fait adopter la levée de la limite à deux mandats présidentiels, et qu’il restera très probablement au pouvoir au-delà de dix ans, et donc après 2022, les grandes annonces portèrent sur une mise en perspective historique, avec l’adoption d’une « Résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur les réalisations majeures et le bilan historique des cent années de lutte du Parti ». Ce type de résolution est rarissime, puisqu’il ne s’agit que de la troisième depuis la fondation du PCC, en 1921, après celle de 1945 qui consacrait la ligne de Mao Zedong et lui ouvrait les portes du pouvoir en vue de la victoire communiste de 1949, et celle de 1981 qui consacrait le leadership de Deng Xiaoping et la voie du libéralisme économique en rupture avec le maoïsme et la révolution culturelle. Ce long texte reprend les grandes lignes de l’histoire du parti communiste chinois depuis sa fondation et en révise le contenu, en s’articulant autour de trois grands axes : la consolidation de la Chine sous Mao Zedong, sa croissance économique sous Deng Xiaoping, et enfin son affirmation de puissance sous Xi Jinping, qui complète ainsi un trio présenté comme les trois principales figures du parti depuis sa création et les trois principaux dirigeants chinois. Cela revient à hisser la « pensée Xi Jinping » comme ligne directrice de la Chine contemporaine et source d’inspiration pour le développement de ce pays dans les prochaines décennies. Cette résolution historique est donc à la fois un acte de révisionnisme historique et de légitimation du pouvoir du président chinois actuel.

Ce plénum conforte-t-il l’emprise de Xi Jinping sur le PCC et sur l’avenir politique du pays ? Est-il exempt de toutes critiques au sein du PCC ?

Indiscutablement, l’objectif de cette résolution est de conforter le pouvoir de Xi Jinping et de légitimer son maintien au pouvoir. Cette volonté s’explique par l’approche du XXe Congrès du PCC, mais aussi par les oppositions qui existent au sein de l’appareil d’État. Le président chinois dispose ainsi, on le sait, de pouvoirs plus importants que ses prédécesseurs après Deng Xiaoping et plusieurs mesures prises pendant son mandat, comme la lutte contre la corruption, lui ont permis d’asseoir son autorité. Mais, il fait cependant face à des critiques sur plusieurs dossiers. Parmi ceux-ci on trouve la gestion de la crise de Covid-19, qui interroge sur la transparence de l’information, la mise en place d’un confinement aux conséquences économiques et sociales évidentes, ou encore l’isolement dans lequel se trouve actuellement la Chine. Xi Jinping n’est peut-être pas responsable de cette crise, mais son leadership fut-il le bon ? La question reste entière. Le président chinois est également critiqué pour ce qui constitue le plus grand chantier de sa présidence, les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI). Il en fut l’instigateur en 2013, même si dans les faits la Chine était déjà très présente sur le terrain des investissements avant cette date, et il incarna cette politique d’investissements pharaoniques à échelle internationale. On reproche cependant à cette BRI son coût extrêmement élevé, des retours sur investissements qui tardent à se manifester et, dans certains cas, ne se manifesteront jamais. Tandis que la Chine investissait des milliards de dollars à l’étranger, ce sont des régions chinoises qui restaient confrontées à des difficultés sociales à grande échelle, que le ralentissement de la croissance économique a accentuées. Enfin, la position ambigüe de Xi Jinping sur Taïwan, de même que l’impact négatif des pressions sur Hong Kong sur l’image de la Chine (même si cela est présenté comme un succès dans la résolution historique…) questionnent. Entre conservateurs et réformateurs, Xi Jinping ne fait pas toujours l’unanimité, et en inscrivant son œuvre dans l’histoire de la Chine, il cherche à renforcer sa légitimité.

Face aux tensions grandissantes avec Taïwan, pourrait-on se diriger vers un conflit armé ?

Dans un discours prononcé le 9 octobre dernier, Xi Jinping est revenu sur la question taïwanaise en ces termes : « Réunifier la patrie par des moyens pacifiques est dans l’intérêt général de la nation chinoise, y compris des compatriotes de Taïwan. La réunification de notre pays peut être réalisée et le sera ». Très peu médiatisés dans le monde occidental, ces propos ont suscité une vive et légitime réaction à Taïwan, dans un contexte de fortes tensions entre Pékin et Taipei et de nombreuses incursions chinoises dans l’espace maritime et aérien taïwanais depuis quelques semaines, en plus de déclarations très agressives de militaires chinois. La détermination de Pékin est ici exprimée une fois de plus, en dépit du caractère illégitime de cette volonté de réunification, à laquelle s’oppose l’écrasante majorité des Taïwanais. Cependant, il faut aussi voir dans ce discours de Xi Jinping un appel à la retenue, voire un désaveu de l’option va-t-en-guerre que semblent privilégier plusieurs militaires et responsables de haut rang. Compte tenu des conséquences, pour le moins hasardeuses et très certainement catastrophiques, d’une invasion militaire de Taïwan, le président chinois a choisi la prudence, se contentant de rappeler les poncifs que l’on trouve dans le discours officiel chinois à propos de Taïwan depuis des décennies. En mettant en avant les « moyens pacifiques », il cherche surtout à calmer les esprits. Certes, cela ne signifie pas pour autant que l’hypothèse d’un conflit armé dans le détroit de Taïwan doit être totalement écartée, compte tenu des très fortes tensions qui subsistent et se maintiendront. Mais il faut voir dans le choix des mots utilisés par le président chinois la volonté de vouloir éviter ce scénario, sans pour autant en énoncer un nouveau. En d’autres termes, Xi Jinping montre par ce discours l’impasse dans laquelle la Chine se trouve sur la question taïwanaise, et se contente ainsi de faire des déclarations d’intentions, mais sans fixer le moindre agenda. Et c’est une bonne nouvelle pour ceux qui s’inquiètent d’un conflit dans cette région.
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