ANALYSES

Sous-marins australiens : « Ces nouveaux accords entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni peuvent être inquiétants »

Presse
16 septembre 2021
Interview de Jean-Pierre Maulny - TV5 Monde
Quelles sont les principales raisons de l’annulation des contrats de sous-marins français par l’Australie ?

La principale raison de l’annulation des contrats avec la France est géopolitique, de par l’accord stratégique entre les Australiens, les Britanniques et les États-Unis (pacte AUKUS, ndlr). Cet accord est là pour faire face à la Chine. Les intérêts de sécurité américains sont en jeu, d’ailleurs les États-Unis ont fait pression sur les Européens pour mettre la Chine en tête des menaces, ce qu’on a très bien vu lors du dernier sommet de l’OTAN. Le communiqué qui en était sorti ne donnait pas entièrement satisfaction aux Américains, qui n’appréciaient pas les réticences françaises et allemandes, plus favorables à une approche équilibrée avec la Chine.

Je pense que les États-Unis n’ont pas voulu attendre leurs partenaires européens et ils sont partis avec les seuls Britanniques vis-à-vis des Australiens. Le contrat pour les sous-marins entre la France et l’Australie était  aussi vacillant, c’était devenu un peu compliqué. Le prix était en cause, la deuxième partie de négociation du sous-marin posait problème. Depuis 6 mois, la presse australienne rapportait des tensions dans les négociations, des garanties avaient même dû être données par la France pour que 60% des bâtiments soient construits en Australie.

Quelque chose aurait changé pour l’Australie depuis l’accord de 2016 avec la France ?

Oui puisqu’il y a 5 ans, l’Australie était encore dans une politique où il y avait un partenariat avec la Chine. Mais à la suite de l’épidémie de COVID-19 il y a eu un embargo chinois sur le charbon australien (à la suite d’une demande d’enquête internationale indépendante sur l’origine de la pandémie de Coronavirus, par l’Australie, ndlr) et les Australiens ont besoin d’une garantie de sécurité accrue. Donc naturellement les Américains se sont précipités, d’autant plus qu’ils veulent une alliance beaucoup plus structurée dans la région. Et puis, on peut dire que le sous-marin américain a été ajouté à la corbeille dans la partie technologique du partenariat AUKUS entre États-Unis, Royaume-Uni et Australie.

La Chine a réagi assez fortement à cette annonce de l’achat des sous-marins nucléaires américains et de l’abandon des modèles conventionnels français. Qu’en pensez-vous ?

C’est une réaction tout à fait normale et ça ne siginifie rien de plus, c’est la réaction à laquelle il fallait s’attendre de la part de la Chine. On renforce une alliance entre certains pays occidentaux, mais pas tous, donc ça provoque une réaction chinoise. Les Chinois s’inquiètent de la prolifération nucléaire dans la région dans un communiqué, mais c’est un prétexte puisque ce n’est pas de l’armement nucléaire. Ce qu’il faut savoir c’est que lorsque la France a signé un partenariat avec le Brésil pour fabriquer un sous-marin à propulsion nucléaire, les États-Unis ont dénoncé la problématique de la prolifération, exactement comme la Chine le fait aujourd’hui.

Vis-à-vis de la Chine, pour les pays signataires du pacte AUKUS, c’est une stratégie de dissuasion. Mais cet accord est principalement politique avec une forte composante commerciale. Quand on fait de la politique dans le domaine de la Défense on essaye aussi d’en profiter pour avoir des avantages au niveau de l’industrie de Défense. Et la Chine, elle, de son côté, utilise principalement son arme économique. Donc la première réaction chinoise pourrait-être une sanction économique à l’égard de l’Australie.

La donne géostratégique et géopolitique est-elle en train de se modifier avec ces premiers contrats de sous-marins nucléaires dans le cadre du pacte AUKUS ?

A l’époque de l’appel d’offre pour les sous-marins auquel participait la France, l’Allemagne et le Japon, j’ai vu qu’un certain nombre de chercheurs, de conseillers australiens poussaient à fond l’offre japonaise. Simplement pour se rapprocher des Américains. J’ai aussi observé une forme de volte-face au niveau du gouvernement australien depuis ces dernières années, avec beaucoup d’hésitations sur ce sujet des alliances commerciales, politiques et stratégiques. La France a eu longtemps une coopération très importante avec l’Australie en matière d’armement. Thalès est très bien implantée là-bas. Mais le pouvoir politique australien, au gré des périodes peut basculer entre les États-Unis, la France et un peu les Britanniques. Sauf que les Britanniques sont désormais très clairement dans le camp des Américains.
C’est pourquoi ces nouveaux accords peuvent être inquiétants parce qu’il y a des projets comme la dernière génération de missiles longue portée, développés par le Royaume-Uni avec la France qui pourraient être remis en cause. Puisqu’en réalité, avec ce nouvel accord, les Britanniques semblent vouloir coopérer avant tout avec les États-Unis et l’Australie. Va se poser alors la question pour le gouvernement britannique de « comment fait-on avec la France ? »

Pour la zone Pacifique Sud seule, ce qui semble se définir c’est une sorte d’alliance occidentale restreinte, avec un partenariat plus prononcé qui se met en place. Ce n’est pas un démembrement de l’OTAN, mais c’est une coopération renforcée qui n’est pas forcément voulue par les autres partenaires de l’OTAN. C’est donc une décision majeure qui vient d’être prise avec la signature du pacte AUKUS et des achats de contrats de sous-marins nucléaires américains par l’Australie. Tout ça dans le dos de la France, et en plus, le jour où l’Europe publie sa stratégie Indopacifique.


Propos recueillis par TV5 Monde.
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