ANALYSES

Pacifique : quelle diplomatie vaccinale ?

Tribune
12 juillet 2021
Par Alexandre Dayant, chercheur au Lowy Institute (Australie)


Les relations entre la Chine et l’Australie se sont envenimées au cours des douze derniers mois, notamment depuis la demande par Canberra de faire une enquête internationale sur les origines du coronavirus.

Mais depuis une semaine, les deux pays ont trouvé un nouveau point d’accroche, cette fois concernant leurs campagnes de vaccinations contre le COVID-19 dans le Pacifique.

Dans un long article, le Global Times – un tabloïde porte-voix du Parti communiste chinois – a directement accusé l’Australie de saboter le programme d’aide à la vaccination chinois dédié à la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG). Pour se faire, Canberra aurait utilisé des “consultants” pour manipuler les politiques sanitaires locales et bloquer l’approbation du vaccin chinois, tout en menaçant les hauts responsables gouvernementaux qui collaboraient avec la Chine sur ce sujet.

En réponse à ces accusations, Zed Seselja, le ministre australien chargé du Pacifique, a nié les faits, déclarant que ce « n’était absolument pas le cas » et que l’Australie « s’acquittait simplement de sa responsabilité morale et économique » envers la région. Il a également ajouté que l’Australie « aborde ces questions de bonne foi et continue à faire ce qui est dans l’intérêt de la région et dans l’intérêt de nos amis et voisins, plus particulièrement la PNG. »

Ces accusations traduisent l’instabilité géopolitique qui plane actuellement au-dessus du Pacifique.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée était une colonie australienne, jusqu’à son indépendance en 1975. Depuis lors, la PNG a constamment été et reste la plus grande bénéficiaire de l’aide internationale australienne. Ainsi, une grande partie du budget du pays a longtemps été financée par Canberra, qui en a profité pour placer des consultants à des postes clés au sein de départements gouvernementaux souvent jugés stratégiques. Plus tard, cette influence s’est décalée vers le secteur privé, en particulier vers le secteur des ressources naturelles.

Mais tout cela a changé au cours des dernières années, avec l’essor de la Chine sur le plan international. Aujourd’hui, Pékin est l’un des investisseurs majeurs en PNG et le second partenaire commercial du pays, juste derrière l’Australie. D’ailleurs, en novembre 2018, le président Xi Jinping a effectué une visite historique dans le pays, signant avec le Premier ministre Peter O’Neill un partenariat stratégique global ainsi que l’affiliation de la PNG à la Belt and Road Initiative.

Les plaques géopolitiques de la région sont donc en mouvement, et la Chine, comme l’Australie, voit la crise sanitaire actuelle comme une opportunité pour asseoir son influence.

Après l’approbation de son vaccin Sinopharm par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Chine a commencé à le distribuer à travers la région en mai de cette année. Le premier pays à en bénéficier a été les Îles Salomon, le vice-Premier ministre Manasseh Maelanga se portant volontaire pour la première des 50 000 doses offertes par Pékin.

En réponse, lors de la même semaine, l’Australie a offert à Honiara 60 000 doses de son vaccin AstraZeneca, fabriqué localement. S’en suivit une proposition chinoise de 200 000 doses dédiées à la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Nous assistons donc véritablement à une course aux vaccins dans le Pacifique.

Le vaccin Sinopharm semble être l’élément clé de la « diplomatie des vaccins » chinoise. Des centaines de millions de doses sont en effet fabriquées en Chine et proposées aux pays en développement du monde entier.

Dans le Pacifique, les experts y voient une opportunité pour la Chine, qui pourrait utiliser ses vaccins pour approfondir son « leadership régional ». Idée que renie Wang Wenbin, le porte-parole chinois. D’après lui, la distribution des vaccins en PNG n’a « aucun objectif géopolitique ni aucune condition politique ».

La réponse de Canberra face à cette situation a été double. Tout d’abord, l’Australie a continué d’envoyer ses vaccins et équipes médicales à travers la région, s’engageant notamment à distribuer 15 millions de doses au Pacifique d’ici à mi-2022. Mais surtout, l’administration australienne des produits thérapeutiques (TGA) n’a approuvé que trois vaccins dans son programme de santé : Pfizer, AstraZeneca et Johnson & Johnson, mettant pour le moment de côté le vaccin chinois. La principale implication de cette décision est que cela empêcherait les habitants du Pacifique vaccinés avec le Sinopharm de bénéficier de la levée des procédures de quarantaine coûteuses à l’entrée du territoire australien, en cas de réouverture des frontières.

Il est ici important de mentionner que la région dépend grandement du tourisme international, notamment australien. Si Canberra applique son raisonnement jusqu’au bout, cela signifierait que de possibles « bulles » de voyages touristiques ne se feraient qu’avec les pays ayant reçu des vaccins occidentaux, reconnus par la TGA. La reprise économique de la région ne serait donc que sélective. En conséquence, la décision australienne devrait avoir un énorme impact sur l’acceptation du vaccin chinois dans la région.

Même si les accusations chinoises ne sont pas toutes justifiées, il est certain que cette décision et l’intensification des efforts de distribution des vaccins occidentaux par l’Australie mettent un bâton dans les roues du plan sanitaire chinois.

Mais à l’heure où le nombre d’infections augmente dramatiquement dans la région, où les forces sanitaires sont débordées, les partenaires de développement du Pacifique n’ont pas le luxe de tergiverser sur leurs programmes de vaccination. Au contraire, ils devraient se faire dans les plus brefs délais.

 
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