ANALYSES

Dissolution de Génération identitaire : les questions que pose ce projet du ministère de l’Intérieur

Presse
28 janvier 2021
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a évoqué la possibilité d’une dissolution du groupe militant «Génération identitaire». Que vous inspire cette initiative? Se justifie-t-elle selon vous d’un point de vue juridique?

D’un point de vue juridique, le débat tourne autour de deux alinéas de l’article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure, qui reprend les anciennes dispositions de la loi de 1936 sur les groupes de combat et milices privées. L’alinéa 2 concerne les mouvements «qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées». Or la jurisprudence récente (2014) du Conseil d’État a validé la dissolution de l’Œuvre française en retenant que celle-ci organisait des «camps de formation paramilitaire, physique et idéologique», sans chercher si le caractère paramilitaire de ce camp d’été avait ou non le caractère d’une préparation réelle au coup de force ou au terrorisme, ce qui, à mon avis, n’était pas le cas. Génération Identitaire (GI) organisant également une université d’été comportant des activités comme la boxe, va-t-on retenir ce fait contre le groupe, alors même qu’il annonce, publiquement, le contenu de son camp?
Un éventuel décret de dissolution pourrait également invoquer l’alinéa 6, qui permet d’interdire un groupe «provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée». Il appartiendra à l’administration, puis éventuellement au juge administratif, de déterminer si l’action conduite dans les Pyrénées relève de ces catégories, alors que le mouvement l’a justifiée par «la menace terroriste qui demeure très élevée au plan national» et «des mouvements de migrants qui restent soutenus». Stricto sensu, les «migrants» ne sont ni une ethnie, ni une race, ni un groupe religieux, seul le critère de l’origine étrangère me paraît pouvoir être pris en compte. Juridiquement, cela se plaide, mais la défense pourra arguer du fait que GI n’est ni un mouvement cherchant à renverser la forme républicaine de l’État, ni un mouvement terroriste. Personnellement, l’initiative me laisse dubitatif car la dissolution est une mesure exorbitante par rapport à la police administrative. Les infractions commises, le cas échéant, par les membres de ces mouvements peuvent parfaitement être réprimées au pénal et l’association, en tant que personne morale, poursuivie au pénal. C’est d’ailleurs ce qui s’était passé après l’opération de GI dans les Alpes.

Certains commentateurs comparent Génération identitaire à une «milice» telles qu’elles avaient pu exister dans les années 1930. D’autres font même le parallèle avec Daech dans le déploiement des symboles. Ces comparaisons sont-elles pertinentes? Comment qualifier le groupe Génération identitaire?

GI est un mouvement ethno-différentialiste. Contrairement au RN, qui est assimilationniste, les identitaires ne croient pas que les étrangers non-européens (au sens du mot «caucasien» dans le monde anglo-saxon) puissent s’assimiler à la nation française, même quand ils professent une religion chrétienne. Ils croient que la «remigration» est la solution au «grand remplacement», là où le RN prône l’immigration zéro. Ils pensent que chaque peuple et chaque culture ne peut s’épanouir que sur sa terre ancestrale et dans le cadre historique, le cadre naturel, qui est le sien. Là où le RN considère les DOMiens comme des Français, les identitaires n’ont sûrement pas la même perception. Est-ce une milice au sens des années 30? Assurément pas. Ni par le nombre, ni par l’armement, ni par les menées factieuses, bien réelles dans les années 30 où, tous bords confondus, la politique pouvait se faire à coups de revolver. Aucun parallèle n’est possible avec Daech, dont les adeptes français tuent des Français, qui mène des attaques terroristes massives contre des civils, qui utilise la délinquance de droit commun pour financer le djihad et qui, en outre, a au moins tenté d’établir un semblant de réalité étatique dans la zone syro-irakienne.

Les militants de ce groupe se comparent eux à Greenpeace dans leur utilisation des médias. Qu’en pensez-vous?

Je ne comparerais pas Génération identitaire à Greenpeace, tout de même! Mais le mouvement est effectivement, dès ses débuts, passé maître dans l’art de faire de l’agit-prop par les vidéos et les réseaux sociaux, en relayant en direct ses actions les plus percutantes qui, par ailleurs, font des «sujets» facilement repris par les médias mainstream. Ce qui, même lorsque GI est dénigré, lui offre une cause de résonance importante. GI envoie des messages très simples, portant sur des préoccupations que le RN traite de manière moins radicale pour ne pas se re-diaboliser. Notons également que GI parle aux médias généralistes, ce que ne font pas nombre de ses concurrents qui campent sur une défiance de principe, voir sur une hostilité parfois mise en actes.

La censure ne risque-t-elle pas d’être contre-productive?

Je suis gêné par la multiplication des demandes de dissolution venant d’un peu partout. Certains, à droite, visent les black blocs, qui ne sont pas un groupe politique constitué, voire réclament la dissolution des groupes antifascistes d’inspiration anarcho-libertaire. À gauche, comme aujourd’hui au centre-droit, c’est l’extrême droite qui est l’objet de demandes régulières d’interdiction. La dissolution des associations islamistes radicales fait davantage consensus, mais certains veulent élargir le spectre et viser l’islam politique, par exemple le salafisme, le wahhabisme et l’idéologie des Frères musulmans. Or l’arsenal juridique existant, pour peu évidemment qu’il existe la volonté politique de l’utiliser, me semble suffire pour agir de manière efficace. Dissoudre par exemple, des associations qui gèrent des mosquées appelant au terrorisme et à la haine, très bien. Mais une poignée d’interdictions ne viennent pas à bout d’un phénomène dont on prend la mesure trop tard, et de manière peut-être pas encore suffisante.

Plusieurs groupes d’extrême droite avaient été dissous après l’affaire Clément Méric (jeune militant antifa mort lors d’une rixe avec des skinheads en 2013). Cela avait-il été efficace?

Il faut être clair: une dissolution est une mesure politique avant tout. Elle montre les priorités d’un gouvernement, la hiérarchie des dangers qu’il croit discerner pour la République. Le vrai travail constructif, pérenne et efficace est celui du renseignement. Les dissolutions ayant suivi l’affaire Méric avaient deux inconvénients. D’abord certaines (Œuvre française, Jeunesses nationalistes) visaient des mouvements n’ayant aucun rapport avec les faits et punis «pour l’ensemble de leur œuvre». Ensuite, comme toujours, le bilan en est mitigé en termes d’efficacité. Troisième Voie a subi un coup d’arrêt mais l’Œuvre française perdure sous d’autres formes. Le local exploité par Serge Ayoub a disparu (alors même que le Conseil d’État a annulé la dissolution de l’association gestionnaire) mais il existe d’autres lieux identiques à travers le pays. Et si on regarde les dissolutions de 2017, le Bastion social a vu certains de ses militants ressurgir chez Les Zouaves ou créer des structures associatives locales nouvelles.
Sur la même thématique