ANALYSES

Covid-19 : des vaccins sous le sapin ?

Tribune
20 novembre 2020


Des mois qu’on l’attend… tout en sachant qu’il est bien trop tôt pour vraiment l’espérer. Trump en avait rêvé pour se défaire de la réputation de mauvais gestionnaire de la crise sanitaire… Mais finalement, ce n’est que cinq jours après les élections que Pfizer & BioNtech l’ont annoncé, puis Moderna & NIAID. Pas un vaccin contre le Covid-19 efficace à 90%, mais deux puisque Moderna annonce une efficacité à 94,5%. Derrière cet effet d’annonce, que cela veut-il dire vraiment ?

Tout d’abord, il est important de comprendre que les vaccins ne sont pas terminés, pas plus que les études. Pfizer annonce une fin de la phase 3 en décembre 2022, tandis que Moderna vise octobre 2022. Il reste un long chemin à parcourir. Cependant, il est vrai que c’est très encourageant, et on a besoin de cela en ce moment.

Ce sont tous deux des vaccins en phase 3. C’est la phase qui évalue et cherche à vérifier l’efficacité à long terme ainsi que la sécurité du vaccin. Elles sont évaluées sur un échantillon de personnes bien plus importantes que les deux premières phases. Pfizer a recruté 43 998 personnes, de tout âge (au-dessus de 12 ans), de toutes ethnicités et de tous backgrounds pour participer à sa phase 3, Moderna en a recruté 30 000.

Les 90% que Pfizer évoquait sont des résultats préliminaires dans le protocole, il était question de faire un point d’étape une fois le nombre des 64 contaminations atteintes. C’est à 94 qu’il a finalement été fait. Deux groupes avaient été formés, ceux qui recevaient le vaccin et ceux qui recevaient un placebo. 7 jours après la seconde dose du vaccin (il faut faire 2 injections espacées de trois semaines), le nombre de 94 contaminations a été atteint. Sur les 38 955 personnes vaccinées, 90% n’ont pas développé de forme symptomatique du Covid-19. Le second point à 160 contaminations au Covid-19 atteintes vient d’être franchi, moins de deux semaines après la première annonce. Son efficacité vient de passer à 95% et obtient les conditions requises pour une demande de mise sur le marché.

Aussi, comment se fait-il que Pfizer et Moderna puissent déjà avoir des résultats alors qu’il faut d’ordinaire 10 ans pour faire un vaccin ?

Les deux industries pharmaceutiques se sont associées à une biotech afin de combiner leurs forces. La biotech a la souplesse nécessaire pour la recherche et le développement, et la big pharma a la capacité de fabrication et de diffusion à grande échelle.

D’autre part, ils ont privilégié une technique assez novatrice qui fait gagner énormément de temps sur le développement du vaccin : la technique de l’ARNm ou ARN messager .

Traditionnellement, les vaccins se basent sur cinq techniques différentes : les vaccins atténués, inactivés, les vaccins sous-unitaires acellulaires, les vaccins polysaccharides et recombinants.

Toutes ces techniques sont chronophages et de fait peu adaptées à une crise sanitaire.

Le vaccin idéal doit avoir une innocuité totale, pas d’effets secondaires, induire le déclenchement de l’immunité immédiate et à long terme. Le coût doit être faible et la fabrication à grande échelle doit être possible, ainsi qu’une logistique aisée pour le distribuer… Seul le vaccin atténué vivant répond à toutes ces exigences. Mais il met entre quatre et six ans à être développé.

C’est pour cela qu’aujourd’hui les laboratoires capables d’annoncer des résultats moins de dix mois après le début des recherches sont plutôt axés sur la technique de l’ARNm. « L’ARN messager » est une copie transitoire d’un morceau d’ADN (le matériel génétique de la cellule), les cellules s’en servent pour fabriquer les protéines.

Dans le vaccin dit à ARNm, il est question de donner à la cellule des ARNm « artificiels » qui donneront les instructions à la cellule pour fabriquer des antigènes. Antigènes qui vont secondairement induire la synthèse des anticorps par le système immunitaire. En fait, le vaccin ARNm agit comme si l’on donnait à la cellule une sorte d’antisèche pour savoir quel antigène produire. C’est ensuite au corps (au système immunitaire en fait) de produire les anticorps. Et c’est ce qui fait toute la différence. C’est le corps qui fait le travail et non le vaccin. Le gain de temps est énorme et c’est ce qui nous permet d’avoir déjà des résultats.

On gagne du temps, mais utiliser l’ARNm est très onéreux ce qui aura un impact sur le prix du vaccin, tout en sachant qu’il faut deux doses par personne. D’autre part, c’est une structure moléculaire très instable qui parfois nécessite une logistique de distribution qui pour l’instant n’est accessible qu’au secteur hospitalier puisqu’il faut le maintenir à -72°C, comme c’est le cas pour le vaccin de Pfizer & BioNtech.

Cela veut dire deux choses : son prix et son instabilité nécessitant un maintien constant à -72°C ne lui permettront ni d’être le candidat idéal pour les vaccinations de masse, ni pour vacciner les pays à revenus faibles et intermédiaires.

D’autre part, Pfizer juge l’efficacité de son vaccin sur sa capacité à diminuer les symptômes du Covid-19 et non rompre la chaîne de transmission. C’est-à-dire qu’il n’empêche pas la contamination, mais l’apparition de forme grave. C’est une bonne chose au niveau individuel, mais cela compromet l’obtention d’une immunité de groupe et donc la protection collective. D’autant plus qu’à l’heure actuelle seulement 22% des Français se sont déclarés prêts à accepter une vaccination contre le Covid-19.

Moderna utilise une technique similaire sur ARNm, mais est parvenu à proposer une logistique bien plus abordable puisque son vaccin peut être stocké de manière stable à des températures allant de 2 à 8°C pendant 1 mois et donne une estimation de conservation jusqu’à six mois à -20°C…. ce qui faciliterait grandement la vaccination et la distribution dans les pays où le respect de la chaîne du froid est un problème.

Qu’en est-il de la suite ?

Pour Pfizer et Moderna la phase 3 continue, les laboratoires viennent de demander une demande d’autorisation de mise sur le marché pour raison exceptionnelle auprès de la FDA (la Food and Drug Administration), estimant que les conditions requises de sécurité viennent d’être obtenues. Demandes qui seront probablement évaluées en même temps.

La mise sur le marché est une sorte de phase 4. Elle permet une augmentation du nombre de personnes vaccinées et permettra d’étudier la survenue d’effets secondaires rares et/ou au long cours.

Ils étaient onze candidats vaccins au 12 novembre 2020 à être d’ores et déjà en phase 3. Quatre sont chinois, un indien, un anglais, un russe, un néerlandais et trois américains. Les semaines qui viennent ne seront qu’une succession d’effet d’annonces.

Le vaccin russe « Spoutnik 5 » a déjà fait une annonce sur son efficacité malgré des échantillons très réduits et peu homogènes.

Le vaccin suédois britannique d’Astra Zeneca devrait avoir ses résultats préliminaires pour le 22 décembre prochain. Astra-Zeneca s’appuie sur la technique du virus vecteur inoffensif. Ils ont modifié un virus de rhume pour que celui-ci produise les fameuses protéines « S » du Covid-19. Le système immunitaire va ainsi être activé contre ces protéines de surface, donc contre le Covid-19.

Novavax, le 3e candidat vaccin en provenance des États-Unis, n’utilise pas la technique de l’ARNm, et demande un peu plus de temps, les résultats préliminaires semblent pour le moment être annoncés pour 2021.

Le vaccin français Sanofi-GSK (et anglais) utilise la technique de la protéine recombinante. Le passage en phase 3 est prévu fin 2020 si les résultats des phases précédentes sont concluants. Un second vaccin de Sanofi en partenariat avec Pasteur devrait utiliser la technique de l’ARNm. Les résultats des phases précliniques sont prometteurs, la phase 1 devrait commencer à la fin de l’année.

Ne nous y trompons pas, ces annonces sont encourageantes, mais il faudra encore patienter quelques semaines, voire quelques mois pour avoir un vaccin disponible pour tous. Cependant si la rapidité du process peut en inquiéter certains, il est doit être aussi rassurant de constater que la technique de l’ARNm n’utilise pas d’adjuvant… l’adjuvant ayant été le sujet de toutes les inquiétudes depuis de nombreuses années de la part des antivaccins.

 
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