ANALYSES

Hong Kong et Huawei, au cœur du bras de fer sino-américain

Interview
17 juillet 2020
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le bras de fer entre Pékin et Washington dépasse actuellement le terrain économique et commercial. Donald Trump a en effet notamment annoncé la fin du traitement préférentiel de Hong Kong, qui perd, de fait, son statut particulier. Le Royaume-Uni s’est aussi positionné très fermement, dans la continuité du positionnement étatsunien, en excluant Huawei pour le déploiement de la 5G sur son territoire, et a déclenché l’ire chinoise en proposant, par la voix du Premier ministre, la régularisation de tous les Hongkongais qui en feraient la demande suite à l’adoption de la loi sur la sécurité nationale pour la péninsule. Analyse de la situation par Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Après avoir imaginé les grandes lignes de 5G avec Huawei, Londres décide d’exclure l’entreprise chinoise. Pourquoi ce revirement ? Peut-on y voir un lien avec le non-respect de l’accord passé avec la Chine concernant Hong Kong ?

La position de Londres sur la relation avec Pékin, et notamment sur le dossier sensible de la 5G et Huawei, reflète les hésitations du gouvernement de Boris Johnson dans un contexte post-Brexit. Les perspectives économiques sont inquiétantes, comme plusieurs instituts britanniques le relèvent depuis quelques semaines, et l’heure est donc à la panique plus qu’à la consolidation des acquis et de la souveraineté économique du Royaume-Uni. Le risque de voir ce pays être de plus en plus dépendant des investissements chinois est une réalité que le Brexit avait déjà révélée, aussi on relève une certaine confusion.

Dans le même temps, la relation spéciale entre Londres et Washington, et plus encore entre Boris Johnson et Donald Trump, s’est invitée dans les positionnements britanniques sur la Chine, au risque de faire de ce pays le satellite des États-Unis dans les guerres commerciales engagées par Trump. Et cela dépasse le terrain économique et commercial. Londres fut ainsi l’un des premiers pays à réagir – après Taïwan – à l’adoption de la loi sur la sécurité nationale et sa mise en application à Hong Kong, en proposant, par la voix du Premier ministre, la régularisation de tous les Hongkongais qui en feraient la demande. Inspirée par la politique anti-chinoise de Washington plus que par le contexte difficile de Hong Kong, et sans doute maladroitement formulée – le Royaume-Uni donne ici l’impression de ne pas avoir digéré la rétrocession de 1997 – cette annonce, courageuse sur le fond, a déclenché l’ire de Pékin. La relation entre les deux pays s’en trouve affectée, d’autant que l’attractivité du Royaume-Uni pour la Chine n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était il y a quelques années, quand Pékin y voyait une porte d’entrée dans l’Union européenne. Les leviers dont dispose Londres ne sont plus aussi nombreux désormais, et les hésitations britanniques sont révélatrices d’un pays qui a besoin des investissements chinois, mais qui ne souhaite pas, dans le même temps, s’enfermer dans une dépendance, soucieux de préserver sa relation spéciale avec les États-Unis.

Les États-Unis vont imposer des restrictions de visa aux employés de Huawei, soupçonnés de faciliter les atteintes aux droits de l’Homme. Quel impact pour l’entreprise chinoise ? Qu’est-ce que cela révèle de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine ?

Il convient d’abord de rappeler que la 5G et Huawei soulèvent des interrogations légitimes, et qu’il est nécessaire d’analyser de manière posée les avantages et les risques à y souscrire. On voit d’ailleurs ces hésitations en France ou dans la plupart des pays européens. Les liens entre Huawei et le gouvernement chinois, le partage des données ou encore la censure sur les questions sensibles en Chine doivent interpeller les démocraties occidentales, ces dernières devant associer ces éléments aux aspects plus techniques de la 5G, et les avantages qu’elle peut procurer. Certains pays ont choisi d’adopter des positions très fermes, comme les États-Unis et donc le Royaume-Uni. Derrière les craintes mentionnées, il faut aussi y voir, pour Washington, des enjeux économiques importants, car adhérer à la 5G revient à consacrer la Chine comme superpuissance technologique, et les États-Unis ne veulent s’y résoudre. Nous sommes donc ici au cœur des guerres commerciales entre Washington et Pékin, qui n’ont pas attendu Donald Trump pour se manifester, mais n’ont cessé de monter en puissance au cours des dernières années. L’impact pour Huawei est certain en termes de revenus, mais l’entreprise se rabat sur d’autres marchés. Cela sera plus problématique si, comme le souhaite Washington, un grand nombre de pays choisit de refuser la 5G et d’interdire Huawei. La guerre commerciale se durcit, sous l’impulsion du conseiller économique de Donald Trump, le très sinophobe Peter Navarro, et elle suggère, côté américain, la recherche d’alliés qui accompagnent Washington pour attaquer de front, et sur tous les sujets, la Chine et les entreprises chinoises.

Donald Trump a décrété, le 14 juillet, la fin du traitement préférentiel accordé à Hong Kong, après le vote de la loi sur la sécurité nationale. Il prévoit également des sanctions contre la répression sur les territoires chinois. Quelles seront les conséquences pour les Hongkongais ?

Les conséquences sont très lourdes pour Hong Kong qui perd de facto son statut particulier, et ne sera plus la plateforme des échanges entre la Chine et l’Occident comme elle le fut pendant des décennies. Il est hautement probable qu’il s’agisse d’une volonté de Pékin, qui, depuis 20 ans, a fortement développé d’autres plateformes financières, comme Shanghai et Shenzhen, aux portes de Hong Kong, et ainsi réduit l’importance de l’ancien territoire britannique. Ainsi, si l’adoption de la loi sur la sécurité nationale marque un tournant brutal dans la gestion de Hong Kong par la Chine, le sort des Hongkongais est depuis longtemps réglé par Pékin, et dès lors que l’importance de Hong Kong diminue, l’impact des mesures de rétorsion, proposées actuellement par Washington, est plus réduit. Il n’en demeure pas moins que les États-Unis annoncent des dispositions importantes, inscrites dans les guerres commerciales, fortement inspirées, comme je l’ai dit, par Peter Navarro et son obsession anti-chinoise connue depuis longtemps, et relayée par un président américain qui joue son va-tout en vue de l’élection de novembre, avec l’impératif de désigner un coupable de tous les maux dont souffrent actuellement les États-Unis. Méthode dangereuse et sans doute contre-productive, mais il convient de mentionner ici que le meilleur allié objectif de Trump n’est autre que la Chine – qui souhaite sa réélection – et que c’est le traitement de Hong Kong par Pékin qui pousse les États-Unis à adopter des mesures très dures. Si les raisons ayant poussé les dirigeants chinois à régler avec brutalité la question hongkongaise sont nombreuses, à la fois structurelles et conjoncturelles, il ne faut pas oublier qu’elles s’inscrivent aussi dans le bras de fer que se livrent les deux grandes puissances, et on peut ainsi gager que Pékin a anticipé la réaction de Washington pour imposer de nouveaux paramètres dans les âpres négociations commerciales. Les seules victimes in fine – et pas des moindres – étant les Hongkongais et la démocratie…
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