ANALYSES

Retrait américain de l’OMS : entre défis et opportunités

Tribune
10 juin 2020


Le 29 mai dernier, Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lors d’une conférence de presse, le pays allant « rediriger ces fonds vers d’autres besoins de santé publique urgents et mondiaux qui le méritent ».

Il s’agit d’une décision éminemment politique, à visée avant tout nationale et surtout électorale, avec en ligne de mire les élections de novembre prochain. Devant les multiples ratés de la gestion de la crise sanitaire aux États-Unis, désigner un responsable apparait pour le président américain comme une solution simple et efficace.  En effet, identifier la Chine, puis l’OMS, comme responsables permet à Donald Trump de limiter l’impact de ses propres manquements face à la crise du Covid-19 : refus d’utiliser les tests de l’OMS, retard dans la conception du test « made in America », absence de prise en charge financière des soins des patients atteints par le Covid-19, surcharge des services hospitaliers et funéraires sur la côte Nord-Est, etc. S’ajoute à cela la fosse commune sur Hart Island, à proximité de New York qui a réveillé le traumatisme du 11 septembre 2001. Finalement, l’Amérique est touchée sur son sol, dans son sang. La mince protection que conférait encore le reliquat de l’inviolabilité du territoire américain a fini par céder. La crise sanitaire du Covid-19 a balayé une quantité de certitudes, dont celle de l’impunité du monde occidental devant – entre autres – les menaces sanitaires.

Mi-avril, Donald Trump lançait une enquête sur la gestion de la pandémie par l’OMS. Le retrait des États-Unis de l’OMS annoncé fin mai remplit un double objectif : confirmer que le candidat Trump remplit ses promesses dans le cadre de sa stratégie globale de retrait des organes multilatéraux annoncée depuis la campagne présidentielle de 2016 ; désigner comme coupable la Chine, le rival stratégique des États-Unis. Une stratégie qui vient bien évidemment conforter son électorat.

Alors que Donald Trump doit aujourd’hui « gérer » les tensions internes sanitaires et sociales, le vide laissé par les États-Unis à l’international n’a pas le temps d’exister. La Chine – entre autres – propose d’augmenter sa contribution à l’OMS et avance quelques pions supplémentaires sur l’échiquier international.

Néanmoins, si le président américain pense que pouvoir quitter l’OMS comme il claque la porte d’un bureau, il n’en est rien. La Constitution de l’OMS ne fait pas mention de la possibilité pour un État membre de quitter l’institution. Tout au plus, l’article 7 stipule la possibilité de retirer le droit de vote dudit « État membre » à l’Assemblée mondiale de la santé, en cas de non-paiement des contributions fixées. Le retrait américain pourrait avoir lieu de cette manière. Les États-Unis n’ont effectivement pas payé la « contribution fixe » pour 2020 à l’OMS, et n’ont pas versé intégralement celle de 2019. Washington affiche ainsi une dette de 202 millions de dollars vis-à-vis de l’organisation.

Quelle conséquence pour l’OMS ?

Le financement de l’OMS par les États-Unis porte sur pas moins de 36 thématiques, d’inégales importances.

Jusqu’à l’an passé, le programme qui profitait principalement des financements états-uniens était le programme de lutte contre la polio, lancé en 1988, avec pour objectif l’éradication de la maladie à l’horizon de l’an 2000. Un objectif sur douze ans, s’appuyant sur l’expérience réussit de l’éradication de la variole en 1979. Trente-deux ans plus tard, la polio n’est toujours pas éradiquée, mais les chiffres permettent d’être optimistes avec 33 cas comptabilisés en 2018. On pourrait penser que la perte de financement pour un programme, aussi proche de son objectif ne devrait pas avoir d’incidence majeure. Ce n’est pourtant pas le cas. La poliomyélite, maladie très contagieuse, ne dispose pas de traitement curatif. La seule option réside en la vaccination – mise à mal cette année par l’épidémie de Covid-19 qui impacte fortement les campagnes de vaccination systématique. La résurgence d’un seul cas de poliomyélite a la possibilité d’engendrer des foyers épidémiques très importants. On estime ainsi qu’il est possible de voir surgir jusqu’à 200 000 nouveaux cas annuels dans les dix années à venir. Ainsi, le retrait américain de l’OMS – et donc la perte de 15% des financements du programme – remettrait en cause les succès d’ores et déjà constatés de ces trois décennies de luttes : plus de 16 millions de personnes ont évité la paralysie, 1,5 million de décès d’enfants ont été écartés, et jusqu’à 50 milliards d’US$ ont été économisés sur les vingt prochaines années en termes de santé publique dans les pays en voie de développement.

On constate une situation similaire concernant le programme de vaccination des maladies infantiles. Même si comme on pouvait l’espérer, il y a une redirection des fonds que les États-Unis versaient à l’OMS vers l’initiative GAVI[1], dont ils sont déjà financeurs, à hauteur de 2,5 milliards d’US$ depuis l’an 2000. Le pays a par ailleurs annoncé un don de 1,16 milliard d’US$  lors du Global Vaccine Summit de début juin, via l’USAID.

On peut se poser la question de la pertinence de couper les financements en pleine pandémie. Il est vrai que les États-Unis sont plus enclins à prendre acte des conseils du Center for Disease Control and Prevention (CDC) que de l’OMS. De fait, le CDC est aux États-Unis ce que l’OMS est au monde non occidental : une référence sanitaire normative chargée de la prévention et du contrôle des maladies. Donald Trump a aujourd’hui jugé que les États-Unis pouvaient se passer de l’OMS. Il pourrait théoriquement avoir raison, mais si cette pandémie nous a appris (confirmé) quelque chose, c’est bien la nécessité d’une coopération internationale en matière de santé publique pour obtenir des résultats pérennes. De la même façon que 2020 nous apprend que le monde occidental n’est pas à l’abri d’une pandémie. « America First » ne fonctionne pas lorsqu’il est question de santé publique.  Ce n’est pas en claquant la porte que les problèmes disparaissent. En psychiatrie, on appelle cela le déni. Cela retarde le moment de la prise en charge et de fait aggrave le diagnostic… ainsi que le pronostic.

La bonne nouvelle de l’histoire, c’est que cette défection va nécessairement accélérer la réforme du financement de l’OMS déjà entamée depuis quelques années. Tout l’enjeu va être de ne pas tomber dans le piège des financements privés, donc ciblés, un modèle de financement qui peut questionner sur la liberté des choix programmatiques de l’OMS. Peut-être sera-t-il temps de parler de financement innovant ? L’industrie pathogène n’aurait-elle pas une contribution financière à apporter à l’OMS ? Le tabac, l’alcool certes… Mais aussi l’automobile, l’industrie de l’armement, les produits alimentaires transformés… ?

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[1] GAVI, l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation, est une organisation internationale basée sur les partenariats privés et publics avec entre autres l’OMS et l’UNICEF, pour garantir l’accès à la vaccination aux plus grands nombres d’enfants à travers le globe.
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