ANALYSES

Comment la France et ses partenaires peuvent-ils aider le Pacifique dans sa lutte contre le coronavirus ?

Tribune
23 mars 2020
Par Alexandre Dayant, chercheur au Lowy Institute (Australie)


Avec la confirmation de plusieurs cas de coronavirus en Polynésie française et à Guam, le Pacifique rejoint officiellement la crise sanitaire mondiale. Le Covid-19 pourrait avoir des effets dramatiques sur ces petits États insulaires.

La compréhension et la gestion des risques, ainsi que le renforcement de la résilience de ces petites et fragiles économies, devraient être parmi les objectifs principaux des politiques publiques locales et des efforts des partenaires de développement.

Sur le plan économique, il semble que le tourisme et les exportations de bois soient les plus touchés par l’impact du virus à l’étranger.

Tout d’abord, le tourisme. Pour empêcher la propagation de Covid-19 dans la région, de nombreux pays du Pacifique profitent de leur isolement géographique pour appliquer des interdictions de voyager restrictives, comme aux Fidji et aux Îles Salomon. Certaines mesures sont plus extrêmes que d’autres. Par exemple, dans les États fédérés de Micronésie, l’entrée à toute personne ayant séjourné dans un pays atteint par le coronavirus, au cours des deux dernières semaines, est interdite. Initialement, cette restriction touchait seulement quelques pays, mais aujourd’hui, la liste des États concernés représente la quasi-totalité du globe. Le gouvernement des îles Marshall a, quant à lui, fermé sa frontière à tous les voyageurs aériens pour une période de deux semaines. Le Vanuatu et les îles Cook ont tous les deux refoulé des navires de croisière – pourtant une source essentielle de leurs revenus – quand, dans le même temps, les paquebots de croisière ont suspendu leurs voyages futurs.

Alors que ces restrictions étaient initialement limitées aux touristes en provenance de Chine, elles sont désormais généralisées et, combinées à la baisse mondiale des voyages, rendent le manque à gagner économique colossal.

Le tourisme est en effet crucial pour les économies du Pacifique. Pour certaines, il offre l’une des rares opportunités de diversification économique. Pour d’autres, le tourisme est tout simplement le moteur du pays. Aux Palaos, au Vanuatu et aux Fidji, il représente environ 40 % du PIB, et emploie une proportion importante des personnes dans les emplois dits « formels ». Il s’agit de la principale exportation des Palaos (86 %), du Vanuatu (6 3%), des Samoa (62 %) et des Fidji (51 %). La diminution du flux de voyageurs asiatiques, dans un premier temps, est globale, et dans un second temps, elle entraînera la perte de millions de dollars.

Pour les économies les plus diversifiées, le ralentissement de l’activité économique globale, mais principalement de l’activité chinoise, aura un impact important sur l’exportation de certains produits provenant du Pacifique. En effet, les chiffres de la Banque mondiale montrent qu’au cours des dernières années, la Chine s’est imposée comme l’un des principaux partenaires commerciaux de la région, représentant 17 % des exportations de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, 7 % des Fidji et 67 % des Îles Salomon, ce qui traduit une grande dépendance économique.

Alors que la consommation chinoise des produits de la pêche – une exportation importante pour le Pacifique – devrait rester stable, l’industrie forestière sera fortement affectée par une baisse de la demande chinoise. Les Îles Salomon seront les plus touchées, puisque 94 % de leurs exportations vers la Chine sont constitués de produits du bois.

Le ralentissement de l’économie chinoise pourrait également entraîner une réduction des importations de produits chinois utilisés dans les industries locales. En effet, les produits d’origine chinoise, utilisés dans les chaînes de productions locales, mettront plus de temps à arriver dans la région, ce qui freine le rythme de la production domestique. De plus, depuis le début de la crise, de nombreux ouvriers chinois n’ont pas été en mesure de reprendre le travail dans le Pacifique, ralentissant les projets d’infrastructure, si importants pour la région.

Le Pacifique fait donc face à un double choc économique – celui de l’offre et celui de la demande. Malgré cela, il doit aussi se préparer à consolider son secteur sanitaire.

Certaines rumeurs émettent l’hypothèse que le coronavirus ne s’adapte pas bien à la chaleur tropicale, ce qui minimiserait les risques de propagation du virus dans le Pacifique. Mais alors qu’une grande partie de la région a une faible densité de population, certaines zones sont tout de même sujettes au risque, comme les grandes villes de Port Moresby, Honiara ou Lae.

La peur est particulièrement intense dans les îles Samoa, qui se remettent tout juste de l’épidémie dévastatrice de rougeole de l’an dernier, provoquant le décès de 83 personnes, et principalement des bébés. La rougeole serait arrivée sur le territoire via un voyageur néo-zélandais.

En moyenne, 5,9 % du PIB des pays insulaires du Pacifique sont alloués aux dépenses sanitaires, mais les habitants n’ont qu’un accès limité aux services de santé (dont la qualité est parfois douteuse), et les infrastructures et capacités existantes ne semblent pas adaptées à une pandémie régionale. Une augmentation des dépenses de santé sera donc probablement nécessaire.

Cependant, la plupart des pays du Pacifique n’ont que des ressources budgétaires limitées, ce qui les rend moins résilients et plus vulnérables. Par exemple, alors que les Îles Salomon sont loin du centre de l’épidémie, leur déficit public équivaut à 3,87 % du PIB, laissant peu de place aux interventions fiscales et monétaires locales en cas d’épidémie.

Comment est-ce que les partenaires de développement comme la France, l’Union européenne et l’Australie peuvent-ils aider ?

Afin d’éviter à la fois une crise économique et une catastrophe sanitaire dans la région, les partenaires de développement devront faire deux choses.

Premièrement, ils devront continuer de soutenir les pays insulaires du Pacifique dans leur préparation à la diffusion virus. L’assistance technique et l’équipement médical qu’offrent l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne aux établissements de santé locaux jouent un rôle important dans la préparation de crise, et ce flux préventif doit être maintenu pendant toute la durée de l’épidémie.

Alors que le virus vient d’atterrir sur quelques îles de la région, les partenaires de développement ne doivent pas hésiter à envoyer du personnel médical, ainsi que du matériel pour soutenir les efforts de ses voisins, tout au long de l’épidémie. Comme l’a montré la situation en Chine, les mesures rapides et énergiques sont les mesures de confinement les plus efficaces.

Deuxièmement, les partenaires de développement devront être prêts à fournir un soutien économique à long terme à la région. Les gouvernements occidentaux ont peu de marge de manœuvre dans leur propre budget, finançant déjà leurs plans de relance domestique. Ils pourraient plutôt chercher à fournir des prêts relais à la région, pour soutenir des interventions ciblées, similaires à celles prévues en Europe et en Australie. Ce n’est pas aussi efficace qu’un afflux important d’aide humanitaire ou d’appui budgétaire direct, mais cela aidera. Dans les petits pays où les risques de soutenabilité de la dette sont les plus aigus, les partenaires devront examiner des mesures supplémentaires, pouvant être fournies par le biais de leurs programmes d’aide existants.

Personne ne sait combien de temps durera cette crise ni à quelle vitesse l’économie mondiale rebondira. L’Histoire nous apprend que ce sont souvent les économies les plus vulnérables qui sont le plus touchées. Alors que les gouvernements occidentaux actifs dans le Pacifique préparent leurs interventions domestiques, ils doivent également réfléchir à la situation dans la région.
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