ANALYSES

Élections en Algérie : vers une réconciliation entre le pouvoir et le peuple ?

Interview
16 décembre 2019
Le point de vue de Brahim Oumansour


Après plusieurs mois de reports et d’intenses contestations sociales, les élections algériennes ont finalement eu lieu et ont vu la victoire d’Abdelmadjid Tebboune. Avec un taux de participation très bas et des mouvements sociaux encore très présents, quelles sont les perspectives pour l’Algérie ? Le point de vue de Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS.

Quel bilan peut-on dresser de la campagne pour les élections présidentielles algériennes très contestées par les citoyens ?

Cette présidentielle s’inscrit dans un contexte particulier en Algérie, marqué par le mouvement de contestation – dit Hirak – qui revendique une transition démocratique. Le Hirak rejette cette élection décidée de façon unilatérale par le pouvoir, dont les cinq candidats étaient issus de l’ancien système et proches du pouvoir. Les élections présidentielles ont rarement suscité l’enthousiasme des électeurs en Algérie, à l’exception de 1994 et 1999. Mais cette fois, le rejet a été accompagné par un boycott « actif » de la part des manifestants qui multiplient les actions visant à rendre visible leur opposition à ce qu’ils considèrent comme une « farce » visant le maintien du pouvoir en place. C’est dans ce climat d’extrême tension que les candidats ont mené une campagne a minima : les candidats, chahutés, ont souvent privilégié des meetings dans des salles quasi vides, et les déplacements se sont faits sous haute surveillance. Les manifestants ont à plusieurs reprises forcé les candidats à annuler leurs déplacements.

Quelles perspectives pour l’Algérie après l’élection d’Abdelmadjid Tebboune ? Quels seront les principaux défis auxquels le gouvernement devra faire face ?

En raison du passage en force du pouvoir via cette élection imposée, le Hirak risque de se durcir et de se radicaliser tant dans les revendications et dans les moyens de mobilisation, en recourant par exemple à des manifestations plus fréquentes, en faisant grève, en bloquant les routes, etc. Mais l’évolution du Hirak dépendra aussi de la politique qui sera menée par le nouveau président, à savoir s’il va réellement tendre la main aux protestataires, comme il l’a annoncé lors de sa conférence de presse vendredi dernier, ou s’il va, au contraire, poursuivre une politique de défiance à leur encontre.

Le premier défi auquel le Président Tebboune et son gouvernement vont faire face est d’abord politique. Élu avec un taux de participation très faible — y compris en tenant compte des chiffres officiels —, Abdelmadjid Tebboune devra régler le problème de légitimité et surtout rétablir la crise de confiance dont souffre le pouvoir et ainsi réconcilier les Algériens avec les dirigeants. Pour ce faire, le nouveau gouvernement devra prendre des mesures concrètes et des réformes politiques profondes qui répondent aux revendications du Hirak qui ne se laissera pas duper par de simples discours.

Ce mouvement émane d’une société éduquée et qui fait preuve de conscience et maturité politiques très avancées. Le pays compte 42 % de population ayant suivi des études universitaires. L’expérience des promesses non tenues dans le passé creuse l’écart entre les Algériens et leurs dirigeants. Il faut ajouter internet et les réseaux sociaux qui jouent un rôle important dans l’information. L’Algérie compte environ 25 millions de comptes Facebook, ce qui constitue une réelle alternative aux médias contrôlés par le pouvoir.

Ensuite vient le défi économique et social. La situation économique du pays est fragile et aggravée par la dépendance à la rente pétrolière, qui a chuté depuis la baisse des cours du pétrole en 2014. La crise économique accentuée par le climat de terreur dans le monde des affaires que crée l’opération « mains propres » risque de renforcer à son tour le mouvement de contestation dans un climat de tensions déjà en place.

Quel rôle l’armée, déjà très influente et présente dans le pays, sera-t-elle amenée à jouer dans ce nouveau contexte ?

La chute de Bouteflika sous la pression du Hirak a poussé l’état-major à sortir de l’ombre et à prendre ouvertement des décisions politiques accompagnées par les discours fréquents du chef d’état-major sur les médias nationaux. L’institution militaire se sentait trop exposée dans cette situation inédite. Le mouvement de contestation ne s’y est d’ailleurs pas trompé, sa colère s’étant progressivement orientée vers Gaïd Salah et le contrôle de la politique par l’armée.

L’élection de Tebboune permet à l’état-major de se retirer du devant de la scène en s’assurant d’avoir mis en place un pouvoir politique avec lequel elle pourra gérer le pays et qui ne menace pas ses privilèges. Cela permettra à l’institution militaire de concentrer ses efforts sur les questions sécuritaires et de préserver la stabilité du pays et de la région, rôle important qu’elle a su jouer jusqu’à présent. En revanche, l’influence dont jouissent certains généraux très puissants leur permettra d’exercer le contrôle sur le pouvoir politique et d’entraver tout projet de démocratisation du pays. Malheureusement, ce contrôle favorise souvent la gestion clientéliste de l’économie et des affaires politiques et sociales aux dépens du développement d’une économie productive, nécessaire à la création des richesses, à l’absorption du chômage et la sortie de la dépendance à la rente pétrolière.
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