ANALYSES

Valdaï 2019 : le message russe à l’Occident.

8 octobre 2019




J’ai assisté au 16e forum annuel de Valdaï qui s’est tenu du 30 septembre au 3 octobre à Krasnaya Polanya, au-dessus de Sotchi.

C’est le grand rendez-vous annuel géopolitique russe où interviennent plusieurs responsables gouvernementaux, dont le ministre des Affaires étrangères S. Lavrov, auquel participe la fine fleur des experts russes et qui est conclu par Vladimir Poutine. Une centaine d’invités étrangers sont présents. C’est l’occasion pour les autorités russes de transmettre leur vision du monde. En matière d’organisation de grands raouts stratégiques, l’Occident bénéficie cependant toujours d’une suprématie incontestable.

Le principal message de l’édition 2019 réside dans le titre général choisi : “The Dawn of the East and the World Political Order”. La Russie veut montrer qu’elle peut se passer du monde occidental, que des alternatives existent pour elle. De son point de vue, les problèmes globaux ne peuvent être résolus sans la participation de l’Asie, car c’est la fin de la domination occidentale. Et la Russie a le choix entre l’Asie et l’Occident. De surcroit, la plus grosse délégation cette année est chinoise.

Il y a un scepticisme russe sur la capacité des Européens à se distinguer des Américains et celle de Donald Trump à imposer sa ligne sur la Russie dans son propre pays. Pour les Russes sur l’Iran, les Européens ne pourront rien faire de sérieux sans un feu vert américain. Les Russes ne veulent pas modifier le JCPOA (à Biarritz, E. Macron avait accepté de le modifier pour faire revenir les Américains), car pour eux les Iraniens respectent toutes les obligations de cet accord.

Les Russes observent avec intérêt l’initiative d’ouverture de Macron et ses nombreux projets de sur l’Europe. Après deux ans au pouvoir, il a une vision plus large, il parle d’autonomie stratégique européenne, a déclaré Poutine. Cela est vu positivement par ce dernier, mais il reste un scepticisme sur la capacité de la France à entrainer le reste de l’Europe. J’ai posé la question suivante à Vladimir Poutine “Que pensez-vous de ce que Macron a dit sur l’État profond qui empêcherait la bonne reprise des relations entre l’Europe (la France) et la Russie ?”, celui-ci a répondu que ce n’est pas l’État profond qui préside la France, c’est bien Macron. Donc il peut décider ce qu’il veut. Il fait alors un parallèle avec sa situation en Russie : « quand je décide, les fonctionnaires exécutent”.

Du point de vue des Russes, les Américains veulent simplement continuer à avoir des motifs pour maintenir l’OTAN, renforcer leur présence et exiger une augmentation des dépenses militaires européennes afin d’acheter des armes aux États-Unis. Les Européens comprennent que l’OTAN n’est plus aussi solide qu’auparavant. Malheureusement l’OSCE est bloquée et n’a pas pu faire contrepoids à l’OTAN.

Pour Moscou, la situation se dégrade depuis plusieurs années sur le plan du désarmement. Les Américains ont testé un nouveau missile à portée intermédiaire juste après avoir dénoncé le traité FNI, ils s’y étaient donc préparés.

En Ukraine, Moscou estime que Zelensky, le nouveau président élu, veut avancer, mais il y a des forces en Ukraine qui sont contre tout progrès et qui veulent uniquement suivre les Américains, ce qui met en danger les accords de Minsk. Poutine a rappelé avec force sa version, très différente de celle des Occidentaux : « tout a commencé par un coup d’État en février 2014 alors qu’un accord avait été trouvé entre les différents protagonistes. »

Sur les Printemps arabes et les relations avec l’allié syrien, les Russes rappellent qu’Hosni Moubarak était très proche des États-Unis et qu’il maintenait la stabilité dans la région. Il a été abandonné, humilié et ramené dans une cage de Charm el-Cheik au Caire, sans que les Américains n’interviennent. De même, Kadhafi a rencontré plusieurs fois les leaders européens, étant toujours bien reçu par ces derniers, puis il a été bombardé et même tué par ceux qu’il fréquentait.

La Russie a pour principe de ne jamais abandonner ses alliés, qui lui en sont d’ailleurs reconnaissants. Elle plaide surtout partout pour une stabilité qui exclut tout changement de régime, même venant de l’intérieur.

Concernant la Syrie, le discours habituel a été tenu : il s’agit en de combattre le terrorisme suite à l’appel de Moscou lancé par le gouvernement légitime de la Syrie. Poutine sera encore plus net et brutal : « En 2015, on a décidé une opération en Syrie, mais personne ne croyait que ce serait un succès et pourtant on l’a fait et elle a réussi. C’est dans l’intérêt de la Russie et dans l’intérêt du monde. On a vaincu le terrorisme, on a empêché le retour des terroristes dans d’autres zones, des milliers de terroristes ont été empêchés de partir ailleurs. On a des discussions avec l’Iran, la Turquie, mais aussi Israël, l’Arabie saoudite, la Jordanie. Pour le processus de paix en Syrie, il faut d’abord penser à l’intégrité du territoire. Grâce à la Russie, on a empêché que se construise un État terroriste de fait dans la région. »

Interrogé sur la situation sur le terrain syrien, Poutine estime qu’il n’y a plus que des rebelles très localement. Les forces russes essayent, de son point de vue, de créer les conditions pour régler les problèmes politiques avec un comité constitutionnel et de mettre ensemble les différents protagonistes à l’exception des djihadistes. Il estime, sans ciller, que la réconciliation est en bonne voie.

Il se félicite par ailleurs du contact direct entre les États-Unis et la Corée du Nord est une bonne chose. Donald Trump a raison de vouloir changer la donne et de modifier les conditions traditionnelles de la diplomatie. Il confirme sa volonté de soutenir Donald Trump sur ce dossier et de façon générale.

Il conclut sur un satisfecit de sa gestion : « Notre politique est basée sur le respect du droit international et de la charte des Nations unies. Il y a 30 ans, on est passé à côté de la catastrophe. Les années 1990 ont été la pire décennie pour la Russie. Il y avait un vide économique social et sécuritaire qui faisait peser une menace sur la survie de l’État. On peut dire que le pays risquait de tomber dans la guerre civile. Certes nous n’avons pas tout fait correctement, et nous aurions pu mieux faire. Mais, en tous les cas, grâce à la nouvelle stabilité politique, nous avons restauré notre économie et notre société et nous sommes redevenus une grande puissance. »

La session finale était centrée autour de Poutine, entouré de plusieurs invités. Là encore le message a été clair : la Russie a beaucoup d’alliés dans le monde, dans le Caucase, en Asie centrale, au Proche-Orient et en Asie. L’objectif était de se montrer aux côtés d’un fidèle allié des États-Unis comme le roi Abdallah de Jordanie, qui a fait un discours convenu sur le conflit israélo-palestinien, ou encore les présidents Azéris et Kazakh. La présence du président philippin Dutertre avait un autre sens : il s’est lancé dans un long monologue assez glaçant, car il paraissait totalement convaincu sur sa façon de combattre la criminalité dans son pays. L’important pour Poutine n’était pas là, mais plutôt de montrer qu’un pays qui était pieds et poings liés avec les États-Unis depuis 1898 pouvait réorienter de façon différente sa diplomatie.

La Russie veut envoyer un message de puissance aux Occidentaux. Elle gagne ses paris, dispose d’une alternative au monde occidental si celui-ci est trop fermé. Elle feint de croire à une solution politique prochaine en Syrie et affiche ses doutes sur la même possibilité en Ukraine. Elle annonce à la fois qu’elle n’a jamais quitté l’Afrique et qu’elle y fait son retour. Sur l’intelligence artificielle, elle affirme à la fois sa puissance et avoue être décrochée par les Américains et les Chinois.

Leur présence en Syrie et leur politique en Ukraine ne coûte pas très cher aux Russes. Les sanctions commencent à peser, mais elles sont supportables. Ceux qui espéraient pouvoir faire rendre gorge aux Russes, les mener à se rendre en rase campagne et faire dépendre de la restitution de la Crimée à l’Ukraine le retour à la normale, ne pourraient obtenir gain de cause. Cependant, la Russie, sur de nombreuses crises, cherche une porte de sortie à condition qu’elle soit honorable.

C’est là que le pari d’Emmanuel Macron peut être tenté. Si on aide le président ukrainien à établir un statut décentralisé au Donbass, un cercle vertueux pourra être mis en œuvre. On peut travailler avec la Russie sur l’Iran, sur le climat. Il y a surtout peut-être une réflexion à avoir autour d’une éventuelle coopération UE-Russie sur l’intelligence artificielle pour nous aider mutuellement à ne pas être condamner au seul choix d’être le partenaire minoritaire des États-Unis ou de la Chine. Bref, voyons notre intérêt et ne suivons pas une ligne idéologique inspirée par le milieu atlantiste, consistant à voir dans la Russie une menace éternelle.