ANALYSES

Iran/États-Unis : la stratégie de pression graduelle

Interview
7 septembre 2019
Le point de vue de Thierry Coville


Dans la continuité des tensions entre les États-Unis et l’Iran depuis plus d’un an autour du nucléaire, l’Iran a annoncé s’affranchir des limites en matière de recherche et de développement sur le nucléaire. Le point de vue de Thierry Coville, spécialiste de l’Iran et chercheur à l’IRIS.

Après une légère détente et un relatif rapprochement avec les États-Unis lors du G7 il y a une semaine, qu’est-ce qui explique la décision de l’Iran d’abandon de toute limite en recherche et développement nucléaire ?

Il faut rappeler le contexte historique : les États-Unis sont sortis de l’accord de 2015 en mai 2018, et jusqu’en mai 2019, l’Iran a respecté scrupuleusement l’accord. Cette sortie des États-Unis de l’accord et les sanctions américaines ont conduit à une crise économique grave en Iran, avec une inflation atteignant au moins 40%. En dépit de cette situation économique difficile, l’Iran est resté dans l’accord, ce qui n’était pas évident, compte tenu de la gravité de la crise économique et des critiques des groupes radicaux en Iran, initialement opposés à l’Accord de 2015, qui rappelaient tous les jours qu’Hassan Rohani en signant cet accord de 2015 était tombé dans un piège tendu par les États-Unis.
À partir de mai 2019, la politique de l’Iran a changé. Ses dirigeants ont réalisé que la situation était intenable : d’un côté, le pays subit « une politique de pression maximum »  des États-Unis avec des sanctions qui visent à étouffer économiquement l’Iran et d’un autre côté, les Européens ne tenaient pas leurs engagements qui garantissaient à l’Iran des bénéfices économiques liés à l’Accord de 2015. On a donc assisté à un revirement de la stratégie iranienne : tous les deux mois, le pays a décidé de prendre des mesures graduelles pour sortir de l’accord et ainsi avoir un moyen de pression sur les Américains et les Européens pour qu’ils tiennent leurs engagements. L’Iran affirme qu’elle continuera cette politique jusqu’à ce que les Européens agissent pour limiter l’impact des sanctions américaines sur leur économie. Les États-Unis étant toujours opposés à une limitation des sanctions contre l’Iran,  les dirigeants iraniens n’ont vu aucune raison de changer de politique, celle-ci étant à leurs yeux leur seul moyen de pression. L’Iran a donc continué de prendre des mesures : aujourd’hui l’abandon des limites en recherche et développement et dans deux mois peut-être, l’enrichissement de l’uranium à 20%.

Avec la médiation d’Emmanuel Macron lors du G7 et la proposition de ligne de crédit à l’Iran, dans quelle mesure la France peut-elle jouer le rôle de médiateur et d’intermédiaire ? A-t-elle les moyens de désamorcer les tensions entre Trump et Rohani ?

La médiation française a été une bonne chose : la France a été le seul pays à s’impliquer parmi les signataires de l’accord, pour essayer de diminuer les tensions. Depuis début juin, il y a eu beaucoup d’efforts, notamment de la part du président français qui a établi un contact avec le président iranien Hassan Rohani. Cette médiation a été efficace, car les Français et les Iraniens ont réussi à établir un cadre qui pourrait permettre d’éventuelles négociations entre l’Iran et les États-Unis, qui sont à la source de tous les problèmes. Il y a eu des avancées lors du G7 à Biarritz avec la venue du ministre des Affaires étrangères iranien ou encore Donald Trump qui a semblé acquiescer les propositions françaises.
Mais la médiation dépend de la mesure dans laquelle la France pourra rapprocher les points de vue. Côté iranien, le cap d’éventuelles négociations avec les États-Unis est clair : premièrement, une suppression ou une baisse des sanctions américaines ; deuxièmement l’obligation pour les négociations de ne se tenir que dans le cadre du 5+1, cadre initial de l’accord. La médiation française n’a donc aucune chance de fonctionner si les États-Unis n’acceptent pas une baisse des sanctions : il y a donc un blocage du côté des Américains, qui continuent leur politique de pression maximum, qui ne donne pourtant pas de résultat pour l’instant, puisque l’Iran refuse de négocier directement avec les États-Unis un « grand » accord qui inclurait une renégociation de l’Accord de 2015, le programme balistique iranien et le rôle de l’Iran dans la région. Il y a peut-être deux points de vue différents qui s’affrontent dans l’administration américaine, entre les partisans de la politique de pression maximum, et le président Trump qui semblait prêt à s’écarter de cette politique pour obtenir des possibilités de négocier directement avec les Iraniens.

Téhéran espérait faire pression sur les pays européens pour qu’ils prennent des mesures concrètes pour contrer les sanctions américaines. L’Iran possède-t-il assez de soutiens sur la scène internationale pour faire entendre sa voix ? Quid du futur de l’accord dans ces conditions ?

Si l’on prend les 5+1 qui ont signé l’accord avec l’Iran, les États-Unis en sont sortis en mai 2018, mais il reste tout de même cinq pays, qui sont tous pour que l’Iran reste dans l’accord. Mais pour Téhéran, l’accord de 2015 est un contrat donnant-donnant, impliquant la limitation du développement de leur programme nucléaire en échange de bénéfices économiques. Les Européens n’ont rien fait pour que l’Iran ait les bénéfices économiques de l’accord. Par contre, la Russie a développé ses échanges économiques avec l’Iran et la Chine a continué à acheter du pétrole iranien, contrairement aux pays européens. Téhéran est donc soutenu par les cinq pays restés dans l’accord, mais seules la Russie et surtout la Chine sont ses véritables alliées. La médiation française a légèrement changé la stratégie européenne, permettant aux pays européens de s’impliquer davantage, mais cela reste inefficace pour contrer les sanctions américaines.
En définitive, l’Europe, la Chine et la Russie continuent de soutenir l’Iran, mais concrètement c’est surtout la Chine qui a permis à l’Iran de rester dans l’accord en lui achetant du pétrole. Si la Chine n’avait pas été là, l’Iran serait sûrement sorti de l’accord.
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