ANALYSES

Accord sur le nucléaire iranien : la riposte de Téhéran

Interview
10 juillet 2019
Le point de vue de Thierry Coville


Dimanche 7 juillet a marqué le début des mesures iraniennes allant à l’encontre de l’accord de Vienne, plus d’un an après la sortie des États-Unis de l’accord. Quelles conséquences sur les perspectives de négociations ? Éclairage par Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.

 L’Iran applique ses menaces de ne plus respecter certains termes de l’accord de Vienne depuis ce dimanche 7 juillet en enrichissant de l’uranium à plus de 3,67%. Que cherche à faire le régime d’Hassan Rohani en contrevenant à l’accord, alors que les tensions avec les États-Unis sont au plus haut ?

Téhéran a une stratégie mûrement réfléchie et préparée depuis un moment. Il faut rappeler que pendant un an, après la sortie des États-Unis de l’accord en mai 2018, l’Iran a continué à respecter l’accord sans réagir et en voyant les sanctions américaines détruire petit à petit son économie, ce que les Iraniens ont appelé eux-mêmes la politique de patience stratégique. Pendant cette période, ils ont demandé aux Européens d’intervenir pour contrer les sanctions américaines et faire en sorte que l’accord soit respecté de leur côté. Rappelons que l’accord visait côté iranien à une diminution du développement de leur programme nucléaire, en échange d’une levée des sanctions. Avec le rétablissement des sanctions américaines sur l’économie iranienne, l’accord n’était plus respecté et les Européens n’ont rien fait. Les Iraniens ont donc décidé de changer de stratégie.

Désormais, il s’agit effectivement de montrer que la politique américaine a un coût : les Américains ne respectant plus leur partie de l’accord, les Iraniens commencent à prendre des mesures graduelles pour laisser la chance à la négociation. Le message est clair : si les Iraniens obtiennent ce qu’ils cherchent, c’est-à-dire une levée des sanctions américaines et les vrais bénéfices économiques de l’accord, les mesures que prend le pays sont réversibles. Cette stratégie a également pour objectif de mettre la pression sur les Européens et leur signifier que leur passivité n’est pas tenable. Il faut qu’ils prennent parti pour sauver l’accord et le faire respecter, qu’ils remplissent leurs obligations liées à la signature de l’accord, et qu’ils prennent les dispositions pour développer leurs relations économiques avec l’Iran et contrer les sanctions américaines.

Un commentateur iranien a très bien résumé la stratégie iranienne en disant que le régime dans son ensemble a considéré qu’en respectant l’accord et en voyant les sanctions américaines détruire complètement l’économie iranienne, il a eu le sentiment que c’était un jeu perdant-gagnant, perdant du côté iranien, gagnant du côté américain. L’idée est maintenant de transformer les rapports de force pour que ce soit ou gagnant-gagnant (les Européens et pourquoi pas les Américains réalisent que cette stratégie ne mène à rien et qu’il faut lever les sanctions américaines) ou une stratégie perdant-perdant (si l’Iran sort complètement de l’accord, tout le monde sera perdant).

 

Le président Macron s’est entretenu avec M. Rohani, tous deux souhaitant une désescalade des tensions. Les membres européens de l’accord ont-ils une marge de manœuvre diplomatique pour modérer la réaction iranienne ? La reprise des négociations est-elle envisageable ?

Du côté iranien, le message est clair, ils en ont eu assez des discussions, ils attendent des actes. Les exportations pétrolières de l’Iran se sont effondrées du fait des sanctions américaines et notamment de l’arrêt des achats de la part des entreprises européennes : elles sont passées d’à peu près 2,4 millions de barils par jour début 2018 à 400 000 barils par jour en juin 2019. Les Iraniens demandent que leurs exportations de pétrole reviennent au niveau d’avant les sanctions américaines, soit près de 2,4 millions barils par jour. Ils veulent avoir des relations économiques normales avec le reste du monde et avoir les bénéfices économiques de l’accord comme prévu.

L’Europe ne peut pas rester dans cette situation de passivité et de faiblesse quasiment affichée par rapport aux États-Unis, il en va de sa crédibilité. Il faut une véritable volonté politique, il faut accepter de s’engager, il faut que l’Europe respecte ses engagements vis-à-vis de cet accord. Il faut une volonté politique forte de le faire respecter, ce qui implique de montrer ouvertement son désaccord au lieu de simplement regretter les décisions américaines. Plusieurs stratégies sont possibles : ouvrir de véritables discussions avec les Russes et les Chinois pour voir ce qui est envisageable, voir si le mécanisme de troc INSTEX qui a été mis en place peut être développé, et demander aux États-Unis de diminuer leurs sanctions s’ils veulent des négociations avec l’Iran.

 

Quels sont les intérêts de la Chine et de la Russie dans ce dossier ? Quels sont leurs rapports à Téhéran ?

La Chine, la Russie, l’Europe et le gouvernement américain à l’époque d’Obama voyaient l’intérêt de signer cet accord, l’idée étant de limiter la prolifération nucléaire et d’avoir la garantie que le programme nucléaire iranien reste civil pour au moins 10-15 ans. Donc les gouvernements chinois et russe voyaient cet accord comme une très bonne base sur laquelle on pouvait envisager de discuter avec l’Iran tant sur la poursuite de cet accord, que sur d’autres sujets.

Les Russes ont relativement développé leur commerce avec l’Iran, mais c’est surtout la Chine qui est quasiment le seul pays qui continue à acheter du pétrole iranien. Des signataires de l’accord de 2015, ce sont les Chinois qui ont le plus respecté leurs engagements. De ce point de vue, on peut considérer la Chine et la Russie comme des alliés de l’Iran.

La Chine a des liens assez forts avec le régime depuis la révolution iranienne, qui s’expliquent par des liens historiques. Il y a en effet un intérêt stratégique pour le gouvernement chinois d’avoir un partenaire comme l’Iran qui peut fournir du gaz et du pétrole dont la Chine a fortement besoin ; c’est également un marché relativement important pour les entreprises chinoises. Dans ses rapports avec les États-Unis, Pékin marque son territoire en ayant un partenariat stratégique avec Téhéran.

Pour ce qui est des rapports entre Moscou et Téhéran, ils ont su nouer des partenariats stratégiques ponctuels comme sur la Syrie, pour des raisons qui leur sont propres. De plus, la Russie joue la carte de l’Iran dans ses rapports avec les États-Unis, un peu comme la Chine, c’est-à-dire que l’alliance avec l’Iran permet d’avoir une carte à jouer dans ses rapports de force avec Washington. L’Iran est également un pays important pour la Russie, car elle peut s’appuyer sur ce pays pour lutter contre l’extrémisme sunnite qui est un vrai danger pour la Russie.

Les partenariats stratégiques avec la Chine et de la Russie permettent à l’Iran d’avoir leur soutien dans la crise actuelle. La Chine et la Russie ont ainsi clairement énoncé qu’elles considéraient les mesures prises par l’Iran pour sortir de l’accord comme la résultante de celles des États-Unis en mai 2018 et de la réimposition des sanctions américaines.
Sur la même thématique